Le mouvement des indignés, ou d’occupation, ou de campement ou ‘démocratie maintenant’ ou des 99%, tout cela successivement ou en même temps, n’est pas facile à appréhender. Il est à la fois global tout en s’exprimant et s’organisant localement, mélange la référence à la Tea Party et à Guy Debord. On était évidemment quelque peu impatient de savoir ce que le sociologue du cosmopolitisme et de la société mondiale du risque, Ulrich Beck, allait pouvoir nous dire de tout cela. Soudain se brise le modèle économique de l’American way of life. Tout à coup le capitalisme s’appelle à nouveau capitalisme et subit le feu de la critique. Quelles potentialités y a-t-il dans tout cela ? Ulrich Beck analyse le mouvement « occupy » dans la société mondiale du risque et se demande d’où vient qu’il retienne à ce point l’attention (sauf, semble-t-il, en France). Son texte est paru le 28 octobre dans le quotidien Tageszeitung.
Il y a d’abord un constat sur ce qu’est et n’est pas cette mobilisation et sur sa « localisation ».
Les protestataires ne se mobilisent pas contre une mauvaise loi ou pour une revendication particulière mais contre « le système » lui-même. (…) Ce ne sont pas les « superflus » (les « inutiles au monde » de Zygmunt Bauman) , ce ne sont pas les exclus, pas le prolétariat mais le milieu, le centre de la société qui s’installe sur les places publiques. C’est cela qui déstabilise « le système » et lui ôte sa légitimité.
Il est certain que le risque financier global n’est pas (pas encore) la catastrophe financière. Mais il pourrait le devenir. Ce conditionnel catastrophique est le typhon qui a pénétré sous forme de crise financière au milieu des institutions sociales et dans le quotidien des hommes. Cette pénétration s’est faite sur un mode irrégulier, sans être situé sur le terrain de la constitution et de la démocratie avec un potentiel explosif de non savoir inavoué balayant les repères d’orientation.
Ce milieu qui fait vaciller l’édifice néolibéral – dans quel sens ? – est-ce ce que l’on appelle les couches moyennes ? Qui sont –elles plus précisément pour former une « communauté de destin » de 99% ? Cette communauté de destin se constitue-t-elle par delà les différences sociales ? On assiste à la mise en œuvre d’une sorte de keynésianisme pour riches. On voit des états sans le sou verser des sommes astronomiques aux cathédrales du capitalisme. Tout le monde peut le constater. Mais, écrit Ulrich Beck, le constater « cela ne signifie pas qu’on le comprenne ».
Les menaces sont appréhendées localement comme un évènement cosmopolitique.
De tels évènements entrent en collision avec le cadre institutionnel et conceptuel dans lequel nous pensons la société et la politique ; ils mettent ce cadre en question de l’intérieur. En même temps, cela se fait selon des contextes culturels, économiques et politiques divers, en conséquence, la protestation globale se différencie localement.
Une nouvelle dynamique de protestation
Les flux financiers mais pas la totalité des relations commerciales ni des conditions de production de l’économie, seulement ces transactions financières numériques, en temps réel, qui peuvent soulever puis laisser s’effondrer des pays entiers témoignentt de manière exemplaire qu’elle peut être la nouvelle dynamique de protestation dans la société mondiale du risque. Car les risques financiers globalisés sont une sorte de démonstration objective des relations existantes se retournant contre elles-mêmes. Les hommes font sous le diktat de la nécessité une sorte de cursus éclair sur les contradictions du capitalisme financier dans la société mondiale du risque. Les comptes-rendus des medias couvrent la séparation radicale entre ceux qui produisent les risques et en profitent et ceux qui doivent en assumer les conséquences.
Un socialisme d’Etat pour riches
Nous assistons à des retournements dignes d’un spectacle de cabaret :
Banquiers et managers, en gros les intégristes du marché, en appellent à l’Etat. Les politiques comme en Allemagne Angela Merkel et Peter Steinbruck [dirigeant du Parti social démocrate, SPD candidat d’Helmut Schmidt à la chancellerie] qui ne tarissaient pas de vivats pour le capitalisme dérégulé changent du jour au lendemain d’opinion et d’étendard au profit d’une sorte de socialisme d’Etat pour riches.
Nous sommes devenus une partie d’une grande expérimentation économique .
Partout règne le non-savoir. Personne ne sait ce qu’il en est ni ce qui résultera réellement des thérapies prescrites dans l’ivresse du nombre de zéros. Nous tous – les 99% donc – faisons partie d’une expérimentation économique à grande échelle qui d’un côté se situe dans l’espace virtuel d’un non-savoir plus ou moins inavoué parce qu’il s’agit d’empêcher que n’advienne quelque chose qui ne doit pas arriver tant sur le plan des moyens que sur celui des fins et qui d’un autre côté a des conséquences très dure pour tout le monde.
Le système a perdu sa légitimité
Les risques financiers globaux amènent à une politisation « involontaire » inédite.
Globalisation veut dire : tout le monde est touché par les risques, tous se considèrent atteints. On ne peut cependant pas en déduire qu’il en résulterait une action collective, ce serait une conclusion prématurée. Mais il y a quelque chose comme une conscience de la crise issue du risquer et cette menace collective représente une forme de destin collectif. (…).
La société mondiale du risque – c’est ce que montre le cri des 99% – peut dans un moment cosmopolitique devenir une conscience réfléchie d’elle-même. Cela devient possible dès lors que les réalités se retournent contre elles-mêmes et se transforment en engagement politique conduisant tout le monde dans la rue.
D’où provient le pouvoir ou l’impuissance du mouvement d’occupation ? Ce n’est pas seulement que les requins de la bourse eux-mêmes s’en déclarent solidaires. Le danger financier global a ôté au capitalisme financier sa légitimité. La conséquence en est une asymétrie entre pouvoir et légitimité. Un grand pouvoir et une faible légitimité du côté du capital et des états petit pouvoir et très grande légitimité du côté du carnaval des protestataires.
Ce déséquilibre devrait permettre de faire aboutir des revendications telle que la taxe sur les transactions financières par une alliance entre le mouvement global et les politiques nationales, pense Ulrich Beck. La difficulté de cette thèse résidant, me semble-t-il dans la totale perte de crédit de la politique. Ainsi l’accueil plus que sceptique quand Angela Merkel découvre soudain la nécessité d’un salaire minimum.
L’adversaire le plus tenace et le plus convainquant de la finance ne se trouve pas parmi ceux qui plantent leurs tentes devant les banques malgré la nécessité d’une telle action, conclut le sociologue de la Société du risque, l’adversaire le plus coriace de la finance est la finance elle-même.
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