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Habemus papam, mais on s’en fiche
J’ai d’abord été tenté de partager avec une majorité d’Allemands une sainte indifférence envers la visite du Pape en Allemagne mais la vue de cette double page au titre ambigu, L’étranger, m’a incité à tout de même la retenir car il n’y a pas d’expression plus éloquente me semble-t-il du divorce qui s’est installé entre le pape actuel et son pays d’origine. Un autre signe d’une désinvolture tout à fait inédite se trouve par exemple dans cette “une” du quotidien Tageszeitung remplaçant la photo de Benoît XVI par E.T.
L’Allemagne qui lors de l’élection du Cardinal Ratzinger s’était exclamée Nous sommes Pape a rapidement déchanté devant les complaisances du Vatican à l’égard d’évêques révisionnistes, son silence assourdissant devant les scandales de pédophilie qui ont éclaboussé l’église, les propos ambigus du Pape sur l’Islam ainsi que toutes les positions anachroniques de l’église sur le divorce, l’homosexualité, le préservatif, l’avortement, le mariage des prêtres. L’Eglise catholique n’est pas à l’écoute des préoccupations de la société mais demande à la société d’être à l’écoute des préoccupations de l’Eglise. Résultat : le nombre des catholiques est en recul de 12,7 % depuis 1990 (en Allemagne, cela se calcule facilement puisque est membre d’une église celui qui paye l’impôt pour cette église). Pour la première fois en 2010, le nombre de personnes ayant quitté l’église a dépassé le nombre de ceux qui y ont reçu le baptême. Il y a des grondements même chez ceux qui restent en raison de ce que le théologien critique Hans Küng appelle la “poutinisation de l’Eglise”. La splendeur absolutiste du Pape n’aurait rien à envier à celle de Louis XIV.
Un certain nombre de mesures prises pour assurer la sécurité de ce voyage renforce encore la distanciation [Entfremdung] entre ce pape et la population dont il est issu. A titre d’exemple, citons seulement le fait qu’à Berlin toutes les vitres doivent rester fermées sur son passage, tout salut amical envers le pape risquerait d’être interprété comme potentiellement terroriste. A Fribourg-en-Brisgau, ville cyclable s’il en fut, ce sont les vélos qui sont interdits de stationnement sur son parcours.
En juillet 2010, soit il y a un peu plus d’un an, dans un essai sur la déseuropéisation du christianisme, le sociologue Ulrich Beck notait que le Pape Benoît XVI, en luttant contre la “dictature du relativisme », défend une hiérarchie de la vérité qui suit la logique du jeu de Skat [un jeu de carte] : la foi coupe la raison, la foi chrétienne coupe celle des autres religions (particulièrement l’Islam). Et le Pape est l’atout maître dans la hiérarchie des cartes de l’orthodoxie catholique.
Sa visite en Allemagne suit très exactement cette hiérarchie si l’on en croit la description qu’en a faite le correspondant du journal Le Monde : Les différents dossiers que le pape abordera au cours du voyage sont scandés par le choix des villes visitées : la sécularisation à Berlin, le coeur d’une Europe « sans Dieu », régulièrement fustigée par Benoît XVI [“la foi coupe la raison”], l’oecuménisme à Erfurt, ville où étudia le moine Martin Luther au XVIe siècle, avant d’initier la Réforme [“la foi chrétienne coupe celle des autres religions”], le message pastoral au noyau dur des croyants [“l’atout maître”] à Fribourg-en-Brisgau, où subsiste une vitalité catholique.
Il reste peu de place pour de la spontanéité. Mais peut-être, grâce à une savante stratégie de communication et quelques concessions à chaque étape, récupérera-t-il en quatre jours un peu terrain perdu. A moins qu’il ne soit déjà trop tard.