Visite à l’exposition Hello, Robot

 

Weil am Rhein sur le campus Vitra : Exposition Hello, Robot du 11.02 au 14.05 2017, dans le bâtiment de l’architecte Frank Gehry. Vitra est une entreprise familiale suisse (nous sommes très proche de Bâle dans la zone des trois frontières) spécialisée dans l’ameublement domestique, de bureau, le mobilier urbain et de magasin. A l’origine à usage privé, le musée possède une riche collection de design mobilier, le Vitra Design Museum s’est ouvert à l’international et au public. Il organise deux importantes expositions temporaires par an. Celle du moment est consacrée au design de la relation  homme-machine.
Une petite visite s’imposait. Comme d’habitude on ne lira pas un compte-rendu exhaustif mais centré sur quelques réflexions qu’elle m’a inspirée en liaison avec quelques faits tirés des actualités allemandes. Elle se fera en trois parties. Deux d’entre elles se suivront. La troisième sera pour plus tard. La question de l’avenir du travail ne sera qu’effleurée dans l’attente d’une table ronde sur la question qui aura lieu au musée fin avril.
Design est un terme d’origine anglaise qui signifie à la fois dessin et dessein, intention.

Première partie : mais qu’est-ce qu’un robot ?

Entrons.
Je m’efforcerai de considérer cette question, Les robots sont-ils nos amis ou nos ennemis, comme une fausse question. Rien de tel pour aiguiser l’esprit critique. Ils peuvent en effet être l’un et l’autre, l’un ou l’autre selon le cas même si dans l’optique pharmacologique que j’adopte à la suite de Bernard Stiegler la qualité de remède est rarement évidente et n’affleure pas de manière aussi évidente que la dimension toxique.
Les robots ont déjà envahi notre vie quotidienne sans que nous nous en soyons rendus compte. Le logiciel avec lequel j’ai rédigé le présent texte est un robot qui prétend en plus savoir plus vite que moi le mot que je veux employer. Dès les premières lettres que je frappe, la machine affiche la suite du mot parce qu’elle se « souvient » que je l’ai déjà utilisé.  Puis elle consulte le dictionnaire pour en vérifier l’orthographe. Je ne suis pas le seul dactylographe de mon texte.
Certes notre imaginaire du robot est façonné, le théâtre et le cinéma aidant, par l’humanoïde ou alors par le robot industriel mais il y a d’autres automates.

Le mot Robot est d’origine théâtrale

Il apparaît en effet pour la première fois dans la pièce de théâtre de Karel Čapek : R. U. R. Rossumovi univerzální roboti, titre original en tchèque. Elle fut jouée à Prague en 1920. La première traduction française de cette pièce, établie par Hanuš Jelínek était intitulée Rezon’s Universal Robots, nous apprend Wikipedia. La pièce fut créée à la Comédie des Champs Elysées en 1924 avec notamment Antonin Artaud dans le rôle du robot Radius, celui qui veut être le maître des hommes. Comme le signale Natacha Vas Deyres :
« C’est en écrivant, en 1920, la pièce intitulée De la vie des insectes (qui sera publiée un an plus tard en 1921) dans laquelle il met en scène des fourmis travaillant comme des automates, que Karel Čapek conçoit l’idée d’écrire une œuvre sur les machines ressemblant aux hommes et se comportant comme eux. Mais il ne sait pas comment appeler ces créatures que nous nommerions aujourd’hui humanoïdes  et il choisit d’utiliser le terme robota. »
En fait, c’est une suggestion de son frère.
Robota est un mot féminin qui  signifie corvée en tchèque. On peut se demander comment on est passé de corvée à ouvrier (robotat veut dire travailler en russe) – et du féminin au masculin – si l’on se souvient qu’ouvrier est celui qui œuvre, qui dispose d’un savoir-faire et qui est donc le contraire d’un robot alors que le prolétaire, lui, a perdu son savoir au profit de la machine avant que celle-ci ne finisse par le remplacer complètement. R.U.R est le nom de la fabrique de robots créée par le savant Rossum. Celui-ci se prend pour un démiurge et veut créer un humanoïde égal à l’homme et doté de « ces choses aussi inutiles que sont les amygdales et la capacité à jouer du violon ». Son neveu qui lui succède entreprend de rationaliser le projet. Le slogan de l’entreprise devient : Travail à meilleur marché. Le Rossum’s Robot, 150 $ pièce. Dans R.U.R., l’on quitte rapidement la tradition du Golem telle qu’on la connaît à l’exemple de Frankenstein, celle de l’inventeur démiurge qui donne vie à une créature artificielle qui lui échappe, pour entrer de plein pied dans le domaine de la production industrielle de masse. Celle du capitalisme taylorisé et fordiste. Ainsi que l’explique le directeur de l’usine :
« Dans les livres, c’est de la publicité et ça n’a aucun sens. On y dit par exemple que les robots ont été inventés par le vieux monsieur. Il aurait pu enseigner à l’université mais il n’avait pas la moindre notion de la production industrielle. Vous savez, il s’imaginait qu’il allait fabriquer de vrais hommes, de nouveaux indiens ou des professeurs ou des idiots mais il n’avait pas la moindre notion de la production industrielle. Ce n’est que le jeune Rossum qui a eu l’idée d’en faire des machines intelligentes et vivantes. »
Rossum le jeune a d’emblée voulu « simplifier l’homme », le ramener à ses seules fonctionnalités et « à force de simplifier l’homme, il a créé le robot ». Il voulait que « fabriquer des ouvriers artificiels signifie la même chose que fabriquer des moteurs diesel ». Son modèle n’est pas comme pour son oncle l’être humain mais l’homme prolétarisé. Les robots seront produits en masse et à un coût de plus en plus bas. Les marchandises qu’ils fabriquent finissent elles-aussi par ne plus rien coûter. Je n’entre pas dans le détail de cette utopie qui tourne au cauchemar. Le texte est accessible en français. Les humains au bout d’un moment ne supportent plus le fait que les robots ne soient que fonctionnels et les font accéder à la sensibilité. Ils finiront par se révolter et entrer en guerre contre les hommes qui ont cessé de procréer et se raréfient. Le temps libéré n’a pas libéré le travail humain mais l’ennui. On voit où mène un monde qui confond emploi et travail. Je pousse évidemment l’interprétation au-delà peut-être des intentions de l’auteur mais en fonction de ce que l’on pourrait en dire aujourd’hui. Le texte a été écrit au lendemain de la boucherie industrielle de la Première guerre mondiale qui a fait le bonheur de l’industrie des prothèses alors que l’Union soviétique importait le taylorisme. La taylorisation était la préfiguration de la robotisation. Le premier robot industriel date d’une quarantaine d’années plus tard : 1961.
Dans l’exposition Hello, Robot, Karel Čapek est associé à Friedrich Kiesler qui imagina un décor adapté aux techniques de son temps pour les représentations de R.U.R. à Berlin en 1923.

Friedrich Kiesler : décor pour R.U.R.. de Karel Čapek, Theater am Kurfürstendamm, Berlin (1923), Fotografie © Österreichische Friedrich und Lillian Kiesler-Privatstiftung, Wien

Le décor pour R.U.R représentait la salle de commande à l’intérieur d’une fabrique de robots. Un gros diaphragme sur lequel était projeté un film sur une usine donnait au spectateur l’impression de participer à ce qui se passait à l’intérieur comme à l’extérieur de l’usine. Différentes techniques donnaient l’illusion d’un espace scénique augmenté de la multiplication d’espaces virtuels. Kiesler, qui avait organisé en 1924 à Vienne (Autriche) l’exposition internationale des nouvelles techniques pour le théâtre, refusait la scène tableau et lui substitua ce qu’il appelait eine Raumbühne, une scène dans l’espace.
« Première tentative d’un décor électro mécanique. L’image fixe devient vivante. Le décor est actif, il joue avec. De la nature morte vivante. Les moyens de rendre vivant sont : le mouvement des lignes, un très vif contraste des couleurs, le passage de la surface aux formes en relief jusqu ‘à la plastique ronde humaine – le comédien ». (Friedrich Kiesler, Als ich die Raumbühne erfand. Dokumente um das Jahr 1924).
« Rendre vivant » des dispositifs que l’on peut techniquement faire bouger est à l’origine de l’idée robotique. Pour rester encore un instant dans cette époque et cet univers, voici la couverture d’un livre publié en 1927 qui est évoquée également dans l’exposition :

L’image est du célèbre John Heartfield connu pour ses photomontages. Elle illustre un livre de Günter Reimann intitulé Le miracle économique allemand qui contient des textes de l’économiste marxiste consacrés à la taylorisation et au système fordiste. Le dessin de John Heartfield est paru ailleurs sous le titre « Die Rationalisierung marschiert » (La rationalisation en marche).

Robots : les définitions

Selon Wikipedia, un robot « est un dispositif mécatronique (alliant mécanique, électronique et informatique) conçu pour accomplir automatiquement des tâches imitant ou reproduisant, dans un domaine précis, des actions humaines ». Dans un essai figurant dans le catalogue fort cher quoique réalisé par un robot, Carlo Ratti et Danielle Belleri proposent la définition suivante :
« Nous désignons sous le vocable robot une unité formée de capteurs, d’intelligence et de déclencheurs. Cet ensemble peut pour ainsi dire lire le monde, traiter les données recueillies [ce que l’on appelle intelligence] et agir en conséquence ».
Une telle définition recouvre des dispositifs inattendus tout en permettant d’y réfléchir en la dégageant de la figure de l’androïde ou du cyborg bien sûr plus spectaculaire que les dispositifs de contrôle du degré de cuisson de la dinde. Elle englobe par exemple le thermostat, l’assistant de navigation de la voiture, le four de la cuisine, le bracelet qui mesure des marqueurs de votre état de santé, le compteur qui surveille votre consommation d’eau, de gaz ou d’électricité qu’on vous dit « intelligent ». Appelés Linky en France, ils sont en passe d’être installés à partir de cette année pour l’électricité en Allemagne aussi où l’obligation ne concerne cependant que les gros consommateurs. Les auteurs de la définition citée énoncent un paradoxe : «  plus un robot s’insinue avec discrétion dans nos vies et plus nous interagissons avec lui, plus son influence est grande ».
D’où l’importance peut-être du design. Si le robot qui tient le biberon du bébé a l’allure d’une grue cela crée bien entendu d’emblée de la distance, encore que.. allez savoir … :

Partie de l’installation Raising Robotic natives de Philipp Schmitt, Stephan Bogner et Jonas Voigt qui ont prévu une peluche de sympathique dinosaure pour « habiller ce bras ». Il faut croire que tout le monde ne prend pas ça avec humour.
Tous les domaines de la vie sont concernés de la naissance à la mort.. A cet égard, il manque dans l’exposition la naissance proprement dite. Pourtant les premiers pas de l’utérus artificiel ont déjà été faits.
Le visiteur se trouve dans un univers où se confondent objets et machines réels, séries télé, cinéma (il y a même Mon oncle de Jacques Tati), installation vidéo, on ne sait plus très bien s’il est question de réalité ou de fiction.

Avec The Waste, Zan-Lun Huang imagine une nouvelle forme de consommation à partir de cette hybridation homme/machine,mécanique/organique composée d’éléments dont l’obsolescence est programmée.
Nous avons en nous des parties organiques qui meurent et se régénèrent. Dan Chen propose une urne funéraire dans laquelle sont incinérés régulièrement les bouts d’ongle ou de cheveux coupés, les squames de la peau, histoire sans doute de nous préparer à ce qui reste, quelles que soient ces technologies, l’inéluctable :

La sexualité bien entendu n’échappe pas au phénomène. Je passe sur ce qui est censé télétransmettre les sensations, la culture tamagotchi ou comment faire ami-ami avec son robot. Je m’arrête un instant sur cette installation :

Dans cette vidéo de Kevin Grennan, l’anniversaire de l’androïde, le robot a beau faire mine de souffler les bougies de son gâteau d’anniversaire mais il n’a ni poumon ni souffle. L’auteur veut ainsi montrer que les machines n’ont au contraire des humains pas besoin de rituel.

Dan Chen : End of life Care Machine
Une machine caresse le bras d’une mourante et la console de l’absence de sa famille. Le concepteur de cette installation qui avait une visée critique a été surpris qu’on lui demande où il était possible de se procurer un tel robot.
La poupée Cayla
Je quitte un instant l’exposition pour introduire un fait d’actualité : l’interdiction en Allemagne d’une poupée connectée Mon amie Cayla qui comme le montre l’image est également commercialisée en France sans apparemment y soulever le moindre problème.

Cayla est une poupée connectée qui ne peut fonctionner, entretenir une conversation ou encore jouer que si elle est connectée à un smartphone ou une tablette via Bluetooth précise le distributeur de jouets, la Société britannique Vivid. De la chambre de l’enfant, la poupée est reliée à un réseau planétaire. Le jouet est fabriqué par la firme américaine Genesis qui fait l’objet d’une plainte aux Etats Unis pour enfreinte à la protection des données concernant les enfants. La multinationale Nuance communications qui fournit le logiciel de reconnaissance vocale et de traitement des données est associée à la plainte dont on trouvera ici  le texte.
Le régulateur allemand des réseaux a engagé l’interdiction sur le fondement du p§ 90 de la loi sur les télécommunications qui interdit de posséder, fabriquer, importer ou commercialiser un émetteur ou un dispositif de télécommunication ayant une forme masquant sa fonction par exemple en lui donnant la forme d’un objet d’usage quotidien. Il est de même illicite qu’un tel objet permette l’écoute indiscrète d’une parole non destinée à être publique. Texte intéressant car il suppose que tout objet connecté doit clairement identifier sa fonction de mise en réseau. Il y avait bien dans le cas qui nous occupe un collier qui s’allumait quand le jouet était en réseau mais outre qu’il ne fonctionnait pas dans tous les cas de figure, l’application pouvait le débrancher. Et puis on ne s’attend pas à ce qu’un collier de poupée remplisse ce rôle de signal. C’est donc parce que ses fonctionnalités technologiques sont masquées que la poupée a été interdite. C’est un étudiant en droit de l’informatique, Stefan Hessel, de l’université de Sarre, qui a soulevé le lièvre. Le régulateur n’y est apparemment pas parvenu tout seul. Il vient pourtant d’ajouter à ses attendus « la protection des plus faibles » Ce n’est pas faute d’avoir été alerté par les associations de consommateurs européennes. Le jouet avait été élevé au rang des 10 meilleurs jouets de l’année 2014 par les professionnels de la profession. Sa commercialisation n’est pas toute récente. Là comme ailleurs les pouvoirs publics sont par défaut aux abonnés absents. Stefan Hessel a montré que l’on pouvait avec n’importe quel appareil équipé d’une technologie à la dent bleue, Bluetooth, interférer avec le réseau de la poupée même à travers l’épaisseur de plusieurs murs.
On sait pourtant que ces poupées sont incapables de participer à un jeu. Elle est en ligne et cherche ses réponses via le net à condition que la question soit préformatée. Le distributeur recommande de ne pas poser la question en s’adressant à la poupée par son « prénom ». Les enfants, on le sait depuis longtemps préfèrent jouer avec l’emballage du cadeau plutôt qu’avec ce type de contenu.
Un autre design change-t-il la question ? L’exposition Hello, Robot présente Musio, un robot pédagogique conçu par la société AKA Study.
Musio est capable de dialoguer simplement avec son utilisateur, mais aussi de rappeler les rendez-vous prévus, signaler l’arrivée d’un mail, ou encore de raconter des blagues. Il peut également demander à son interlocuteur s’il a passé un bon week-end ou discuter avec lui de son hobby à condition qu’il lui en ait déjà parlé auparavant, et peut prendre le contrôle des autres objets connectés de la maison pour contrôler les lumières, la climatisation ou encore changer la chaîne de la télévision. Il existe trois versions du robot, Musio Simple, Musio Smart et Musio Genius.
Il est temps de conclure ce premier tour d’horizon. Le second traitera plus de l’intelligence artificielle. Pour finir comme j’ai commencé, avec le théâtre, cette citation d’un auteur de comédie américain que des étudiants ont illustré par un robot qui donne une impression d’hésitation :
« L’erreur est humaine, en attribuer la faute aux robots est encore plus humain »
(Robert Orben)
Comme l’écrit Amélie Klein, curatrice, l’exposition s’efforce de saisir un moment des évolutions en cours dans le domaine de la modernité digitale – ce qui est au vu de la rapidité des évolutions toujours un peu une gageure – en se demandant si nous ne vivons pas un moment Iron-Bridge. L’iron-bridge est le premier grand pont en fonte jamais construit mais il l’a été sur le modèle des ponts en bois. Il avait fallu encore quelque temps pour basculer entièrement du monde du bois dans celui du fer et de l’acier.

À suivre ici

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