Un mot a traversé mon esprit quand j’ai vu et pris cette image : Metropolis.
Nous sommes au Centre Jakob et Wilhelm Grimm, la bibliothèque de l’Université Humboldt, la seule dans laquelle j’ai pu entrer, contrairement à la Bibliothèque nationale Unter den Linden où il faut s’inscrire pour une visite guidée et à la Bibliothèque philologique de l’Université Libre de Berlin. Les trois m’intéressaient en raison de leurs nouvelles architectures.
Dans le célèbre dictionnaire des Frères Grimm – ils n’ont pas seulement collecté des contes – le mot Bibliothek ne figure pas mais celui de Bücherei avec le même sens, celui de conteneur de livres. Il s’agit dans les deux cas de bibliothèques publiques. Le mot Bibliothek s’utilise aussi pour désigner la collection de livres privée, personnelle ainsi que le meuble dans lequel ils sont entreposés. Si j’en juge par la mienne, elle n’est pas toujours synonyme de rangement. Et je ne suis pas le seul. Cependant, d’une manière générale, les bibliothèques publiques sont des lieux d’indexation (Cote, code-barre, mot-clé).
Metropolis. A mon retour de Berlin, j’ai essayé de comprendre cette évocation de Metropolis, le célèbre film de Fritz Lang. Il y a d’abord cette image en plongée sur un alignement de lecteurs installés sur des terrasses en escalier, un double escalier, en miroir, symétrique comme l’est l’ensemble de la structure géométrique tant à l’extérieur qu’à l’intérieur puis la séparation entre l’espace de travail, de lecture et les livres, une rationalisation qui suggère un lieu de production. Il y a quelque chose d’industriel dans cette image, impression qui provient du double alignement des livres et des lecteurs, ces derniers évoquant un futur pronétariat.
Les bibliothèques deviendront-elles des lieux de production d’un capitalisme cognitif ? D’un capitalisme 7 jours/7 et 24 heures/24, puisque c’est ce vers quoi tendent les horaires d’ouverture des bibliothèques universitaires en Allemagne ?
Le conteneur cubique de sept étages, œuvre de l’architecte Max Dudler, est situé à l’arrière de l’Université, le long d’un viaduc du métro aérien à proximité de la gare Friedrichstrasse.
Là encore se superpose une image de Metropolis
En même temps le modèle architectural semble évoquer les anciens casiers à fiches croisés au rez-de chaussée de la bibliothèque dans l’attente peut-être d’une place dans un musée.
Lesesaalmaschine (salle de lecture machine)
La séparation entre la présence physique des livres qui ont l’air de faire tapisserie et la salle de lecture est frappante. Préfigure-t-elle un futur de bibliothèque sans livre ? Aux Etats Unis, bibliothèque devient biblioTech
Ulrich Johannes Schneider, directeur de la Bibliothèque Universitaire de Leipzig, utilise à propos du Centre Grimm l’expression de Lesesaalmachine, machine de salle de lecture, salle de lecture machine. Dans une conférence intitulée La bibliothèque comme espace de savoir, à la Fondation Gerda Henkel, il s’interrogeait sur l’avenir des lieux de stockage des savoirs et se demandait si, dans cette course au beau bâtiment qu’il observait, on n’avait pas oublié de s’interroger sur ce que sont les bibliothèques et leurs fonctions (Source en allemand)
A propos du Centre Grimm, il disait que l’architecte avait poussé à l’extrême les symétries faisant apparaître les petits êtres humains comme des nains dans un mécanisme d’horlogerie à l’arrêt, les dents des rouages étant constitués par les espaces où se trouvaient les livres qui entourent les lecteurs. Les temps modernes en quelque sorte. Cinéma pour cinéma, nous sommes loin des Ailes du désir. Dans le film de Wim Wenders, la bibliothèque tient une place importante comme espace imaginaire dans un rapport direct avec l’objet livre. Le film avait été tourné à la Bibliothèque nationale située à l’époque à Berlin-Ouest, Wenders n’ayant pas été autorisé à filmer à l’Est. Des anges en RDA ? Vous n’y pensez pas !
On parle des bibliothèques comme dépôts des savoirs accumulés (Wissenspeicher). Ce sont en fait des savoirs morts même quand leurs auteurs sont encore vivants, dès lors qu’ils les ont consignés. Le savoir vivant va vers ce qu’on ne sait pas. Mais il passe par un dialogue avec les morts.
J’aime beaucoup à la bibliothèque flâner au milieu des livres surtout quand j’ai trouvé ce que j’étais venu y chercher et même sans but précis. Elle a toujours été constituée de deux espaces, celui du stockage des livres et celui de la lecture ou de l’emprunt avec une logistique cachée d’interface entre les deux, ce qui a conduit à la création d’emplois de magasiniers. Aujourd’hui, ces lieux se transforment en self service automatisé transférant à l’usager et à des automates les tâches liées à l’emprunt. Ce dernier fonctionne à travers des automates de prêts. Au Centre Grimm, 98 % des emprunts sont automatisés grâce aux technologies RFID. Chez moi, quand je ne trouve pas un ouvrage que j’ai la certitude de posséder, il m’arrive de souhaiter qu’il soit équipé d’une puce afin que je puisse l’appeler. Mais je constate aussi qu’en le cherchant j’en trouve souvent un autre auquel je n’avais pas pensé. L’automatisation conduit à la perte de sérendipité. Elle rend insupportable la non-disponibilité d’un document. Elle permet aux étudiants l’accès à la bibliothèque la nuit. Elle fonctionne en effet 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7 sans autre personnel nocturne que des agents de sécurité. Ce n’est pas (encore) le cas actuellement au Centre Grimm qui est cependant ouvert jusqu’à minuit et 7 jours sur 7 mais la Bibliothèque universitaire de Leipzig ainsi que celle de Fribourg-en-Brisgau (qui vient d’ouvrir et se trouve en période de test – j’y reviendrai) sont désormais ouvertes en continu 24/24 et 7/7.
On peut y travailler jusqu’à épuisement
Sur le thème de la Bibliothèque, on peut lire aussi sur le Sauterhin : Visite à la Bibliothèque de Sélestat à la recherche d’une manicule