« Et je n’écris pas de textes » (Alexander Kluge)

[…]
Je me dois d’attirer plus encore votre attention sur l’idée que je me fais de moi-même et sur l’endroit où je cherche le lien avec Heinrich von Kleist. Je pense que, lorsque nous écrivons des textes, nous ne sommes pas des Robinsons sur une île déserte. Bien sûr nous travaillons seuls, individuellement, mais c’est justement cela qui permet d’établir un lien avec ceux qui ont travaillé avant nous, c’est la raison pour laquelle j’évoque ici Robert Musil, afin de montrer que, lorsque nous sommes assis devant une feuille avec notre crayon, nous vivons dans. un laboratoire imaginaire avec d’autres personnes qui ont quelque chose de crucial à dire.
Et je n’écris pas de textes, mais j’écris des textes lorsque je peux faire abstraction du fait que je suis moi. Faire l’intermédiaire entre mes sentiments – que j’ai hérités de mes parents et grands-parents – le monde extérieur et les mots qui ont leur propre capacité de résistance est une activité
extrêmement terre-à-terre. Comme dit Kleist: « Car ce n’est pas nous qui savons, mais c’est avant tout un certain état de nous qui sait.» Il dit cela dans son travail «De l’élaboration progressive de pensées dans le discours ». Mais cela n’a justement rien de solitaire, car cela rattache à des auteurs plus anciens. Je ne peux que remarquer qu’ils parlent à travers moi. Ce qui est vrai pour les textes vaut également pour la musique. Les anciens compositeurs parlent à travers les compositeurs actuels.
[…]
Alexander Kluge : La différence
Discours prononcé lors de la remise du prix Kleist à la bibliothèque du Patrimoine culturel prussien de Berlin.
Traduction Anne-Elise Delatte paru dans
Alexander Kluge De la grammaire du temps. L’Harmattan 2003 page 83

 

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