«Tuer un homme, ce n’est pas défendre une doctrine, c’est tuer un homme» (Castellion)
«Tuer un homme, ce n’est pas défendre une doctrine, c’est tuer un homme»
Sébastien Castellion (1515-1563)
Le commentaire de Stefan Zweig
«Par ces mots à l’emporte-pièce, Castellion a prononcé à jamais la condamnation de toute persécution de la pensée. Qu’elle soit morale, politique ou religieuse, la raison invoquée pour justifier la suppression d’un homme ne dégage pas la responsabilité de celui qui a commis ou ordonné cet acte. Dans un homicide, il y a toujours un coupable, et aucune idée ne saurait faire excuser un crime. On répand des vérités, on ne les impose pas. Une doctrine n’est pas plus vraie, une vérité plus exacte parce qu’elle se démène avec violence ; ce n’est pas une propagande de brutalité qui la fera se développer au-delà de ses limites naturelles. Au contraire, une opinion, une doctrine acquiert moins de crédit en persécutant les hommes dont elle heurte le sentiment. Les convictions sont le résultat de l’expérience personnelle, et ne dépendent que de l’individu auquel elles appartiennent ; on ne les réglemente ni les commande. Qu’une vérité se réclame de Dieu et se prétende sacrée autant qu’elle le voudra : rien n’autorise la destruction en son nom d’une vie humaine»
Stefan Zweig, Conscience contre violence, ou Castellion contre Calvin traduit par Alzir Hella, préface de Hervé Le Tellier, postface de Silvain Reiner, Paris, Le Castor Astral, 1997 et 2004. Page 157. Dans cette édition le titre original est inversé. Le titre allemand figure dans cet ordre : Castellion contre Calvin ou Conscience contre violence
La citation commence à être connue, son auteur et le contexte dans lequel elle a été écrite moins. Il fallait oser l’écrire seul contre tous, au milieu du 16ème siècle. C’est d’ailleurs ce courage, la capacité de penser et d’agir qui fera l’admiration de Zweig. Ajoutons les quelques phrases de Castellion qui suivent pour mieux comprendre le contexte :
«Tuer un homme, ce n’est pas défendre une doctrine, c’est tuer un homme. Quand les Genevois ont fait périr Servet, ils ne défendaient pas une doctrine ; ils tuaient un être humain ; on ne prouve pas sa foi en brûlant un homme, mais en se faisant brûler pour elle. »
L’affaire Servet
Genève, Servet. Nous sommes à Genève. La ville est sous la férule du réformateur protestant Jean Calvin qui y avait appelé Sébastien Castellion, né dans l’Ain en 1515. Ils s’étaient connus à Strasbourg. Castellion sera à Genève «régent et maistre d’escolle» et se passionnera pour la pédagogie. Michel Servet, un médecin, astrologue, géographie dans un livre met en cause, en 1531, le dogme de la trinité. Scandale. Catholiques et protestants y voient une menace sur les fondements du christianisme. Servet récidive en 1553. Il est arrêté et jugé par l’Inquisition à Vienne (Isère), parvient à fuir, tente de se réfugier en Italie en passant pas Genève où il est arrêté. A l’issue d’un procès dans lequel Calvin intervient fortement, Servet est condamné à mort et brûlé , le 26 octobre 1553 aux portes de Genève. L’année suivante, Calvin justifie l’exécution et Castellion publie sous pseudonyme Le traité des hérétiques :
«après avoir avoir souvent cherché ce qu’est un hérétique, je n’en trouve autre chose, sinon que nous estimons hérétiques tous ceux qui ne s’accordent pas avec nous dans notre opinion».
Il rédige une riposte à Calvin qui ne paraîtra aux Pays-Bas qu’après sa mort dans le dénuement en 1613. C’est dans cet écrit que se trouve la fameuse citation. Pour Castellion, il n’ y a pas de crime de pensée, je rappelle que nous sommes au 16ème siècle, et chacun doit suivre sa conscience personnelle :
«apprenez de votre conscience à ne pas forcer celle des autres »
Sous sa plume, on trouve pour la première fois en langue française la notion de «forcement[viol] de conscience» A Theodore de Bèze chargé par Calvin de justifier le rôle du magistrat dans la persécution des hérétiques, Castellion plaide pour la séparation de l’église et du magistrat, premier pas vers la laïcité :
« Nul ne peut ou ne doit être contraint à la foi (…) Les armures de notre guerre sont spirituelles. Une guerre spirituelle doit être menée par des armes spirituelles».
Rares sont ceux qui apprenant sa mort lui rendront hommage. ¨Mais parmi ceux-ci, il y aura Michel de Montaigne.
Les informations ci-dessus sont issues d’une conférence prononcée par Vincent Schmidt au Temple Saint Étienne de Mulhouse dans le cadre de l’exposition consacrée à Castellion. Philosophe de formation, V. Schmidt fait partie de l’équipe pastorale de la Cathédrale de Genève.
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