Je ne l’ai pas souligné dans ma tentative de définir le SauteRhin, mais il y aurait aussi comme fonction du blog le fait de partager des documents difficiles d’accès voire inaccessibles, dès lors que l’on en dispose. On parle beaucoup de patrimoine mais la question de son contenu est évacuée. Et il arrive au dit patrimoine d »être hémiplégique. J’ai retrouvé dans mes archives le document ci-dessous qui traite d’un moment singulier de l’histoire de l’Alsace où celle-ci se croise avec celle de la Commune de Paris alors que, dans le même temps, la région bascule dans l’orbite germanique. Le texte de Roland Beyer dont j’ai eu le plaisir de suivre plusieurs années à la fac les cours de littérature comparée est celui d’une intervention prononcée en octobre 1974 lors d’un colloque du Centre de recherches et d’études rhénanes, portant sur le concept de liberté dans l’espace rhénan. Texte repris dans la revue d’histoire de l’ Association des Amis de la Commune de Paris 1871, en 1979. Je le publie sans commentaire, ce qui ne veut pas dire qu’il n’y aurait pas des choses à discuter, j’aurais peut-être l’occasion de le faire. Il y a notamment cette notion de prussien(s) sans doute en usage à l’époque pour désigner l’empire allemand.
J’ai effectué quelques coupes, leurs endroits et leurs contenus sont signalés. Toutes les notes sont reportées en fin.
Un combat pour la liberté
Les deux cent alsaciens de la Commune de Paris
par Roland Beyer
Le 1er mars 1871, l’Assemblée nationale approuvait, par 546 voix contre 107 et quelques abstentions, la cession de l’Alsace et d’une partie de la Lorraine à l’empereur d’Allemagne récemment proclamé. Les députés alsaciens et lorrains avaient en vain élevé leur solennelle protestation. Elle ne devait pas même empêcher que toutes les villes d’Alsace aient leur rue Thiers, et aucune sa rue Delescluze, Amouroux, Gérardin ou Keller. La protestation contre l’annexion s’était pourtant armée dans la Commune de Paris de 1871.
Dès avant l’insurrection du 18 mars, le Père Duchêne écrivait :
« Ils nous ont cassé un bras. La France a perdu son Alsace, sa brave Lorraine, qui étaient foutre! si patriotiques que le Père Duchêne verse toutes les larmes de son corps quand il songe que ces braves bougres de Strasbourg et de Metz sont sous le sabre de Moltke et sous la schlague de Bismark » (1).
Ces sentiments étaient largement répandus dans l’ensemble de la population parisienne. C’est, par exemple, Georges Soria qui écrit:
« Jusqu’aux derniers jours de la Commune, la place de la Concorde fut un lieu de pèlerinage où de simples gens, chargés de brassées de lilas, remplaçaient les gerbes de fleurs flétries ornant la statue de Strasbourg. Pour vénérer l’Alsace et la Lorraine perdues, les ouvriers venus des quartiers périphériques mettaient leurs habits du dimanche.» (2).
On pourrait croire qu’il ne s’agissait là que de bons sentiments, de piété patriotique, ou, pourquoi pas, d’un peu de jacobinisme mêlé à beaucoup de nationalisme. La statue de Strasbourg en avait déjà vu et en verrait encore beaucoup.
Il est toutefois remarquable qu’un des principaux membres de la Commune, l’internationaliste Charles Amouroux, ait organisé sa défense devant la cour d’assises de Riom autour d’une thèse solennellement affirmée : la révolution du 18 mars est une conséquence directe de la perte de l’Alsace et de la Lorraine. Amouroux concluait :
« Nous demandons à être libéré et à travailler pour fournir notre obole à la terrible dette des cinq milliards de francs. Ah! cette obole, nous la doublerons, nous la triplerons s’il le faut, si, à l’ombre des institutions républicaines, nous nous préparons à prendre une éclatante revanche, qui nous rendra nos deux chères provinces » (3).
Peut-être n’était-ce qu’un moyen de défense, d’ailleurs inefficace (4) : en tout cas, la cause de l’Alsace et celle de la République sont ici étroitement liées. Elles l’étaient plus étroitement encore pour Charles Gérardin, alsacien de Saint-Louis, membre de la Commune. Il avait déclaré le 30 avril à « l’assemblée générale des citoyens nés en province et résidant à Paris, réunis au nombre de 100000 dans la cour du Louvre » :
« Si nous avons une espérance, c’est que nous nous rappelons que cette province a payé un large tribu à la France et à la République, et si nous pouvons avoir une espérance certaine de régénération, c’est dans la Commune que nous en trouverons la réalisation. Soutenons donc la Commune, et nous y trouverons la liberté entière, la libération de l’Alsace et de la Lorraine, livrées si misérablement par les lâches qui siègent à Versailles »(5).
Deux « combattants de base » attestent que cette déclaration répondait au sentiment général. C’est Théodore Riot, d’Obernai, employé, combattant de la barricade du XIe arrondissement, qui déclare au conseil de guerre qu’il a servi la Commune « parce qu’on avait vendu son pays ». Et c’est Louis Senn, d’Ottmarsheim, tailleur, artilleur de la Commune pour « venger son pays qui avait été trahi » (6).
Deux cent quatre alsaciens au moins ont pris part, à des titres divers, aux activités de la Commune de 1871. Était-ce hasard de résidence, étaient-ils des « alsaciens de Paris ». Nous y viendrons tout à l’heure. C’est d’abord aux manifestations publiques de leur présence que nous voudrions nous intéresser.
La participation collective des alsaciens à la Commune a pris trois formes très différentes, qui ne constituent à vrai dire, que la « partie visible de l’iceberg » – s’il nous est permis de parler d’iceberg pour un groupe relativement restreint de deux cents et quelques individus (7).
C’est d’abord la création, le 19 mars, de la Ligue de la délivrance. L’appel à la joindre parait au Journal officiel (de la Commune) du 5 avril, en même temps que dans le Cri du peuple de Jules Vallès. Nous le citerons en entier:
« Les Alsaciens et Lorrains présents à Paris se sont réunis il y a quelques jours à l’Alcazar, et ont décidé à l’unanimité de former une association ayant pour but :
1) De perpétuer le souvenir de la France dans les pays qui lui sont arrachés par la force; 2) d’engager énergiquement leurs compatriotes à ne point quitter leur pays natal et de venir en aide à ceux d’entre eux qui se verraient dans la nécessité d’émigrer; 3) d’étudier les voies et moyens qui pourraient amener la revendication des deux provinces si françaises de cœur.
Cette association prend le titre de Ligue de la Délivrance.
Tous les hommes, exceptés ceux qui ont pris part à la dernière guerre contre la France, peuvent être admis à faire partie de la Ligue, qui aura des ramifications dans tous les pays, en dehors de l’empire allemand.
La Ligue fait appel à tous les hommes de coeur pour les prier de lui apporter leur concours, soit comme membres actifs, afin de l’aider de leurs conseils et de leurs bras, soit comme membres honoraires, afin de contribuer à la, réunion des fonds dont la Ligue aura besoin pour atteindre le but qu’elle se propose.
Des délégués dans chaque arrondissement recevront les adhésions et les soumettront au comité central.
Les membres du bureau enverront les renseignements à tous ceux qui en feront la demande par correspondance.
Pour le comité central: Le président, Rempp, rue Molière, 26 ; – le vice-président, Myrtil-May, rue des Petites-Ecuries, 21 ; – le secrétaire, Raubert, rue du Faubourg- du-Temple, 137; – le secrétaire-adjoint, Fribourg, rue Saint-Martin, 26 ; -le trésorier, Weil, rue du Caire, 12 » (8).
De Rempp, Raubert, Fribourg et Weil nous ne savons que ce qu’on vient de lire (9). Myrtil-May est’ probablement Michel Myrtil, mosellan, employé de commerce, garde au 227è bataillon fédéré, et condamné à la déportation dans une enceinte fortifiée.
La Ligue ne se signalera ensuite que par deux communiqués : l’un, paru au Journal officiel du 7 avril (déjà!), et répété au même Journal officiel le 24 avril, par lequel le comité central de la Ligue met en garde les « individus de mauvaise foi » qui « abusent de son nom pour soutirer aux amis de la Ligue des sommes plus ou moins importantes ». L’autre, plus intéressant, confirme que la principale activité de la Ligue a été d’aider les alsaciens à ne pas quitter leur province :
« Le comité central de la Ligue de la délivrance (Alsace-Lorraine) s’est vivement préoccupé de la triste situation d’un certain nombre de ses compatriotes, réduits par les derniers événements à demander à la Prusse les moyens de regagner leur pays natal. Pour leur éviter cette humiliation, et pour fortifier en eux la résolution de demeurer dans leurs provinces respectives comme à un poste d’honneur, le Comité a cherché à faciliter leur rapatriement. Déjà il a obtenu de la Compagnie des chemins de fer de l’Est des permis de demi-place en faveur des Alsaciens et Lorrains, dont l’indigence serait dûment constatée. Il appartient aux Alsaciens et Lorrains, favorisés par la fortune, de faire le reste et d’assurer à leurs frères malheureux la gratuité complète de leur retour dans leurs foyers. Les souscriptions seront reçues chez M. Remp, président du Comité central de là délivrance, 36, rue Molière, et chez M. Fribourg, secrétaire-adjoint, 26, rue Saint-Martin ».
Le communiqué est du 21 mai : jour de l’entrée des versaillais dans Paris. Avec lui, nous sommes au cœur d’un problème qui ne pouvait guère trouver de solution théorique, et qui était celui de l’option et de l’émigration. Il est vrai que les alsaciens et lorrains ne savaient pas encore qu’en optant pour la France, ils se trouveraient contraints’ à l’exil. Mais la position de la Ligue de la délivrance est d’une parfaite netteté : il fallait rester en Alsace, en Lorraine « à un poste d’honneur » et y « perpétuer le souvenir de la France »
C’est le problème du Brigadier Frédéric d’Erckmann-Chatrian, résolu dramatiquement et même mélodramatiquement. C’est le problème, allègrement imaginé, d’André et Julien du Tour de la France par deux enfants (10). Et puis, le Journal officiel et le Cri du peuple donnaient d’étranges nouvelles : que Mulhouse resterait française (11), que l’industriel Dollfus, de Mulhouse, va transporter ses machines et son personnel (nous citons dans l’ordre) de 6 000 personnes à Toulouse (12). Émigrer, ne pas émigrer : de l’émigrant, du réfractaire intérieur, qui était le plus patriote ? Versailles avait vendu l’Alsace, la Commune avait défendu l’Alsace : quel alsacien pouvait se sentir des obligations de fidélité à l’égard, non de la France, mais de Versailles, qui avait vendu l’Alsace et écrasé la Commune ? Nous y reviendrons.
Les activités de la Ligue de la délivrance s’insèrent dans celles de l’Alliance républicaine des départements. Nous en sommes ici réduit aux hypothèses. La Ligue de la délivrance a été fondée le 19 mars, sans doute à la suite d’un appel des délégués des départements, publié au Journal officiel du 20 mars (la plupart des journaux de la Commune paraissaient en fin de matinée, ou l’après-midi, comme aujourd’hui Le monde). C’est ainsi que Le cri du peuple du 30 avril convoque à une réunion du 29, à une heure, les citoyens des départements alsaciens et lorrains. Était-elle distincte des réunions de la Ligue de la délivrance ? C’est probable : le lendemain, lors de l’assemblée des citoyens nés en province et résidant à Paris, dont il a déjà été question, c’est le nancéien Henri Darboy, neveu de l’archevêque de Paris, qui est le porte-parole des alsaciens et lorrains, et non un des membres du comité central de la Ligue (13). Au demeurant, à mesure que la situation de la Commune s’aggrave, la Ligue de la délivrance se manifeste moins. Les citoyens des départements provinciaux sont abondamment convoqués, mais pas les alsaciens et lorrains. Nous avons déjà vu que les dirigeants de la Ligue de la délivrance, sauf un, ne sont pas des combattants (leur appel, d’ailleurs, ne s’adressait qu’à ceux qui n’avaient pas pris part à la dernière guerre). En outre, il est possible que la Ligue ait été « conciliatrice », favorable à un compromis entre Versailles et Paris, que d’autres recherchaient d’ailleurs aussi, à commencer par les francs-maçons. Il est possible aussi, par suite, qu’elle ait été mise en minorité au sein de l’Alliance républicaine des départements: mais l’histoire de l’Alliance républicaine reste à écrire.
Nous ne voudrions pas tirer de conclusion péremptoires de cette première manifestation collective des alsaciens. Quelques remarques s’imposent pourtant : la première, c’est que les alsaciens et lorrains tenaient réunion commune, mais que les belfortains siégeaient à part, bien qu’ils fussent administrativement haut-rhinois (14). La seconde, c’est que les expressions « Alsace-Lorraine » et « alsaciens-lorrains », qui paraissaient si étranges aux alsaciens et aux lorrains d’aujourd’hui, sont vivantes dès lors : la très célèbre chanson « Vous n’aurez pas l’Alsace et la Lorraine » aurait pu se passer de la copule … Mais il apparaît aussi que le terme « Alsace-Lorraine » n’est pas d’origine administrative allemande (puisqu’il est antérieur au Reichsland), ni l’expression d’une unité « ethno-linguistique » comme on dit aujourd’hui, mais la désignation d’un sort commun, dont chacun, souhaite alors qu’il soit provisoire.
La seconde manifestation collective des alsaciens de Paris a été provoquée par le général Cluseret. Le 22 avril 1871, le ministère de la guerre de la Commune faisait imprimer l’affiche suivante sous le numéro 185 des avis proclamations et décrets l’affiche (16) :
« République. Liberté -Égalité – Fraternité. Commune de Paris. Ministère de la guerre. Avis. Les Alsaciens et les Lorrains actuellement à Paris, ne pourront être contraints au service de la Garde Nationale ; ils auront à produire la preuve de leur origine. Le Délégué à la Guerre espère que le bon sens populaire le dispensera d’ entrer dans de plus amples détails sur les motifs de cette mesure. Paris, le 2 avril 1871. Le Délégué à la Guerre, Cluseret ».
S’il est encore question de chercher des preuves de la légèreté, voire de la sottise, du général Cluseret, en voilà bien une ! Le « bon sens populaire » ne pouvait ignorer que depuis le 1er mars, l’Alsace était donnée à l’empereur allemand. Pourquoi donc, dès lors, cet épais sous-entendu, cette dispense « d’entrer dans de plus amples détails »? Et d’où Cluseret, délégué à la guerre, prenait-il le droit, somme toute, de reconnaître et de ratifier les préliminaires de paix ? Ce zèle étrange était peut-être le fruit des conversations de Cluseret avec le baron d’Holstein (17), ou le résultat des pressions de Washburne, l’ambassadeur des États-Unis, qui aurait parlé au nom d’un groupe d’alsaciens et de lorrains non identifiés (18).
L’avis de Cluseret parut au Journal officiel du 24 avril. Il eut deux réponses. L’une, non signée, datée elle aussi du 24 (ce qui confirmerait l’hypothèse Washbume), fut publiée au même Journal officiel le 26 avril :
« Au citoyen délégué à la guerre. Citoyen. Sur la simple représentation d’un patriote dont il est vrai, le désintéressement et le dévouement ne font jamais défaut à une cause juste, vous venez de décider que « les Alsaciens et les Lorrains résidant à Paris (déjà si cruellement éprouvés par le traité de paix) ne seraient pas contraints au service de la garde nationale ».
Nous, Alsaciens et Lorrains, remercions notre intermédiaire de sa bienveillance, et tenons à reconnaître la spontanéité de cette décision ministérielle en notre faveur, qui contraste si avantageusement avec l’ancienne routine.
Nous saisissons cette occasion pour affirmer encore plus, si possible, notre ferme volonté de rester Français.
Nous espérons, de plus, que nos frères d’Alsace et de Lorraine hors de Paris, tout en affirmant aussi leur attachement à la France, ne prendront pas les armes contre la capitale qui, peut-être seule, a protesté contre notre abandon, décrété sans notre consentement.
Vive la France ! vive la République.
Paris, le 24 avril 1871.
Un groupe d’Alsaciens et de Lorrains ».
Curieuse déclaration, en vérité, et bien melliflue ! L’anonymat de la déclaration, son obséquiosité intriguent fortement. Que s’était-il donc passé ? Cluseret affirme sa position avec netteté dans ses Mémoires:
« Ces remerciements étaient la réponse à mon arrêté qui exonérait les Alsaciens et Lorrains du service de la Garde Nationale. Delescluze revint sur mon ordre et voulut astreindre ces malheureux réfugiés à s’incorporer dans les troupes de la Commune, c’était bête et inhumain. Inhumain d’ajouter de nouvelles souffrances à celles déjà endurées par ces malheureux et bête de demander une chose impossible. Les Alsaciens et Lorrains n’étaient pas Parisiens. Or, la Commune n’avait droit que sur les habitants de Paris. De plus, ayant reconnu le nouveau Traité de paix, nous n’avions rien à exiger des nouveaux sujets de la Prusse. Ceux-ci s’adressèrent à Washburne, chargé des intérêts allemands à Paris et Delescluze en fut pour son pas de clerc »(19).
Nous le disions : Cluseret avait, au nom de la Commune, ratifié les préliminaires de paix… Mais la déclaration, adressée à Cluseret, fait allusion à la « simple représentation d’un patriote » faite au général. Dalsème, dans son Histoire des conspirations sous la Commune, dresse un habile récit de cette affaire, à prendre ou à laisser. Des Alsaciens et des Lorrains, hostiles à la Commune ou simplement hostiles au service de la Garde nationale fédérée, il y en avait, bien entendu, comme c’était le cas d’une fraction assez importante de la population parisienne. Le bon moyen pour échapper au service était de se faire délivrer, par l’ambassade des États-Unis, un passeport prussien. Mais il fallait des preuves d’origine. Les faux alsaciens et faux lorrains se multipliaient, au point que deux agences, « véritables entreprises gratuites d’exportation humaine », dit Dalsème, s’étaient fondées. La première, celle du comte de Montferrier, s’était spécialisée dans les Lorrains, et la seconde, celle de l’espion versaillais Barral de Montaud, par ailleurs chef d’état-major de la VIle légion, s’occupait des alsaciens, Pour mettre toutes les chances de leur côté, les alsaciens et lorrains anti-communeux firent en outre une démarche collective auprès de Washburne. Enfin, ils firent donner l’ami d’un ami de Cluseret, un Monsieur G … , qui emporta la décision du général. Dalsème rapporte un intéressant détail : Cluseret avait d’abord écrit « sont dispensés du service de la garde nationale » et « ils auront à produire la preuve de leur nationalité ». Rossel, alors chef d’état-major, détenait le timbre du ministère. Il rectifia le texte en « ne pourront être contraints » et « fournir la preuve de leur origine » (20). On voit que le patriotisme de Rossel se manifestait jusque dans les détails …
Il y eut heureusement l’autre réponse à l’affiche Cluseret, et celle-là ne sent pas la conspiration médiocre. Il s’agit d’une affiche, de couleur violette, non datée, mais signée:
« Liberté, Égalité, Fraternité. Adresse des Alsaciens et Lorrains au peuple de Paris, en réponse à l’avis du citoyen Cluseret. Nous savons que le bon sens populaire comprendra les motifs qui ont dicté l’avis du citoyen Cluseret, concernant les Alsaciens et les Lorrains. Cependant, nous croyons utile d’y ajouter un mot : si les Alsaciens et les Lorrains ne doivent pas être contraints à servir dans les rangs de la Garde Nationale, nous déclarons, Nous, que nous considérons comme un devoir impérieux de nous inscrire tous comme volontaires. Nous tenons à honneur de revendiquer notre part du danger. Les Alsaciens et les Lorrains ont comme vous le cœur meurtri. En servant dans vos rangs aujourd’hui, ils poursuivent un but qui s’impose à tous : sauver la République, patrie commune de tous les peuples ; frapper les traîtres qui ont livré Paris et démembré la France. Servir dans vos rangs, c’est marcher avec le peuple à la conquête du Droit et de la Justice. S’abstenir, c’est déserter la cause du Peuple. Les gens de Versailles sont nos ennemis comme les vôtres. Ils ont laissé bombarder Strasbourg et ont traité sur ses ruines ; ils ont livré Metz et son héroïque population ; ils ont affamé les Parisiens, entravé leur courage ; ils ont rendu Paris, aujourd’hui ils le mitraillent. Les citoyens de Paris qui ont protesté le 31 octobre et le 22 janvier contre la trahison des uns et l’incapacité des autres, qui, le 18 mars, ont chassé le honteux gouvernement de M. Thiers, protestent aujourd’hui, au nom de tous les peuples trop longtemps opprimés, contre l’asservissement et le despotisme. Voilà pourquoi les Alsaciens et les Lorrains continueront à combattre côte à côte avec leurs frères de Paris ».
L’affiche est signée Roulier, Kubler, Jaclard, Becker, Barois, Alba, Allons (21). Alba, Allons et Roulier ne nous sont connus que par cette signature. Jaclard, blanquiste et membre de l’Internationale, colonel de la XVIIè légion, était messin, Becker est peut-être Paul Becquer, mosellan, fruitier de son métier, sous-lieutenant à la 1ere compagnie de marche, condamné à trois ans de détention. Peut-être Kubler est-il le lampiste Louis, Eugène Kubler, condamné le 23 février 1872, à vingt ans de travaux forcés pour faits insurrectionnels, et déporté. Enfin, Barois est probablement l’alsacien de Lembach Edouard Barroy, né le 22 septembre 1842, ajusteur-mécanicien, ami du général Eudes (à ce titre, on peut supposer qu’il était blanquiste), commandant de la caserne Bellechasse pendant la Commune. Barroy passa quelques mois sur les pontons après la chute de la Commune, partit travailler en Egypte … pour faire, à son retour, dix mois de prison qui lui avaient été attribués par contumace en 1872 (22).
Les Prussiens ne firent d’ailleurs aucune différence entre gardes nationaux alsaciens, lorrains ou berrichons. Ceux qui tentèrent de fuir les massacres de la semaine sanglante furent remis aux versaillais. Ce fut le cas pour Pierre Klein, de Thal, tourneur sur bois, garde au 7è bataillon fédéré, condamné à trois ans de prison ; pour Pierre Prudon, de Lutran, tisseur, garde au 120e bataillon fédéré, déporté ; et pour Bernard Rohmer, de Molsheim. fabricant de peignes, capitaine au 173e bataillon fédéré, déporté.
Les deux Alsace, l’une bourgeoise, comploteuse et anti-communeuse, l’autre populaire et combattante se trouvent ainsi dessinées. Elles s’opposent même dans le domaine militaire.
Nous passerons rapidement sur un communiqué de la Société fraternelle paru au Journal officiel du 31 mars:
« Société fraternelle. Siège: 166, rue Saint-Denis. Citoyens, au nom des Alsaciens et Lorrains en si grand nombre dans l’armée et dans les rangs de la démocratie ; au nom du droit imprescriptible de la liberté individuelle, et au nom de notre amour sacré pour la République, qui seule peut sauver le pays et reconstruire la France de 89 dans toute son intégrité territoriale, nous, soussignés délégués, avec pleins pouvoirs, demandons au Comité central de la fédération républicaine de la garde nationale, la mise en liberté immédiate du général Chanzy …».
Le communiqué poursuit sur un long éloge du général Chanzy, qui d’ailleurs le contre-signe. Ce en quoi il nous intéresse ici, c’est qu’il prouve encore une fois que la cause de l’Alsace et celle de la République étaient liées … d’autant que ce texte est signé du lieutenant-colonel Jules Aronsohn, officier de l’armée régulière, espion versaillais dans le Paris de la Commune et comploteur turbulent (23).
Il y eut ensuite la curieuse affaire de la Légion Alsace-Lorraine. Le Journal officiel du 3 mai publiait l’appel suivant:
« Légion alsacienne et lorraine (Caserne du Louvre, pavillon Colbert)
Alsaciens et Lorrains !
Vendus et livrés par les hommes de Versailles, venez vous rallier sous mon drapeau pour les combattre.
Pour délivrer notre pays, il faut d’abord se débarrasser des impérialistes et des royalistes.
C’est la République avec la Commune qu’il nous faut à tout prix; sans elle, plus de
liberté et plus de patrie.
Le chef de la légion, Jacques West, ex-lieutenant de la 1ere compagnie franche de l’armée du Rhin ».
Né le 12 décembre 1835 à Strasbourg, y demeurant, marié, sans enfant, entrepreneur de constructions, West avait fait faillite en 1870. Il était arrivé à Paris le 6 avril 1871, après avoir offert ses services à Versailles, qui les avait refusés : c’est du moins ce qu’il affirma pour sa défense. II commence à recruter pour sa Légion vers le 24. Le 1 er mai, il en est nommé colonel, et conserve cette fonction jusqu’au 21 mai, où il disparaît. Absent des combats de la semaine sanglante, il est arrêté le 28 mai, condamné à la déportation dans une enceinte fortifiée et à la privation des droits civiques par le 9ème conseil de guerre, le 11 octobre 1871. Embarqué le 1er janvier 1873, il est transporté en Nouvelle-Calédonie. Au bagne, il est bien noté. Sa peine est commuée en déportation simple en mai 1875, puis remise le 4 janvier 1877. Il rentre en France en 1879. Maxime Du Camp, dans Les convulsions de Paris (24), en parle longuement. Il voit en lui un patriote alsacien rallié à la Commune parce qu’il croyait qu’elle mènerait la guerre à outrance et libérerait l’Alsace; déçu en voyant qu’elle tournait en guerre civile, il se serait établi aux Tuileries « afin d’éviter de combattre contre l’armée’ française ». Le récit de Du Camp, comme à l’habitude, contient trop d’inexactitudes et d’approximations pour que nous puissions en tenir grand compte (25). On voit, en tout cas, que les activités militaires du colonel West sous la Commune ont été nulles, à moins qu’on ne prenne pour activité militaire sa désertion devant l’ennemi …
L’abbé Vidieu, dans son Histoire de la Commune de Paris, publiée en 1876, crédite la Légion Alsace-Lorraine de douze officiers et cent quatre vingt un hommes de troupe (26). De ces douze officiers, nous avons pu en retrouver quatre, outre Jacques West :
– Joseph André Grienvaiser, de Mutzig, comptable, lieutenant à la 2e compagnie de la Légion Alsace-Lorraine, condamné par contumace à la déportation, amnistié en 1879. N’a pas opté pour la France ;
– Jean-Baptiste Meyer, de Kaysersberg, cantonnier, lieutenant à la Légion Alsace- Lorraine, condamné à la déportation dans une enceinte fortifiée, peine commuée en déportation simple en 1876 et amnistié en 1879;
– Baptiste Fayolles, auvergnat d’Issoire, confiseur, commandant à la Légion d’Alsace-Lorraine, ami de West, déserte dès le 12 mai, est arrêté le 16 juin, condamné à un an de prison;
– Louis, François Rougelot, originaire de la Marne, ouvrier argenteur sur glace, capitaine à la Légion Alsace-Lorraine, condamné à cinq ans de prison en 1875.
Le colonel et le commandant déserteurs devant l’ennemi, c’est une peu glorieuse affaire que l’exactitude historique nous oblige à exhumer ! N’était le respect dû au déporté Jean-Baptiste Meyer, nous serions tenté de croire’ que l’affaire de la Légion Alsace-Lorraine n’a été qu’une façade derrière laquelle s’abritaient les geignards solliciteurs du général Cluseret et, en définitive, les adversaires de la Commune. Fuir la révolution en s’engageant dans son armée, cela s’était déjà vu du temps de la Terreur … En tout état de cause, il ne semble pas que la Légion ait été à un moment quelconque engagée dans un combat quelconque.
Pour la petite histoire, signalons qu’il existait aussi une Légion Lorraine-Alsace, commandée par Léon, Pierre Othon, dit Collet, messin, ingénieur-civil, deux fois condamné pour abus de confiance, qui sera condamné par contumace à la déportation (comme d’ailleurs tous les condamnés par contumace, on le verra). L’abbé Vidieu, déjà cité, lui accorde vingt quatre officiers et cinq cent vingt hommes de troupe, chiffres vraisemblables (27). Mais, pas plus que pour la Légion Alsace-Lorraine, nous ne lui avons trouvé d’activité militaire. Elle a, tout au plus, organisé un grand concert le 21 mai à sept heures et demi, au Cirque-National, boulevard des Filles du Calvaire, avec la participation de Mme Agar, de la Comédie-Française, au profit des familles pauvres de ses légionnaires. Depuis le matin, les versaillais étaient entrés dans Paris (28).
Il est temps d’en venir à nos deux cent quatre combattants, parmi lesquels nous maintenons West, au bénéfice du doute. On en trouvera la liste en annexe. Elle est tirée de l’indispensable Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier français, publié sous la direction de Jean Maîtron (29). Ses limites sont celles mêmes qu’indique Jean Maîtron dans sa préface au tome 4 (premier de la série « Internationale et Commune ») (30) : nous n’avons que les condamnés pour activité insurrectionnelle et ceux dont le nom est apparu quelque part dans le Journal officiel ou sur une affiche (31). Les autres, les obscurs, les sans-grade, et surtout les fusillés de la semaine sanglante (au moins 17000, on le sait, et sans doute beaucoup plus: le double, probablement), nous restent inconnus. Il serait possible, croyons-nous, sans abus aucun, de multiplier par deux les chiffres que nous allons citer.
Notre critère a été simple, et unique : c’est la naissance dans l’un des deux départements alsaciens.; ou, à tout le moins, l’attestation par témoin de l’origine alsacienne. C’est ainsi., on va le voir, que nous connaissons le lieu de naissance de 197 de nos 204 alsaciens. Nous n’avons pas tenu compte des belfortains, pour la raison, évoquée plus haut, c’est que d’eux-mêmes, sous la Commune, ils se réunissaient à part. Et, puisque notre critère était la naissance, nous avons écarté tous les porteurs de noms d’allure alsacienne dont nous ne connaissions pas le lieu de naissance. De même, nous avons admis Ignace Kieffer père, né à Wittersheim, et non son fils, né à Paris; nous avons gardé Alphonse, Eugène Friedmann, de Strasbourg, mais pas son frère ni leur père, dont nous savons pourtant qu’ils servaient au même bataillon fédéré que lui, les fils étant officiers et le père simple garde. Pour la même raison, nous avons reçu Eugène Bicardat de Cernay, Etienne Biva d’Ensisheim et Hippolyte Ruffio de Habsheim, et repoussé force Meyer, Mayer, May, Muller et Weil, alsaciens probables mais incertains.
En tout état de cause, il ne peut s’agir ici que d’une première enquête. Des noms du Dictionnaire de Maîtron ont pu nous échapper: c’est un rude et fascinant labeur que d’en lire les six volumes, page après page, l’attention continuellement distraite par d’autres personnages que ceux qu’on recherche, et tout aussi intéressants (32). De plus, d’autres relevés sont en cours. C’est ainsi qu’à notre liste tirée du Dictionnaire de Jean Maîtron sont venus s’ajouter in extremis sept nouveaux noms trouvés dans la précieuse étude de Francis Sertorius et Jean-Luc de Paepe sur les communeux exilés à Bruxelles (33). Nous proposons donc les résultats provisoires d’un travail qu’il faudra compléter, et même réviser. Que ce soit bientôt !
Notons d’abord qu’en plus des alsaciens de la Commune de Paris, nous trouvons cinq alsaciens dans les Communes provinciales :
– Christophe Brunner, né en 1837 à Luemschwiller, mouleur, de la Commune du Creusot, qui fut acquitté ;
– Adolphe Dorst, né à Colmar en 1834, carrossier-sellier, de la Commune de Marseille, condamné à trois ans de prison;
– Joseph, Emile, François Prenez, né en 1841 à Flaxlanden, de la Commune de La Ciotat;
– François, Joseph Scherrer, de Monswiller, ouvrier-armurier, de la Commune de Saint-Etienne, condamné à trois ans de prison;
– Frédéric Wittmayer ou Widmayer, né à Strasbourg en 1827, tourneur sur métaux, capitaine au 20· bataillon de la garde _ nationale, de la Commune de Lyon, condamné à deux. ans de prison.
Nous ne les avons pas pris en compte dans nos calculs : il ne s’agira que de la Commune de Paris (34).
[Roland Beyer examine dans la suite le détail de l’origine géographique et du domicile des personnes repérées, leur âge et profession, leur condamnations antérieures à la Commune dont il ressort que « nos alsaciens étaient très querelleurs », les grades et affectations dans l’armée communeuse…]
L’Association Internationale des Travailleurs
Divers auteurs, successeurs de l’abbé Barruel, ont présenté la Commune de Paris comme le résultat d’un vaste complot, organisé par l’Association Internationale des Travailleurs (50). L’hypothèse ne nous dérangerait guère, si elle n’était parfaitement fausse.
Sur 204 alsaciens de la Commune, nous n’avons trouvé que huit membres de l’A.I.T. Encore avons-nous des doutes pour deux d’entre eux, comme on va le voir :
– d’Eugène Barroy, de Lembach, nous avons déjà parlé, à propos de la réponse à l’avis du général Cluseret. Son appartenance à l’A.I.T. n’est pas prouvée, mais un peu plus que probable;
– Fulgence Gietzen, né à Wissembourg en 1840, ouvrier tailleur, exilé à Bruxelles, semble n’avoir adhéré à l’A.I.T. qu’en exil (51).
– Charles Keller, dit Jacques Turbin, né à Mulhouse le 30 avril 1843, ingénieur civil, directeur de la filature Koechlin de Willer, prit part à Berne, en septembre 1868, au 2è congrès de la Ligue de la Paix et de la Liberté, et fit partie de la minorité bakouninienne. Cette minorité créa l’Alliance internationale de la démocratie socialiste, branche de l’A.I.T. Charles Keller travaille dès lors avec l’A.I.T. de Paris, et contribue à la maintenir après sa dissolution, suite au troisième procès, en juillet 1870. Nous avons évoqué plus haut son attitude en 1871 [On le retrouve sur les barricades]. Après la chute de la Commune, Keller s’établit à Mulhouse, puis à Bâle. Après l’amnistie, on le trouve à Belfort, puis à Nancy, où il fonde l’Université populaire. Il avait épousé, en 1876, Mathilde Roederer, elle aussi membre de l’A.I.T., de Bischwiller. Keller est l’auteur de « La Jurassienne », musique de J. Guillaume, et de poésies anti-allemandes et patriotiques. Il est mort à Nancy le 19 juillet 1913 ;
– François, Eugène Kumennam, né à Burnhaupt-le-Bas le 8 avri11824, était avocat au barreau de Paris et possédait un cabinet d’affaires. Il appartenait à la section des Grandes-Carrières de l’A.I.T. Durant la Commune, il fut attaché au « service des relations extérieures », et collabora à divers journaux. Condamné par le 3e conseil de guerre à la déportation dans une enceinte fortifiée, il était contumax. En exil à Londres, il fut gracié le 11 mars 1879;
– Alexandre Lévy, né le 21 septembre 1842 à Strasbourg, était comptable. Les réunions de la section des Récollets de l’A.I.T. avaient lieu chez lui, 91, quai de Valmy à Paris. Attaché au bureau de la Xè légion comme comptable, pendant la Commune, il porta l’uniforme de capitaine d’Etat-major. Blessé le 22 mai, il fut condamné à deux ans de prison;
– Jacques Reber, né le 25 octobre 1824 à Mulhouse, veuf, père de deux enfants, mécanicien, très lié avec Léo Meillet avec qui il aurait contribué à fonder le club des Libres-penseurs. Surveillant des cantines du XIIIè arrondissement. Condamné à dix ans de travaux forcés pour arrestations arbitraires, déporté en Nouvelle-Calédonie, et, à peine arrivé, rapatrié, sa peine ayant été commuée en cinq ans de prison. « Mauvais esprit, mauvais sentiment et cependant conduite assez régulière », notait le directeur de sa prion …
– Jacques Retterer ou Ketterer, dit Lesage, né le 9 mai 1842 à Thann, était ingénieur civil. A peut-être été signataire de l’affiche rouge du 6 janvier 1871. Membre, pendant la Commune, du comité central d’artillerie, il fut condamné par contumace à la déportation dans une enceinte fortifiée. Réfugié à Zurich, il a peut-être été membre de la Fédération jurassienne;
– Gustave Wurth, né le 6 août 1846 à Mulhouse, fut juge d’instruction sous la Commune, par décret paru au Journal officiel du 18 mai (le décret étant du 6 mai). Il assista à l’exécution de Veysset, le 24 mai. Condamné par contumace à la peine de mort, le 2 août 1872, il vécut en exil à Bruxelles, Mulhouse et Londres, mais surtout à Mulhouse.
Huit membres de l’Association Internationale des Travailleurs pour 204 alsaciens de la Commune, c’est peu. Ils n’arrivent pas même à 4 % de l’ensemble (3,9 %, pour être exact). Aucun n’avait subi de condamnations antérieures à la Commune. Ils appartenaient à des sections parisiennes. Il existait pourtant à Mulhouse une toute nouvelle section de l’A.l.T., fondée par Eugène Weiss, domicilié 3 rue du Bourg à Mulhouse, imprimeur au rouleau chez Koechlin frères, et chez qui se tenaient les réunions. Mais il ne semble pas qu’aucun contact ait été établi (52).
Vint la chute de la Commune, les massacres, les, dénonciations, les procès, les condamnations.
Quatre communeux furent condamnés, trois à la déportation, et un à mort, bien qu’ils fussent morts au combat :
– Frédéric Dreschler, de Bouxwiller, modeleur, officier-payeur au 199è bataillon fédéré, fusillé et condamné à la déportation ;
– Ignace Klingenmayer, de Sélestat, cordonnier, capitaine au 190· bataillon, fusillé et condamné par contumace à la déportation ;
– Nicolas Thaller, de Saint-Amarin, tourneur en fer, sous-gouverneur du fort de Bicêtre, tué sur les barricades et condamné à mort par contumace;
– Louis Wetzel, colonel, commandant aux forts d’Issy et de Vanves, tué le 7 mai au combat, et condamné à la déportation par contumace.
Plusieurs Varlin, Vallès et Rigault furent assassinés, et des Courbet, même. Vallès a entendu le récit de sa propre mort depuis sa cachette (53). Tous ces morts vivants étaient, bien entendu, morts lâchement. Mais que penser de nos quatre alsaciens tués, et jugés et condamnés après leur mort ?
[Ici figure un tableau détaillé des condamnations et l’examen de quelques cas particuliers …]
Le tragique problème de l’option entre la France et, non pas l’Allemagne, mais la possibilité de vivre en Alsace, devenait insoluble pour les alsaciens de la Commune (54). Ils avaient combattu pour rester français, et la répression versaillaise les forçait à choisir l’Allemagne pour échapper à la prison, au bagne, ou à l’exil hors d’Alsace où certains, sinon la majorité, avaient leur famille et parfois des biens (55).
Les renseignements sont trop fragmentaires pour que nous puissions établir une statistique de quelqu’intérêt. Nous ne pouvons que donner deux listes : ceux qui ont opté pour la France, et ceux qui n’ont pas opté, – lorsque, du moins, l’indication figure au Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier français. Quant aux autres, seule une recherche systématique et de longue haleine pourrait donner des éléments de réponse.
Ont opté pour la France :
– Antoine Bildstein, de Saverne, cordonnier, sergent au 158è bataillon fédéré, condamné à dix ans de bannissement ;
– Jean-Baptiste Cagnat, de Bischheim; voyageur de commerce, de l’Etat-major de la 17è légion, condamné à un an de prison ;
– François ,Camille Cron, de Landser, scieur de marbre, puis employé de banque, lieutenant au 114è bataillon, déporté ;
– Dreyfus (nous n’avons pas ses prénoms), de Mulhouse, journalier, sergent au 245è bataillon, trois ans de prison ;
– François, Joseph Gulden, d’lngwiller, ouvrier en tabac, capitaine au 200e bataillon, déporté ;
– Jean Haeckely, de Graffenstaden, tisseur, commandant au 215″ bataillon, déporté ;
– Victor, Charles Marck, dont il a déjà été question ; Michel Mayer, de Strasbourg, dont il a déjà été question;
– Lazare Meyer, de Fegersheim, artiste-peintre, secrétaire particulier d’Arnold, dont la condamnation à la déportation fut remise en 1872 ;
– Joseph Meyer, de Rosheim, journalier, caporal dans la garde fédérée, d’abord condamné à mort, peine commuée en travaux forcés à perpétuité ;
– Joseph, Henri Mouzon, de Saverne, cocher, officier dans une compagnie de marche, déporté ;
– Joseph Naegelen, de Cernay, cordonnier, déporté;
– Ferdinand Oberlé, de Saverne, dont il a été question, déporté ;
– Jacques Retterer, ou Ketterer, de Thann, dont il a ‘été question à propos de l’A.I.T.
Parmi ces quatorze optants, nous voudrions relever quatre cas particuliers: celui de Bildstein, d’abord condamné par contumace, en août 1872, à la déportation dans une enceinte fortifiée, puis’ jugé contradictoirement, en février 1873, et condamné cette fois à dix ans de bannissement ; celui de François, Camille Cron, retiré à Lutterbach après la chute de la Commune, qui rentre à Paris, est arrêté et condamné en mars 1874 à la déportation ; puis ce Dreyfus sans prénom, d’abord condamné par contumace à la déportation, puis, par jugement contradictoire; en 1874, à trois ans de prison; et enfin Victor Marck, dont il a été question plus haut. Nous avons là, probablement, des communeux rentrés en Alsace, qui optent pour la France, reviennent à Paris et y sont arrêtés. Cela se passe de commentaire. Deux autres optants étaient réfugiés à l’étranger: Michel Mayer, à Spa, en Belgique, et Jacques Retterer en Suisse, à Zurich.’ Peut-être ont-ils opté dans les consulats ? Les huit autres étaient détenus.
Les non optants sont un peu moins nombreux. Il s’agit de :
– François Aberlen, de Mulhouse, garde au 239è bataillon, réfugié à Londres, dix ans de bannissement ;
– Eugène Eck, d’Ensisheim, lieutenant au 12″ bataillon, condamné par contumace à la déportation ;
– Léon Fendric, ou Dalcher, de Colmar, condamné à cinq ans de bannissement ;
– Jacques Gangloff, de Vendenheim, garde au 66″ bataillon, dix ans de bannissement ;
– Charles, Emmanuel Ganster, d’Illkirch-Graffenstaden, dix ans de bannissement ;
– Joseph, André Grienvaiser,. dont il a été question à propos’ de la Légion Alsace-Lorraine, condamné par contumace à la déportation ;
– Guillaume Otter, de Ribeauvillé, du génie fédéré, dix ans de bannissement ;
– Charles Ulrich, dont il a été question, condamné à mort par contumace;
– Gustave Wurth, de l’A.I.T., condamné à mort par contumace.
Tous ces non optants étaient donc contumax .
L’incohérence de la justice versaillaise apparaît ici pleinement. Passe encore de condamner au bannissement des alsaciens cédés à l’Allemagne contre leur gré. Mais le cas de Charles Ulrich tient du délire politique et judiciaire. Ulrich obtint, en 1879 (l’année de la première amnistie, qui vit rentrer la plupart des déportés), remise de sa peine, mais sous condition d’expulsion. Ainsi donc, Français, il eût été libre, mais Allemand par force, il était condamné à l’exil, au moment même où ses camarades pouvaient rentrer.
La France de Mac-Mahon laisse toujours rêveur … (56).
Les communeux vinrent nombreux s’établir en Alsace. Ils la tenaient pour française, elle était proche de Paris, pas un n’imaginait que l’exil devait durer neuf ou dix ans, et ils y avaient des camarades, des amis, des relations. L’ingénieur thannois Lalance revint au pays (57), le docteur Thierry-Mieg, ancien médecin-major du 221è bataillon, peut-être aussi (58). Gustave Wurth et Charles Keller étaient rentrés à Mulhouse. François Cron était à Lutterbach, à quelques kilomètres de là. Toujours à Mulhouse, on trouve Georges Cavalier, dit Pipe-en-bois, l’ami de tous (de Gambetta, dont il avait été secrétaire, à Jules Vallès qui lui donna son cruel surnom,- d’ailleurs mérité), ancien chef des voies et promenades sous la Commune, qui était correcteur au journal L’express. A ce même journal, l’ancien lieutenant-colonel fédéré Ledrux était typographe, Il y avait encore le doreur Goltz, et l’artiste-lyrique Emile Digard, ancien sergent-fourrier, condamné à dix ans de bannissement.
Avrial, membre de l’A.I.T. comme Ledrux, et ancien membre du conseil de la Commune, et son ami Langevin, lui aussi de l’A.I.T. et de la Commune, avaient d’abord travaillé en Allemagne, dans une fabrique de machines à coudre. Ils rencontrèrent un soir à la brasserie l’alsacien Goetz, qui leur procura les moyens de créer, à Schiltigheim, une entreprise de constructions métalliques (des cuves pour la fermentation de la bière, suite aux découvertes de Pasteur). L’entreprise eut un tel succès qu’elle put occuper une trentaine de personnes, dont Thouvenot, ajusteur, ancien de la Commune, qui alla ensuite vendre des chaussures à Forbach ; Bertrand Sincholle, ingénieur et ancien directeur des eaux et des égoûts sous la Commune ; un Quinet, chauffeur, pas plus identifié que cela (s’agit-il de Narcisse Auvray, dit Quinet, ou du membre de l’A.I.T., section de Montmartre ? ) ; Boucharrat, qu’on ne connait qu’ainsi; et Francis Jourde, ancien délégué aux finances de la Commune, évadé de Nouvelle-Calédonie avec Rochefort, Bastien, Olivier Pain, Ballière et Pashal Grousset, et qui fut comptable dans l’entreprise (59).
C’est à Strasbourg qu’un autre des évadés de Nouvelle-Calédonie, Edouard Ballière, ancien capitaine d’état-major sous la Commune, fit paraître le récit de l’évasion collective (60), illustré par Gaston Save, qui s’était réfugié à Londres après la Commune, avant de travailler à Strasbourg. Un troisième évadé, Charles Bastien, dit Granthille, lorrain d’ailleurs, séjournait parfois à Strasbourg pour y placer du bordeaux.
L’ancien lieutenant-colonel Faltot, conducteur de travaux, était venu de Pologne pour travailler à la voie ferrée Saverne-Wasselone (61). André Bastelica, qui avait été membre du conseil général de l’A.I.T., ancien directeur des contributions directes sous la Commune, était typographe au Journal d’Alsace. Etienne Favy, ouvrier fondeur en bronze, rencontrait peut-être l’artiste-peintre Grison. Réfugié, lui aussi, à Strasbourg avec sa famille, le peintre sur porcelaine Jules Minet, membre de l’A.I.T., ancien membre de la commission d’organisation du travail sous la Commune, y vécut dans la misère jusqu’à sa grâce en mai 1879. On trouve encore, toujours à Strasbourg, le lithographe Adam, le représentant de commerce Moreau Montéléon ; les frères Cosmadeuc, dont l’un avait été receveur au 1er bureau de l’enregistrement et du timbre sous la Commune, et enfin, pour finir par un beau nom, Charles, Gustave Légalité, membre de l’A.I.T., ancien capitaine au 69è bataillon fédéré, serrurier.
Il convient de joindre à cette liste le nom du narrateur, qui est un des informateurs de Lucien Descaves. Descaves l’appelle Fournery, et même sous ce nom d’emprunt, il mérite un hommage particulier, tant la précision et la chaleur de ses souvenirs, comme chez son ami Colomès, sont sympathiques. Le pseudo Fournery avait lui aussi travaillé chez Avrial à Schiltigheim, et comme la plupart de ceux que nous venons de citer, il fut expulsé d’Alsace, en mars 1876, pour des raisons peu claires. Pour Fournery, c’est parce que les communeux réussissaient trop bien dans l’industrie. C’est peut-être aussi que le gouvernement français l’avait demandé. C’est peut-être, enfin, que cette présence’ française en Alsace était gênante pour l’Allemagne. Nous penchons, sans preuve aucune, pour cette dernière hypothèse. Les cornmuneux se dispersèrent. Restèrent quelques alsaciens. Aucun n’eut de destin politique en Alsace (62).
Nous avons dit ce qui amenait les communeux exilés en Alsace. II y a plus, et c’est encore le Fournery de Lucien Descaves qui le dit :
« Strasbourg était alors un relais de voyage pour les proscrits qui allaient de Londres ou de Bruxelles à Genève, et vice versa. Ils trouvaient bon accueil auprès des vieux républicains et des protestataires’ d’Alsace. Les premiers n’oubliaient pas que la plupart des exilés avaient été les adversaires’ déterminés de l’Empire, et les autres étaient d’autant plus portés à excuser la Commune, qu’ils y voyaient une patriotique protestation contre une paix humiliante et l’abandon de deux provinces. Ils se souvenaient que, seuls à l’assemblée de Bordeaux, Rochefort, Ranc, Malon et Tridon s’étaient refusés à envisager l’annexion de l’Alsace à la Prusse »(63).
Voilà une réunion de l’Alsace et de la Commune de Paris qui confirme ce que nous disions au début, d’autant que Fournery termine son récit par une envolée lyrique à la gloire d’ Erckrnann-Chatrian :
« Tu sais mon admiration pour les romans d’Eckmann Chatrian. Je les dévorais, en 65, à leur apparition en livraisons illustrées … C’est Erckmann-Chatrian qui m’ont fait aimer l’Alsace … ; et tel est leur immortel attrait qu’ils la feront aimer encore, de confiance, à leurs futurs lecteurs… C’est comme les médaillons qui suspendaient, dans le temps, au cou des femmes, le portrait dans toute sa jeunesse, d’un être chéri … et perdu ! Les livres d’Erckmann-Chatrian nous conservent la figure d’une Alsace que nous n’avons pas connue, dont nous ne parlons plus … mais qui n’en est pas moins le bijou de famille par excellence ! » (64).
Nous avons abrégé … Une remarque, cependant : Foumery, dans son enthousiasme, cite les contes populaires et les romans alsaciens, mais pas les romans nationaux. C’est de cet Erckmann-Chatrian un peu sucré que descendra Hansi, et non du vigoureux romancier de Maître Gaspard Fix, de l’Histoire d’un homme du peuple et de l’Histoire du plébiscite.
Les communeux réfugiés en Alsace y restèrent trop peu de temps pour y exercer une influence politique. Sujets étrangers, ils étaient d’ailleurs surveillés. C’est d’Allemagne que vint le socialisme : mais il avait déjà croisé son chemin avec la. Commune.
C’est ainsi que le Journal officiel du 28 avril avait publié un long extrait de l’intervention de Bebel au Reichstag, en explication de son refus de voter l’emprunt pour les besoins extraordinaires de la guerre (séance du 24 avril). Bebel avait énergiquement protesté contre l’annexion de l’Alsace-Lorraine, et les encouragements donnés à une restauration monarchique en France. Le 16 avril, le même Journal officiel avait donné le bref récit d’une réunion tenue à Dresde, au cours de laquelle un orateur socialiste avait très violemment critiqué l’annexion. Le 2 mai, il publie une adresse votée à l’unanimité des trois mille participants d’une réunion socialiste de Hanovre, qui affirmait un soutien total à la Commune de Paris. Elle disait notamment:
« Non, vous n’êtes pas une bande de brigands, d’assassins, de pillards. Nous voyons en vous ‘le prolétariat combattant pour les droits de l’homme. Travailleurs français ! Vous êtes l’avant-garde de l’armée qui marche pour la délivrance du monde entier qui a les yeux fixés sur vous. Ses sympathies vous sont acquises. Il compte sur vous. Travailleurs français! vous êtes délivrés de l’Empire, mais nous en voici accablés à notre tour. Nous ne voyons dans l’empire germanique aucune garantie de paix ni de liberté. Nous sommes menacés d’être enveloppés d’une nuit de réaction » (65).
Ces rencontres, par dessus la guerre, expliquent l’implantation et le développement, d’abord lent, puis très rapide, du socialisme allemand en Alsace. Bebel et Liebknecht sont candidats malheureux en 1874 à Mulhouse et à Strasbourg. En 1890, le socialiste Hickel est élu député de Mulhouse. En 1893, Bebel triomphe à Strasbourg, avec plus de 8 000 voix d’avance sur Petri.
Dans un discours du 6 mai 1894, Bebel commentait ainsi cette élection:
« On a prétendu que je dois mon élection aux voix des protestataires ; si c’est le cas, je les en remercie ; mais ils se sont trompés s’ils ont cru que je renoncerai pour cela à mes principes socialistes » (66).
Ainsi se refaisait, avec le député socialiste allemand, l’unité de la revendication nationale et de la revendication sociale qui avaient animé la Commune de Paris.
Pour terminer, nous voudrions proposer, non pas des conclusions (notre étude est trop incomplète), mais des questions.
Les alsaciens de la Commune eurent deux attitudes diamétralement opposées. Il y eut les anti-communeux, qui usèrent de la combine et de tous les moyens obliques pour échapper au service de la garde fédérée. Et il y eut ceux qui choisirent de combattre, dans le rang, sur les barricades ou à la tribune, malgré l’autorisation que leur donnait Cluseret de rester chez eux : les premiers l’auraient payée à prix d’or ; ceux-là préfèrent l’ignorer. Grâce au magnifique Dictionnaire de Jean Maîtron, nous avons pu décrire les Communeux, ou, du moins, une grande partie d’entre eux. Reste à décrire les anti-communeux, et notamment ceux de la Ligue de la délivrance ; reste à mesurer leur importance numérique, sociale et politique, à Paris, à Versailles comme en Alsace.
D’autre part, on l’a vu assez, jacobinisme et socialisme sont inextricablement mêlés dans la Commune. L’internationaliste Amouroux tient sur l’Alsace les mêmes propos que le jacobin Gérardin, et Vuillaume parle comme Paul Martine. La question est posée de savoir si et comment le jacobinisme pouvait rencontrer le socialisme dans la pratique. Il y a les cas extrêmes du triste Félix Pyat et de l’admirable Varlin. Mais combien de « cas moyens » ? Des communeux furent boulangistes et même antidreyfusards, dont Rochefort et Martine. On peut le déplorer : ce n’est pas assez, ce n’est rien. Il faut l’expliquer, et le problème alsacien, tout chargé qu’il était de tentations nationalistes, serait un bon objet d’analyse dans ce sens.
Encore faudra-t-il faire attention aux obstacles qu’interposait, et interpose encore, une certaine lecture d’ Erckmann-Chatrian. Leur influence devrait d’abord être mesurée.
Les chiffres de tirages sont une indication utile, mais il faudrait analyser la nature même de leur diffusion. Car enfin, pourquoi se souvient-on toujours de la bluette qu’est L’ami Fritz et non de l‘Histoire du plébiscite, première histoire d’un « collabo », ou de Maître Gaspard Fix, histoire d’un nouveau féodal ? Le pauvre Erckmann a eu bien de la descendance, et bien bavarde : les Regamey, par exemple, et, bien entendu, Hansi. Erckmann n’y est pas pour grand chose, Chatrian pour beaucoup plus (67). L’Alsace, ainsi, voit son appartenance à la France (le terme d’attachement, utilisé le plus souvent, nous paraît bien ambigu), continuellement ramenée au pire folklore (68). C’est là un domaine littéraire, ou para-littéraire, qu’il faudrait étudier très attentivement.
Nous avons vu que les alsaciens de la Commune étaient, si on peut dire, dans les normes. Moyennes et pourcentages concordent avec ceux dont on dispose pour l’ensemble des insurgés. Les « particularismes » alsaciens ne naissent qu’après 1871. Il conviendrait de les historiser : ce n’est pas de toute éternité que le dialecte est utilisé pour narguer le pouvoir central, c’est depuis 1897-1898, avec Gustave Stoskopf, et contre l’administration allemande et ses professeurs Knatschké. Que les « particularismes » aient depuis été cultivés est un fait. Une étude attentive devrait dire par qui, comment et pourquoi.
Bien des problèmes se posent, on le voit, et qui exigent beaucoup de recherches et de patience. En tout cas, la Commune de Paris de 1871 a été histoire pour l’Alsace aussi.
[En annexe la liste des 204 noms et les sources]
Roland Beyer
Revue d’Histoire de l’ Association des Amis de la Commune de Paris 1871, n°13 1979 pages 9 à 40
Notes
1) Père Duchêne daté du 18 ventôse an 79 (8 mars 1871). Le texte est attribué à Vuillaume par le Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier français.
(2) G. Soria: Grande histoire de la Commune. tome 3, p. 314.
(3) G. Soria: Grande histoire … , tome 5, pp. 134-135. On voit pourquoi certains anciens de la Commune ont pu être boulangistes.
(4) Amouroux fut en effet condamné deux fois à la déportation dans une enceinte fortifiée, et une fois aux travaux forcés à perpétuité.
(5) Journal Officiel (de la Commune) du I' » mai 1871. Paul Martine: Souvenirs d’un insurgé rapporte également ces propos p. 162 (mais il semble que ce soit d’après le J. O.).
(6) Tout ce qui ne fait pas l’objet d’une référence particulière renvoie au Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier français, que nous désignerons par DBMOF.
(7) On verra plus loin, à propos des grades, combien il faut se méfier d’extrapolations hâtives que certains chiffres sembleraient autoriser. Nous avons deux cent quatre alsaciens, et rien qu’eux.
(8) C’est ici le texte du Journal officiel. Le cri du peuple donne la date de création de la Ligue (au lieu de l’indication vague de « il y a quelques jours »), et écrit Myrtel-May et Rauber au lieu de Myrtil-May et Raubert.
(9) Fribourg n’est sûrement pas celui de l’Internationale. Il y a par contre un Fribourg, lieutenant au 1er régiment d’éclaireurs, conspirateur versaillais sous la Commune, cité p. 313 par Dalsème : Histoire des conspirations sous la Commune.
(10) Une question nous tourmente depuis notre enfance, nourrie de la lecture répétée de ce chef-d’œuvre. Comment André et Julien, qui se rendent de Phalsbourg en Lorraine non occupée font-ils pour passer un col des Vosges ?
(11) Le Cri du peuple du 23 avril, J. O. du 21 (démenti le 30).
(12) Journal officiel du 10 avril et du 13 avril (plus précis).
(13) Journal officiel du le, mai.
(14) Journal officiel du 28 avril.
(15) Nous reprenons ici, et complétons, un petit article très rapide, et incomplet, que nous avons publié pour le centenaire de la Commune (Bulletin de la Faculté des Lettres de Mulhouse, fascicule 4, 1971-1972, pp. 65-67).
(16) Affiche originale, et Les murailles politiques françaises. tome 2, p. 333. Nous en possédons une transmission manuscrite aux délégués du se arrondissement, signée, pour copie conforme, par le secrétaire général de la Commune, Amouroux. Elle est datée’, en tête, du 28 avril et, au bas, du 23 avril. L’avis du général Cluseret a donc été largement diffusé: affiche, Journal officiel et copies aux mairies, outre les réponses que nous allons évoquer. Les alsaciens qui n’ont pas voulu profiter des bonnes dispositions de Cluseret peuvent donc être considérés comme des volontaires.
(17) Cluseret : Mémoires. tome 2 pp. 1-14.
(18) Cluseret : Mémoires. tome 2, p. 40. Le rôle de Washburne a été très compliqué et très louche, pendant toute cette période. Il semble avoir été plus favorable’ à Versailles qu’à la Commune.
(19) Cluseret : Mémoires, tome 2 pp. 39-40. Le général semble prendre tous les compliments pour lui.
(20) Dalsème: Histoire des conspirations, pp. 116-122. Dalsème écrit en 1872, il est souvent inexact , et emporté par ses enthousiasmes versaillais. Mais Cluseret l’avait lu (il nie en bloc tout le récit que fait Dalsème de ses rencontres avec le colonel Aronsohn) et ne 1e dément pas pour ce récit, qu’on peut donc tenir pour authentique.
(21) Affiche originale et Murailles politiques, tome 2, p.377. L’affiche est violette. Celle de Cluseret, étant officielle,était blanche. « –
(22) Tout cela ‘d’après DBMOF. Une erreur fait que le nom de Barroy (si c’est de lui qu’il s’agit) a été écrit Burois dans le DBMOF, au lieu de Barois, comme sur J’affiche.
(23) Sur les menées d’Aronsohn, voir Dalsème: Histoire des conspirations, tout le volume et particulièrement les pages 134-147. Aronsohn avait commandé en 1870 une Légion Alsace-Lorraine, dont il avait gardé les imprimés et les cachets. Est-ce lui qui permit à Barral de Montaud de les utiliser pour faire sortir de Paris de faux alsaciens? Voir sur ce point, toujours dans DaIsème, la page 120.
(24) Maxime du Camp: Les convulsions de Paris. tome 2, pp. 108-111.
(25) Du Camp le fait assister à la déroute de Bergeret, le 2 avril, alors que West n’est arrivé, de son propre aveu, à Paris que le 6 avril. Du Camp le dit aussi capitaine des zouaves et décoré de la légion d’honneur: rien de cela dans le DBMOF.
(26) L’abbé Vidieu : Histoire de la Commune, p. 630, tient ses chiffres du Rapport Appert, paru l’année précédente. Nous ne voyons pas pourquoi Gautier: Les francs-tireurs pp.7 et 12-13, réunit les légions Alsace-Lorraine et Lorraine-Alsace sous la dénomination collective de « Eclaireurs de la délivrance » . Nous sommes d’accord avec lui, par contre, pour constater qu’aucune trace n’existe d’une activité militaire quelconque de ces légions. Cela ne suffit pas à en faire des émanations de la Ligue de la délivrance …
(27) En effet, l’annonce du concert du 21 mai, précise que le concert sera donné au bénéfice des 400 familles (et 1 700 enfants) des légionnaires. Sur Othon, outre DBMOF. voir Du Camp: Les convulsions de Paris. tome 2, p. 109.
(28) Le cri du peuple du 22 mai 1871.
(29) Le DBMOF est publié depuis 1964 aux Editions ouvrières. La série « La première Internationale et la Commune », de 6 volumes, a été publiée de 1967 à 1971.
(30) DBMOF tome 4, pp. 18-20.
(31) Nous avons à chaque fois vérifié Journal officiel et Murailles politiques.
(32) Faire ce travail seul eût été impossible: l’aide de ma femme et de Jean Dischler a été précieuse.
(33) Les communards en exil. Ètat de la proscription communaliste à Bruxelles et dans les faubourgs. Nous. devons la connaissance de cet important article à notre ami Jean-Jacques Magis, que nous remercions. Profitons de cette note pour expliquer pourquoi nous disons « communeux » et non « communard » : nous sommes d’accord avec J. Maitron pour dire que jamais le terme de communard n’a été utilisé par les communeux, qu’il n’est pas d’époque, et que son suffixe péjoratif peut suffire à le faire écarter. Le terme est devenu courant, il reste déplaisant.
(34) Rien sur eux dans A. Olivesi : La commune de 1871 à Marseille et ses origines; M. Moissonnier : La première Internationale et la Commune à Lyon; P. Ponsot : Les grèves de 1870 et la Commune de 1871 au Creusot; J. Gaillard: Communes de province, Commune de Paris.
[…]
(50) Dulsème : Paris pendant le siège et les 65 jours de la Commune; Villetard: Histoire de l’lnternationale ; Testut : L’Internationale et le Jacobinisme ‘au ban de l’Europe. Les trois volumes de l’Enquête parlementaire sont aussi d’un grand intérêt. Au total, pour éviter d’identifier les causes réelles, on cherchait le complot …
(51) Nous avons trouvé Gietzen dans Sertorius et De Paepe. Il ne figure pas au DBMOF.
(52) Association Internationale des Travailleurs (réimpression EDillS, 1968) pp. 40-41, une lettre de Weiss à Varlin.
(53) J. Vallès: L’insurgé in Oeuvres complètes, tome 2, p.593. Voir aussi L. Descaves : Philémon p.255.
(54) Keller, par exemple, avait sa famille à Mulhouse. Beaucoup crurent, d’abord, qu’on pouvait opter pour la France et rester en Alsace. Voir Eccard : L’Alsace p. 60, par exemple.
(55) On connait les tribulations d’Edmond About, propriétaire d’une petite maison du côté de Saverne, et qui fut arrêté par un policier allemand trop zélé. On sait aussi quelle honteuse exploitation de cette situation fit Chatrian pour régler ses comptes avec Erckmann. Et voir, d’Erckmann, outre Le brigadier Frédéric, déjà cité, Le banni qui en est la suite, et l’Histoire du plébiscite.
(56) Ulrich a peut-être été colonel des Turcos : ce n’est qu’une probabilité. Mais il a certainement été commandant par intérim de la XIVè Légion fédérée, à la caserne Napoléon. Voir au DBMOF, outre sa notice, la notice Antoine Crépin : cet Antoine Crépin aurait été son ordonnance, si Ulrich a bien été colonel
(57) Nous ne savons de ce Lalance que cc qu’en écrit L. Descaves : Philémon pp. 268-269. Nous ne connaissons ni son prénom, ni sa date de naissance. Descaves en dit que, en accord avec Avrial, Lalance eut l’idée d’installer au sommet de l’Arc de triomphe une batterie d’artillerie, qui fut réduite au silence après quelques décharges, le matin du 23 mai. Descaves n’avait pu connaître les Souvenirs d’un insurgé, de Paul Martine, rédigés à partir de la fin de 1911, et dont la publication, partielle, est de 1971. En tout cas, Martine attribue le fait non à Lalance, mais à Dianoux, et parle de mitrailleuses, et non d’artillerie (aux pages 151 et 200). Martine avait été témoin, Descaves avait interrogé plusieurs témoins. Nous ne trancherons pas. Ce qui intrigue ici, c’est qu’un industriel de Thann, Auguste Lalance, fut député de Mulhouse au Reichstag, en remplacement de Jean Dollfus, auquel, en quelque sorte, il succédait, puisque Dollfus ne se retirait que pour raison d’âge et de santé. Lalance était, à son tour,protestataire et connut dès sa campagne électorale, des démêlés avec la police impériale. Ceci en 1887. On le retrouve en 1894 à Paris, où .il publie le mensuel l’Europe nouvelle, qui appelle l’Allemagne à rendre l’Alsace, moyennant quoi, la France et l’Allemagne pourraient se réconcilier- pour le plus grand bien de l’Europe. Déjà! Voir, à ce sujet, Eccard : L’Alsace, pp. 134 et 176-177. Ce Lalance, qui a laissé une plaquette de Souvenirs, muets sur la question, est-il le même que celui de Lucien Descaves ?
(58) Sa nomination comme médecin-major paraît au Journal officiel du 8 mai. Le 221è bataillon était du 8è arrondissement. Nous n’en savons pas plus.
(59) On a beaucoup parlé des divisions de l’émigration communeuse, notamment de celle de Londres, qui semble en effet avoir parfois tourné au panier de crabes. Voir Delfau : Jules Vallès. L’exil à Londres. Il y eut moins de disputes ailleurs, on le voit par ce bel exemple de solidarité.
(60) Il l’a publié trois fois, à vrai dire. Il s’agit ici du Voyage de circumnavigation. Histoire de la déportation par un évadé de Nouméa. L’ouvrage est daté de Londres, 1875. Voir Del Bo : La Comune di Parigi p. 165. .
(61) Une autre édition du DBMOF rectifiera : cette voie n’est pas en Suisse.
(62) Tous ces noms dans L. Descaves : Philémon pp. 266-271 (qui donne à Wurth le prénom d’Emile), complété par DBMOF.
(63) L. Descaves: Philémon p. 268. Il y avait eu, bien entendu, d’autres protestations, à commencer par celle des députés alsaciens.
(64) L. Descaves : Philémon p. 271. Il n’y manque pas même le rappel du célèbre « Vous n’aurez pas l’ Alsace et la Lorraine » …
(65) Extrait du Démocrate socialiste de Berlin, cité par la Gazette de l’Allemagne du Nord, repris par le J.O. La Gazette se demandait si Bebel et Liebknecht, jusqu’alors tenus pour gens respectables par les Français, le seraient encore après cela.
(66) Cité par Eccard : L’Alsace pp. 149-150.
(67) Par ses adaptations au théâtre de leur œuvre commune, avec le final obligé de la vaillante alsacienne drapée dans un grand drapeau tricolore qui venait déclamer « Dis-moi! quel est ton pays? » Après L’ami Fritz, ce devait être d’un effet humoristique certain.
(68) Le pire, en particulier parce qu’il n’est pas d’origine. La question mériterait, elle aussi, une brève étude. Un de nos étudiants, M. Alexandre Bouillon, l’avait abordée dans un mémoire dans lequel il comparait Hansi à Erckmann.
Je vous signale une erreur concernant Myrtil May, qui n’était pas Mosellan, mais portait bien ce nom et ce prénom, et était né à Strasbourg le 17 février 1834, de parents tous deux nés dans la même ville. Il était le cousin germain de mon arrière-arrière-grand-père. Il était journaliste de profession.