Nouvelles de l’anthropocène (1)

Les niveaux Kaub du Rhin de 2003 à 2018 (Source)

Selon les information des ports suisses du Rhin, le tonnage de fret transbordé dans les ports suisses du Rhin affiche, pour l’année 2018, un recul de 19 %, toutes catégories confondues, par rapport à l’année précédente. Cela vaut pour tous les ports du Rhin supérieurs. La cause de ce fort recul réside dans le fait que le Rhin a atteint des niveaux historiquement bas. Ils ne sont pas seulement imputable à la sécheresse de l’été. La situation s’est aggravée dès le mois de juin et a perduré pratiquement jusqu’à la fin de l’année. Les deux derniers mois ont été particulièrement difficiles. Il y a eu, en 2018, autant de journées de basses eaux que pour les années 2010 à 2018 réunies. Le graphique ci-dessus couvre les années 2003 à 2018 et montre l’état des niveaux d’eau. On utilise pour cela un étalon appelé niveau Kaub. C’est à Kaub am Rhein en Rhénanie-Palatinat, à une heure de route de la Lorelei, que le Rhin mesure son niveau le plus bas par rapport à ceux du Rhin supérieur et du Rhin moyen (ce dernier va de Bingen à Bonn en passant par Koblenz). Ce niveau ne mesure pas la hauteur du Rhin depuis le lit mais une hauteur de mouillage mise en relation avec les tirants d’eau des bateaux. Il sert à déterminer la charge que peut transporter le bateau. (Source) La colonne rouge indique le niveau de moins de 80 cm, l’orange se situe sous 1 mètre 50, et le vert ce qui se situe au-dessus. Le vert a tendance à baisser et le rouge à augmenter. Il signifie donc des tonnages moindre. Il n’existe aucune interdiction de navigation administrative pour les basses eaux. A chacun de savoir ce qu’il peut transporter. (Source : Port of Switzerland). Les niveaux d’eau ont aussi des effets sur le nombre de bateaux pouvant circuler. Ce dont il est question ici concerne l’activité d’import – export des ports suisses par ailleurs en progression en volume

Toutes les difficultés économiques sur les bords du Rhin ne sont pas attribuables au niveau de l’eau du fleuve. Pour le port de Mulhouse-Rhin, par exemple, les problèmes de navigation se conjuguent avec l’embargo états-uniens envers l’Iran. De même pour la chimie allemande à propos de laquelle le journal Le monde écrit : « Le bas niveau du Rhin a touché directement la production du groupe [BASF] l’été dernier. Pour la même raison, les fortes perturbations du transport fluvial ont plombé ses livraisons, de même que celles de son principal client, l’automobile allemande (18 % de son chiffre d’affaires), par ailleurs empêtrée dans les nouvelles procédures d’homologation antipollution WLTP des véhicules ».

Bien d’autres facteurs ont joué un rôle dans les problèmes du secteur de la chimie. Le Rhin n’est pour rien dans la concurrence chinoise. Et quelle idée aussi pour Bayer d’avoir voulu racheter Monsanto ! Mais c’est un autre sujet.

Surtout depuis la construction du Canal d’Alsace ( issu du Traité de Versailles) qui le double, au départ essentiellement pour la production hydroélectrique en voie de privatisation, le Rhin est navigable de Bâle à Rotterdam constituant l’équivalent d’un grosse autoroute bien dense, à la différence que la tonne transportée y revient moins cher. On peut ici se poser la question de savoir si le toujours plus grand, toujours plus gros et toujours plus vite est aussi beautiful qu’on veut nous le faire croire.

Le Rhin n’est pas seulement un milieu « naturel », en cours de « renaturation », c’est un milieu anthropisé, façonné par les activités humaines qui l’on rectifié et canalisé, d’abord contre ses crues. S’il en a toujours connu, ainsi que des périodes de basses eaux, les difficultés amplifiées actuelles que connaît son cours sont un effet du réchauffement climatique avec le recul des glaciers alpins. Et la faible pluviométrie. Je rappelle que le Rhin est aussi un « bras de mer ». A l’autre bout, se pose le défi de l’élévation du niveau de la mer aux Pays-Bas.

Je veux me contenter, ici dans un premier temps, de poser un effet économique – boule de neige – concret de l’anthropocène. Encore faut-il le reconnaître comme tel pour le panser (Bernard Stiegler) et pour ne pas envisager des solutions qui aggraveraient le mal. L’une d’entre elles est en cours. Elle consiste dans le creusement du lit du fleuve. Le premier qui avait voulu court-circuiter les méandres du Rhin l’ avait rendu impraticable.

Bâle : grève pour le climat. Photo © GEORGIOS KEFALAS

La ville de Bâle en urgence climatique

Le 2 février dernier, entre 8 et 10.000 élèves ont manifesté dans les rues de Bâle ainsi que dans de nombreuses autres villes suisses (4000 à Genève) pour réclamer du parlement et du gouvernement des mesures effectives et conséquentes de lutte contre le réchauffement climatique. Le 20 février, le Grand Conseil de Bâle-Ville a approuvé une résolution proclamant «l’urgence climatique». Le texte de la déclaration utilise l’expression en anglais de Climate Emergency en en soulignant le caractère symbolique, c’est à dire non opposable. On peut y lire ceci :

« […] Le changement climatique n’est pas seulement un problème de climat. C’est une question économique, de sécurité, de protection des espèces et de paix.
On ne peut ni ne doit compter sur le fait que la réponse à ce problème soit de résolution seulement individuelle. Il y faut maintenant au niveau communal, cantonal, national et international des mesures pratiques pour contrer la catastrophe qui menace. Les mesures et plans actuels ne sont pas suffisants pour limiter d’ici 2050 le réchauffement à 1,5°. C’est pourquoi, il est plus important que jamais d’agir.

Le Grand Conseil de Bâle se déclare en Climate Emergency et reconnaît ainsi l’endiguement du changement climatique et de ses lourdes conséquences comme une tâche de la plus haute priorité.
Le Grand Conseil de Bâle tiendra compte des effets sur le climat comme de la durabilité écologique, sociale et économique pour toutes les affaires concernées et tant que faire se peut traitera prioritairement de celles qui atténueront le changement climatique et ses conséquences […] »

(Source en allemand)

Angela Merkel : nous vivons dans l’anthropocène

A l’ouverture de son discours à la 55ème conférence pour la sécurité à Munich, le 16 février dernier, Angela Merkel a évoqué l’anthropocène, qu’elle a défini non par ses causes mais par ses effets, après avoir évoqué Alexander von Humboldt qui a vécu au seuil de l’industrialisation et dont elle retient le tout est interaction („Alles ist Wechselwirkung“- je précise que, pour von Humboldt, cela vaut pour les hommes, les animaux, les continents voire le cosmos) :

„[…] wir haben das Anthropozän. 2016 wurde diese Definition dann auch von der internationalen geologischen Gesellschaft übernommen. Das heißt, wir leben in einem Zeitalter, in dem die Spuren des Menschen so tief in die Erde eindringen, dass es auch nachfolgende Generationen als ein ganzes Zeitalter, das vom Menschen geschaffen wurde, ansehen werden. Das sind Spuren von Kernwaffentests, des Bevölkerungswachstums, der Klimaveränderung, der Rohstoffausbeutung, des Mikroplastiks in den Ozeanen. Und das sind nur einige wenige Stichworte von dem, was wir heutzutage tun“.

Rede von Bundeskanzlerin Merkel zur 55. Münchner Sicherheitskonferenz am 16. Februar 2019 in München

Traduction

« Nous sommes dans l’anthropocène. En 2016, la société internationale de géologie en a adopté la définition. Cela veut dire que nous vivons à une époque dans laquelle les marques de l’homme pénètrent si profondément la terre que les générations futures l’appréhenderont comme une ère entièrement façonnée par l’homme. Ce sont les empreintes (ou les traces) des essais nucléaires, de la croissance démographique, du changement climatique, de l’exploitation des ressources naturelles, des microplastiques dans les océans pour ne citer que quelques exemples de nos actes d’aujourd’hui »

Dire cela devant ce que le journal Le Monde appelle « le gotha de la défense et de la sécurité du monde entier » n’est pas, me semble-t-il, négligeable, même si le propos revêt, là aussi, un caractère symbolique. Le journal cependant n’en dit mot. Le constat, qu’il faut cependant faire, ne suffit pas. L’on n’en saura pas plus sur le pourquoi du comment.

Certes, pour les deux derniers exemples, on peut dire : des mots tout cela. Encore faut-il les prononcer. Le Grand conseil de Bâle précise, dans une note jointe à sa déclaration prise en réaction aux manifestations de la jeunesse, que la notion d’urgence climatique est à prendre « symboliquement », c’est à dire qu’elle ne saurait « constituer une base juridique » pour en déduire des « mesures d’urgences ». C’est pourtant ce qu’elles impliquent. Mais, à force de dire, il faudra bien finir par faire. C’est pourquoi j’ai trouvé intéressant de les associer à un cas concret, celui de la navigation sur le Rhin, qui demande des mesures concrètes. Cela confère à ce qui ne pourrait n’apparaître que comme des mots un autre poids. Et il ne s’agit pas ici d’une quelconque opposition entre citoyens écolos et industriels. Ces derniers y sont confrontés aussi. Ils vont en chercher leurs solutions. Il y a fort à parier qu’elles seront à court terme. Le débat devrait porter tout de suite sur le comment qui suppose, pour en constituer le remède, d’en approfondir le diagnostic.

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