Marc Crépon (avec Romain Rolland) : 14-18 et le consentement meurtrier

« Si quelqu’un veut savoir pourquoi nous sommes morts,
Dites-leur : parce que nos pères ont menti. »

Cette phrase écrite en 1918 est de Rudyard Kipling. Son fils unique John, 18 ans, avait été porté disparu en septembre 1915. Le prix Nobel de littérature, fervent patriote, l’avait poussé à s’engager comme les autres alors que l’armée avait plusieurs fois refusé de le reconnaitre apte pour myopie extrême. « Tu seras un homme, mon fils », lui avait-il écrit.
Je poursuis mes lectures sur la guerre de 14-18. Après Helmut Lehten, Le vacarme de la bataille et le silence des archives, La guerre continuée d’Antonin Artaud, lecture du livre de Florence de Mèredieu, un extrait de celui de Wolfgang Sofsky sur la société de guerre, j’aborde aujourd’hui la question du consentement meurtrier développé par Marc Crépon
Sans tomber de l’idéal dans l’idole, il y a parmi les belles figures courageuses qui s’opposèrent à la guerre et qui méritent que nous honorions leur mémoire celle de Romain Rolland. Marc Crépon lui rend hommage tout en abordant le thème qui fait l’objet et le titre de l’un de ses livres : le consentement meurtrier. Le « consentement meurtrier » désigne ici le consentement à mourir et faire mourir « pour la patrie », attitude largement partagée au début de la Grande Guerre. Encouragé par la propagande et la publicité, ce patriotisme a pourtant rencontré une certaine opposition, illustrée par de grandes voix, comme celles de Romain Rolland ou Jean Jaurès.
Marc Crépon, philosophe, traducteur et directeur de recherches au CNRS est intervenu dans le cadre du cycle « lire le monde » 1914-1924 : Guerres et Révolutions, organisé par la Bibliothèque publique d’information du Centre Pompidou.
Voici découpée en trois séquences son intervention 

1. Le sacrifice pour la patrie

Quel sens donner à la patrie, au patriotisme ? Cette question ne fait pas du tout l’unanimité à la veille de la Première guerre mondiale. Peut-on réduire la patrie aux intérêts particuliers de ceux qui parlent en son nom ? Roman Rolland reproche à tous ceux qui s’unissent autour de l’idée du mourir pour la patrie précisément de n’avoir rien d’autre à offrir à une génération que l’idéalisation d’un sacrifice qui ne dit pas ce qu’il est, le masque de la mort..

2. Le consentement meurtrier

Le sacrifice est une religion, l’objet d’une manipulation.  » Il est illusoire et mensonger de définir la patrie comme une grande famille ». La patrie en temps de guerre, c’est l’idole qui retourne la protection des pères contre la mort en exposition des fils à la mort. Le consentement meurtrier n’est pas seulement une rupture des relations père-fils mais plus généralement une rupture des relations de soin, de l’attention et du secours à la vulnérabilité d’autrui.

3. » J’avais un fils, je l’aimais, je l’ai tué »

La guerre fait des pères les meurtriers de leurs fils. Marc Crépon, pour finir, lit un extrait de Clérambault de Romain Rolland
Voici, un deuxième éclairage au propos de Marc Crépon, en écho au texte de Rudyard Kipling, sur le même thème, cette citation d’Aragon :
« C’était une guerre des vieux, pour des raisons qui avaient exalté les vieux ,
qui ne touchaient pas les jeunes, et c’étaient les jeunes qui la faisaient à leur place ».
Aragon, Pour expliquer ce que j’étais (manuscrit de 1942), édition posthume Gallimard, 1989
Pour en savoir plus sur le consentement meurtrier, on peut lire l’entretien de Salima Naït Ahmed avec Marc Crépon

 

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