Repensant à Günter Grass, je me souviens d’un article que j’avais commis sur lui il y a plus de trente ans. Rendant compte alors de son livre Journal d’un escargot qui venait d’être traduit en France, je n’avais pas ménagé mes sarcasmes à l’égard de l’auteur du Tambour car non seulement il racontait dans ces pages le rôle qu’il avait assumé en 1969 dans la campagne électorale du parti social-démocrate ouest-allemand, un parti qui, au gouvernement, avait mis en place les interdictions professionnelles contre les « extrémistes » (en fait, principalement les communistes) mais de plus – nous étions en 1974 – l’écrivain avait refusé de signer un appel contre la répression au Chili en compagnie de Peter Weiss sous prétexte que ce dernier exprimait des réserves sur les positions politiques de Soljenitsyne. Ma recension de l’ouvrage se terminait sur ce jugement qui ne s’embarrassait guère de subtilités : «Alors que de nombreux militants du SPD en viennent à critiquer l’anticommunisme de leurs dirigeants, il faut décidément être un homme du Monde pour voir en Günter Grass ‘l’enfant terrible de la social-démocratie allemande’ et pour ne pas entendre, derrière le rantanplan du tambour, la grosse caisse de l’idéologie dominante.»Lorsque j’avais apporté mon papier à l’hebdomadaire communiste [France Nouvelle] auquel je donnais de temps à autre une critique d’un ouvrage récemment paru, le responsable de la rubrique culturelle me fit remarquer qu’il manquait un titre à ma diatribe. «Que dirais-tu de : Un gastéropode dans des salades anticommunistes ?», me suggéra-t-il. Je trouvai la formule épatante.
Bien entendu, les années qui suivirent m’amenèrent à nuancer fortement mon point de vue d’alors. Notamment lorsque Günter Grass critiqua la façon dont s’était faite l’unification allemande et prit, en 1990, la défense de Christa Wolf lorsque celle-ci fut la cible de campagnes de dénigrement dans la presse ouest-allemande. Mon gastéropode dans les salades anticommunistes me restait sur l’estomac et j’éprouvais un sentiment qui ressemblait à du remords. Au début de ce siècle, l’occasion se présenta d’en parler directement avec celui que j’avais injustement mis en cause. Grass était venu, avec Daniela Dahn, présenter un livre à la Maison Heinrich Heine Paris et, lors de la réception amicale qui suivit, je lui ai raconté l’anecdote. Il plissa les yeux, sourit, éclata de rire, leva son verre de vin et trinqua de bonne humeur avec moi. J’étais soulagé par cet épilogue.
Il faut toujours du temps, beaucoup de temps, pour que nos histoires avec l’Allemagne trouvent une heureuse conclusion.
Alain Lance