Si au niveau de la planète s’installe le réchauffement climatique, le climat des relations humaines est lui marqué par un net refroidissement. Dans les temps de crise l’indifférence et la froideur croissent d’autant plus que les perspectives d’en voir l’issue sont sombres explique Götz Eisenberg dans une réflexion construite à partir d’un fait divers, un fait d’hiver. Je remercie Götz Eisenberg que les lecteurs du SauteRhin connaissent déjà pour m’avoir signalé son texte et pour m’avoir autorisé à le traduire et le publier. Je crois son avertissement important même si j’ai personnellement quelques réserves sur certains aspects. Elles sont brièvement évoquées plus loin pour inviter au dialogue.
La pétrification des cœurs
par Götz Eisenberg
Dans la Süddeutsche Zeitung des 29/30 octobre [2016], je suis tombé sur une nouvelle qui ne m’a pas lâchée depuis que je l’ai lue. Dans l’après-midi du 3 octobre, le Jour de l’unité allemande, un homme de 82 ans s’est effondré dans le hall d’une agence bancaire de Essen. Pendant les vingt minutes qui suivirent, au lieu de se préoccuper de lui, plusieurs personnes ont enjambé l’homme étendu à terre ou bien l’ont soigneusement évité. Comme on l’apprend de la part des enquêteurs, elles sont passées en partie très près du mourant, en partie par dessus pour s’occuper de leurs propres affaires financières. Après cela, les clients ont quitté les lieux.
Sur les vidéos de surveillance, on peut, selon la police, voir comment, quelque cinq minutes après le malaise, la première personne pénètre dans le hall et ignore l’homme à terre. Celui-ci gisait au milieu de l’espace et était bien habillé, a déclaré le porte parole de la police. Il a fallu attendre que le cinquième client alarme les secours. L’homme est décédé quelques jours après son malaise. C’est sa mort qui a permis d’informer plus largement de l’incident.
La police a, entre-temps, obtenu de l’établissement de crédit la liste des personnes qui se sont livrées à des opérations avec leurs cartes bancaires. Les enquêteurs partent de l’hypothèse que toutes les personnes visibles sur la vidéo de surveillance, trois hommes et une femme, ont utilisé leur propre carte de crédit. Elles ont été, cette semaine, entendues par la police. Elles risquent, selon celle-ci des poursuites judiciaires pour non assistance à personne en danger.
Voilà donc la trace que laisse une vie dans une brève de journal. Sur la personne désormais décédée, nous ne savons, ni n’apprenons rien de plus si ce n’est qu’elle était bien habillée. Comment comprendre cette indication du porte-parole de la police ? Il sous-entendait probablement que si l’homme avait eu l’allure d’une personne démunie ou à la dérive on aurait pu comprendre le comportement des clients qui auraient pu penser c’est quelqu’un qui cuve sa cuite et auraient ainsi été excusés.
Au lendemain de la lecture de la nouvelle dans le journal, je me suis rendu dans une agence de banque pour imaginer ce qui avait bien pu se passer. Une vie s’éteint au milieu d’automates bancaires. Le vieil homme meurt de l’indifférence des autres qui sont eux-mêmes en quelque sorte des automates bancaires vivants. Une mort d’aujourd’hui, qui est aussi l’allégorie de l’état actuel de notre société. L’état de notre conscience morale se mesure à notre relation à nos semblables. Dans le hall de l’agence bancaire de Essen, il s’est révélé qu’existent entre les humains une indifférence et une absence de compassion qui laissent préjuger d’une érosion morale rapide. Si nous voulons en comprendre les raisons, il nous faudra parler d’une société adonnée à la multiplication de l’argent et qui ne connaît de valeurs que les valeurs boursières. L’argent n’a pas de morale, il s’en fout de la morale. Ceux qui ont laissés le vieil homme par terre s’avéreront être des citoyens corrects, absolument normaux. Leur absence de compassion est celle de tous, l’absence de compassion d’une société dont le seul impératif catégorique est l’optimisation et l’enrichissement privés. Tout le reste est poudre aux yeux.
Dans les décennies écoulées dominées par le néolibéralisme, nous nous sommes manifestement habitués à voir des hommes couchés par terre, sur les bancs, sous les porches. On enjambe des mendiants en allant acheter son champagne. Ces années dans le climat arctique du marché débridé ont gelé les hommes eux-mêmes, les ont insensibilisés. Voir un homme couché par terre ne provoque plus de compassion encore moins une impulsion à entreprendre quelque-chose, à aider. Compassion et aide passent pour des attributs de benêts [voir ici sur le mot Gutmensch] et sont dénigrés comme étant du fatras social. Ce matin, j’entendais un jeune homme dire dans son téléphone : pourquoi tu dis cela, les gens pensent déjà que je suis un loser. Être un loser déjà devenu une insulte usuelle entre enfants.
Ce qui s’est passé dans la banque de Essen n’est pas un cas isolé. A la fin de l’année 2015, un homme s’est effondré dans un ascenseur du métro viennois. Pendant des heures, il est resté étendu sur le sol de la cabine dans laquelle constamment des gens montaient et descendaient. Ce n’est que le lendemain que le personnel d’entretien a prévenu les secours qui ne purent que constater le décès. L’autopsie constata que l’homme était mort par intoxication à l’alcool mais qu’il aurait pu être sauvé si de l’aide lui avait été apportée plus tôt et s’il avait été mis sous ventilation mécanique. L’homme est resté allongé sur le sol de la cabine pendant cinq heures sans que personne n’ait eu l’idée d’entreprendre quelque chose.
Je me souviens d’un incident un peu plus ancien qui s’était déroulé à Munich. Des enfants avaient marché sur la glace d’un lac olympique qui s’est brisée. Sur les bords se trouvaient un certain nombre d’adultes qui ont assisté au malheur. Il ne vint à l’idée de personne d’apporter de l’aide ou au moins d’appeler des secours. Les pompiers ne sont arrivé que plus de vingt minutes plus tard mais ne purent recueillir qu’un enfant déjà mort. Ce lac est au plus profond de 1,40 mètres. Ce n’était dangereux pour aucun des adultes qui aurait décidé d’intervenir.
Comment expliquer un tel comportement ? Personne ne veut prendre de responsabilité. Personne ne veut faire quelque chose de travers. Sauter soi-même dans la brèche et porter secours a manifestement été effacé de la panoplie de nos comportements. N’avons-nous pas pour ces cas-là des personnes formées ?, disent les gens. Les experts, à l’origine appelés à compenser des insuffisances sociales, contribuent, lorsque qu’ils se sont établis comme une profession, à affaiblir le système immunitaire social en le dépossédant de ses compétences. Au bout d’un moment les gens se disent : plutôt que de faire une bêtise en voulant apporter mon aide, je laisse faire les spécialistes et je m’abstiens. Il se peut que cela contribue à expliquer les comportements des clients de l’agence bancaire de Essen ou des spectateurs autour du lac de Munich. Nous connaissons l’effet spectateur ou non-helping-bystander-effekt aussi des attaques survenues dans le métro ces dernières années. Mais ces attitudes ont néanmoins des racines sociales profondes.
La froideur des relations humaines et l’indifférence qui nous effraye tant proviennent de la forme cellulaire économique de la société bourgeoise, la marchandise. Le modèle de base de cette indifférence est formé par l’abstraction de l’échange. Pour pouvoir échanger des objets très différents, il faut faire abstraction de leur constitution matérielle concrète. Les objets ne deviennent compatibles que sous la forme de travail abstrait indifférencié. On ne peut échanger qu’en effaçant les propriétés spécifiques des objets à échanger et en les ramenant à une forme abstraite qui leur est commune. Cette forme, Marx l’appelle forme équivalent ou forme valeur. C’est là le principe qui domine la vie de l’ensemble de la société bourgeoise. L’abstraction de la valeur d’usage et sa réduction à la valeur d’échange transforment les échangeurs eux-mêmes en sujets de marchandise et d’argent équivalents et indifférenciés. Les gens deviennent de cyniques et pragmatiques machines à échanger dont les relations sont expurgées des sentiments qui les perturbent. Ils sont endurcis au sens physique et psychologique. Leur froideur est l’une de leurs caractéristiques les plus prégnantes, en froid non seulement envers la souffrance étrangère mais envers eux-mêmes. La dureté envers soi-même justifie de celle envers les autres.
C’est cela la forme de base de ce que Adorno a appelé froideur bourgeoise. Étroitement liée à la forme de la marchandise et en découlant, elle est consubstantielle à la société bourgeoise et non un ingrédient tardif surmontable, sans modification substantielle, par des appels à s’aimer mieux et à prodiguer de la chaleur aux autres. L’intolérance envers celui qui est autre, la colère contre la différence trouvent en fin de compte leur origine dans la domination de la valeur d’échange sur la valeur d’usage. Tout ce qui dérange le processus d’échange est éliminé. Aussi longtemps que des pans entiers de la société ont été soustraits à la pure logique d’échange, ils ont pu, à la manière d’une vie dans une réserve, préserver une autre manière de vivre les rapports humains orientée sur les besoins et les valeurs d’usage. Avec l’universalisation de la forme marchandise qui s’opère actuellement, l’indifférence et la froideur s’incrustent dans toutes les couches de la construction sociale et pénètrent dans les dernières pores de la vie quotidienne et dans l’intimité des mondes intérieurs. Sous nos yeux, naît un type humain de part en part capitaliste incapable de se mettre dans la peau d’autres et dont le monde intérieur est un paysage glaciaire. Ce qui est aujourd’hui encore diagnostiqué comme une pathologie de psychopathie menace de devenir, dans un avenir proche, si rien ne change, la norme et le caractère social hégémonique.
Ce n’est sans doute pas un hasard si ces jours-ci une nouvelle version cinématographique du conte de Wilhelm Hauff, Le cœur froid, arrive dans les cinémas. C’est une étrange mais très actuelle histoire écrite par le grand écrivain romantique Wilhelm Hauff en 1827 et publiée dans son Almanach de contes. Au centre de l’histoire se trouve le pauvre charbonnier Peter Munk. Dans son pays la Forêt Noire, il vit au milieu de gens qui mènent une vie souvent rudimentaire mais digne en abattant des arbres, en flottant les troncs, au milieu de charbonniers, d’horlogers ou de souffleurs de verre. Ils produisent des choses utiles, solides qui sont certes échangeables contre de l’argent mais ne sont pas produites d’abord pour de l’argent. Ils ne vivaient naturellement pas dans un âge d’or mais dans ce que l’écrivain et cinéaste italien Pier Paolo Pasolini appelait l’âge amer du pain, qui a cependant produit sa propre culture et dignité. La pauvreté de Peter et l’utilisation dissipatrice et stupide des trois vœux que lui octroie le petit homme de verre, le jette dans les bras de Michel le hollandais, un homme d’affaire sans scrupule. Celui-ci en contrepartie de son aide s’approprie le cœur vivant de Peter en échange d’un cœur en pierre. Peter possède ainsi des bonnes dispositions intérieures pour faire des affaires, il devient avare et cupide. Il est aussi devenu incapable de rire et de pleurer, incapable d’aimer et de partager le destin des autres. Il ne ressent plus rien et passe sur des cadavres pour se garantir le succès dans les affaires. Chacun pourra lire lui-même la fin de l’histoire.
Le conte témoigne d’une situation de grande transformation sociale, d’une profonde crise des conditions de vie des hommes. L’argent et la production de marchandises s’étendent et pénètrent toutes les pores de la société. Les hommes souffrent d’une dépossession de soi [Entfremdung] croissante qui se pose comme une couche de givre sur eux et les choses. L’économie de l’argent produit de l’insatisfaction et créée le besoin de devenir vite riche. La catégorie de suffisant est remplacée par une nouvelle absence de limite. La valeur d’échange est par sa nature infinie comme l’avait déjà reconnu Aristote. Le capitalisme qui en est issu est un système qui doit être en constant mouvement, le franchissement permanent et l’abolition de toutes les limites sont dans sa nature. Dans son appétit de loup-garou (Marx) pour des sources toujours nouvelles de profit, le Capital court le risque de passer les bornes. La société capitaliste n’a pas dans un premier temps détruit l’héritage de l’époque précédente mais a utilisé cet héritage pour ses propres objectifs et en a vécu. Mais Marx devait garder raison avec sa prophétie. Le capitalisme est la force de la révolution permanente. Logiquement, il devrait finir par désintégrer même les dimensions du passé pré-capitaliste qu’il a trouvées commodes, voire essentielles pour son propre développement. Il devait finir par scier au moins l’une des branches sur lesquelles il était assis. C’est ce qui se produit depuis le milieu du siècle », écrit Eric J. Hobsbawn dans son livre sur le 20ème siècle qu’il a appelé L’âge des extrêmes.
Les sociétés capitalistes sont traversées par des temporalités différentes. Des éléments quasi-féodaux, agraires-artisanaux, de corporation ont été longtemps épargnés de la subsomption sous le Capital. Cela faisait que maint reste était fonctionnellement vital pour le Capital. La famille, l’éducation des enfants, apprendre, soigner, l’hospitalité et d’autres champs ne peuvent être soumis à la valorisation capitaliste sans préjudice en profondeur et sans perdre leurs fonctions y compris pour le Capital lui-même. L’identité humaine et, en fin de compte, aussi la force de travail humaine ne peuvent être apprêtées comme une marchandise par des marchandises.
Pour le présent, nous devons nous demander si la valeur d’échange n’est pas en passe de dévorer intégralement la valeur d’usage. S’il en était ainsi, il n’y aurait plus d’histoire plus de dialectique car celles-ci vivent de la tension et de la contradiction entre valeur d’usage et valeur d’échange. Dans le relation d’une mère avec son petit enfant, par exemple, s’est longtemps maintenu un mode de production orienté vers les besoins sans lequel le nouveau-né ne serait pas devenu un être humain avec des qualités humaines. Pouvons nous encore l’admettre sans réserve compte tenu des nouvelles formes d’abandons d‘enfant digitals numériques ? Actuellement, au nom de la mobilité et de la flexibilité, les conditions de socialisation des nouveaux nés et des adolescents sont radicalement transformées. Les enfants sont entourés d’appareils et de machines à images, une socialisation par des appareils remplace l’éducation par des êtres référents vivants et physiquement présents. Les enfants sont précipités du ventre de leur mère dans le marché débridé sans qu’un airbag familial n’amortisse le choc. Ce qui extérieurement offre encore l’image d’une famille, n’est intérieurement souvent qu’indifférence et froideur, la simple cohabitation de solitudes. Quelles sont les structures psychiques qui se développent dans ces conditions et à partir de quoi va pouvoir se développer l’estime de soi des enfants ?
Nous ne sommes pas encore complètement entrés dans le nirvana de l’argent (Robert Kurz). Nous sommes dans une phase de transition. Certains des processus décrits sont encore inachevés, beaucoup de choses sont encore en suspens. Mais rien que l’usage fréquent de l’adverbe encore signale la situation précaire de ces îlots que constituent d’autres formes de vie et d’existence. Tous ces développements inégaux menacent d’être pris dans la fureur de la disparition et d’être organisés sur le modèle des dures exigences du paiement comptant (Marx). Les cœurs de bien des gens ne sont pas encore complètement pétrifiés, il existe encore de la compassion et de la solidarité comme le montrent l’engagement pour les réfugiés et celui que l’on rencontre dans d’autres domaines sociaux.
Nous devons nous poser la question : quelles attitudes humaines s’épanouissent, lesquelles s’estompent dans un climat social donné. Les qualités et capacités que nous considérons comme véritablement humaines ont besoin du soutien extérieur. C’est précisément la raison pour laquelle aussi il nous faut, tant que nous vivons dans les conditions capitalistes, un État social développé et en capacité d’agir. Tout comme les conventions de La Haye et de Genève ont tenté de définir et d’imposer des règles et limites à la guerre entre les nations, l’État social tente de contenir la guerre de tous contre tous à l’intérieur de la société. Il lui pose des limites et formule des règles qui en atténuent pour ceux qui en sont touchés les pires effets des principes du Capital et du marché. Il promeut, dans les phases où il ne se contente pas de paroles mais agit, des vertus telles que le sentiment du devoir, l’aide mutuelle et la solidarité. A l’inverse son effacement favorise les tendances, inscrites dans la société capitaliste, à l’agression, l’animosité mutuelle et l’indifférence aux autres. Il y a une différence non négligeable entre le fait de vivre et grandir dans une société dans laquelle l’on vient en aide solidairement et où l’on épaule les plus faibles et ceux qui peuvent moins et le fait de vivre de grandir dans une société dans laquelle ils sont livrés à la misère et deviennent, qualifiés de losers, l’objet de railleries et de mépris. L’Autre, le semblable, devient dans ces conditions un concurrent ennemi en surnombre, finalement un non humain à qui l’on refuse toute compassion et tout soutien. On s’habitue à ce que le bonheur des uns s’accompagne du malheur des autres : le bonheur c’est quand la flèche touche le voisin.
Nous n’y sommes pas encore mais nous devons faire des efforts si nous voulons un renversement de tendance. Il faut renforcer les processus orientés vers les besoins que le Capital n’a pas réussi à enterrer. Nous devons nous référer aux dommages causés par le principe du Capital et empêcher que ne meurent de froids les sentiments humains qui restent. Dans les temps de crise, l’indifférence et la froideur croissent d’autant plus que les perspectives d’en voir l’issue sont sombres. Mais quand le courant froid (Ernst Bloch) se répand, en général les torches ne sont pas loin. L’étranger et l’étrangeté sont des proies faciles pour des foyers d’incendie autour desquels de trompeuses et fausses communautés d’esprit réchauffent leurs mains froides ainsi que nous pouvons l’observer depuis deux ans, tous les lundis, à Dresde.
Nous devons opposer à cela un véritable courant chaud. Courants froid et chaud prennent naissance au centre de la société, ce qui se passe aux marges en est issu. C’est pourquoi nous avons besoin d’une économie solidaire, d’une économie du bonheur (Pierre Bourdieu) dont le but serait non pas le profit mais la satisfaction des besoins humains. Sur cette base pourrait naître une société où l’intégration sociale et les relations sociales reposeraient sur des formes de coopération solidaire et d’amour du prochain vécu au lieu d’une socialisation a-sociale par le marché et l’argent. Nous ne sommes pas encore pleinement des humains, nous sommes des pas-encore-humains rabaissés et rabougris par la société de classe. Dans le meilleur des cas, nous sommes des êtres qui s’efforcent d’atteindre à des relations humaines. Quand une humanité enfin parvenue à la raison aura aboli l’argent et la production de marchandises et qu’aura été introduite une économie orientée sur les besoins sensibles et sur les critères de soutenabilité, il se pourrait qu’alors les hommes acquièrent des traits véritablement humains et se mettent à s’intéresser les uns aux autres. Personne ne devrait plus alors mourir seul au milieu de distributeurs de billets de banque.
Götz Eisenberg
Traduction : Bernard Umbrecht
La version allemande du texte est parue dans le quotidien Junge Welt du 12-13 novembre 2016
Quelques remarques rapides pour amorcer le dialogue
L’économie du bonheur, selon Pierre Bourdieu serait une économie qui prendrait acte de tous les profits, individuels et collectifs, matériels et symboliques, associés à l’activité (comme la sécurité), et aussi de tous les coûts matériels et symboliques associés à l’inactivité ou à la précarité (par exemple, la consommation de médicaments : la France a le record de la consommation de tranquillisants) (Pierre Bourdieu, Contre-feux, Paris, Raisons d’agir, 1998).
Il n’y a pas, me semble-t-il de capitalisme sans valeur d’usage, il en faut pour qu’il y ait marchandise donc profit. Le succès de Google repose bien sur le fait qu’il produise de la valeur d’usage. Et, de mon point de vue, il y a bel et bien une limite aux capacités d’échange, c’est celle de la solvabilité. Sans pouvoir d’achat, il n’y a pas non plus de marchandise et de profit. Je crois important d’insister sur la responsabilité des pouvoirs publics dans ces domaines non comme une instance moralisante mais comme celle qui organise pratiquement la solidarité. Je pense cependant que la restauration d’un état social ne suffit pas. Il faut une convention internationale sur la guerre économique mondiale. Par ailleurs, si l’État social est en crise, c’est parce que le capitalisme consumériste est en crise. Celui-ci ne me paraît pas restaurable même si on n’arrête pas de vouloir nous le faire croire. Il faut inventer un autre modèle de société qui intègre – et permette à la société d’adopter et de s’approprier – la révolution digitale.
Le Cœur froid, de Wilhelm Hauff, a fait l’objet d’une adaptation radiophonique de Walter Benjamin : Au pays des voix, il existe aussi une Forêt Noire,…
Petite coquille : « abandons d‘enfant digitals » (digitaux).
Pour votre remarque, il faut voir que le système fonctionne très largement à crédit. La solvabilité n’est donc plus une limite, on se contente d’aller d’éclatement de bulle en éclatement de bulle financières.
Très beau texte en tous les cas, merci de l’avoir traduit. 🙂
D’accord avec vous sur la coquille : digitaux dans le sens de numériques.
Exact : « digital » est un anglicisme, courant, mais anglicisme quand même. 🙂