C’est dans le contexte obscurantiste, alimenté par une étude de la BCE, qu’illustre cette « une » du Spiegel qui sous-entend un non seulement ils sont fainéants mais ils planquent leur pognon, que s’est créé dimanche dernier, 14 avril 2013, à six mois des élections législatives, un nouveau parti qui a pris pour nom : « Alternative pour l’Allemagne ».
Depuis quelque temps, on sent que quelque chose se cherche du côté de la droite de la droite allemande. Et ce n’est pas la première tentative du genre. Il y a eu, par exemple, la création du Parti des Electeurs libres (sic) qui a réussi une percée au Parlement du Land de Bavière. L’actuel président du nouveau parti, Bernd Lucke en faisait partie et on retrouve dans les deux cas les mêmes inspirateurs. Parmi eux Hans-Olaf Henkel, ancien président de la Confédération patronale de l’industrie allemande et pourfendeur de l’euro, que Klaus Harprecht n’hésite pas à qualifier de « pendant allemand de Le Pen », version peinte en bleu marine. Car tout ce beau monde fait bon chic bon genre et exprime sa xénophobie les lèvres pincées, tout en s’offrant un petit frisson de politiquement incorrect. Un tea party à l’allemande, qui pratique une monétarisation de la démocratie et de la citoyenneté dénonçant la « camisole des partis » de l’establishment (en Allemagne on parle du cartel) et leur « police du langage », « l’EURSS » (l’Union soviétique européenne, qui fonctionne comme l’équivalent de l’UMPS du Front national), de la « dégénérescence du parlementarisme ». Bien sûr, ces gens là « ne font pas d’idéologie », ils pataugent dedans. Ils ne sont « ni de droite ni de gauche », ils sont le « parti du bon sens ». J’ai repris là quelques expressions applaudies debout lors du Congrès fondateur de l’Alternative pour l’Allemagne dans un hôtel de Berlin. Assemblée d’hommes quinquagénaires, beaucoup de professeurs d’économie des universités, des représentants du capitalisme entrepreneurial familial, beaucoup d’anciens adhérents des partis de la coalition gouvernementale et quelques néonazis infiltrés du NPD qui tenait à avoir un pied dedans.
Bien sûr, rien n’indique que cela marchera cette fois plus que les précédentes. Ils ont actuellement le vent en poupe et l’on sait les Allemands nostalgiques de leur symbole identitaire perdu, le DM (Deutschemark). Cette régression identitaire est instrumentalisée pour la poursuite de la révolution conservatrice. En arrière plan, se trouve en effet une boite à penser, la bien nommée société Friedrich Hayek
Mais quelque chose me fait penser que c’est à prendre au sérieux.
En occupant le mot alternative pour le dévoyer dans un contexte de There is no alternative aggravé dont ils dénoncent le suivisme, les professeurs de ce tea party à l’allemande jouent un jeu dangereux. Car l’alternative qu’ils proposent est inconsistante : faire de la zone euro le bouc émissaire d’une crise qu’ils ont vécu pour beaucoup comme membre des partis de la coalition de Mme Merkel. Cette prétendue alternative est couplée au nationalisme, c’est une « alternative pour l’Allemagne ». Pour le bloggeur Christian Schaeffer, nous avons à faire à un « national-libéralisme intellectuel »
Tout cela est encore en gestation.
Voici un petit aperçu de la bouillie programmatique. Si le nouveau parti est présenté comme anti-euro, on notera aux revendications qui figure en tête du mince programme de trois pages que ce n’est pas sans ambigüité :
« Nous demandons la dissolution ordonnée de la zone euro. L’Allemagne n’a pas besoin de l’Euro. L’euro est dommageable pour les autres pays ».
Deuxième phrase
« Nous demandons la réintroduction des monnaies nationales ou la création d’alliances monétaires plus petites et plus stables. La réintroduction du D-Mark ne doit pas être taboue »
M’est avis que l’on devrait pouvoir être plus clair.
Dans un entretien à Focus-online, Bernd Lucke, présenté comme le « rebelle » anti-euro, précise que pour lui l’euro n’est pas la bonne monnaie pour un territoire aussi grand et aussi économiquement disparate. Dans un premier temps, il souhaite que la Grèce, Chypre, l’Italie, l’Espagne et le Portugal, « probablement aussi » la France sortent de l’euro. Mais il trouverait bien aussi de créer une zone monétaire entre l’Allemagne, la Finlande, les Pays-Bas et l’Autriche.
Tout le monde ne mérite pas l’euro. On retrouve dans d’autres domaines cet inégalitarisme. Par exemple dans le domaine de la démocratie. Un autre bloggeur, sociologue, Andreas Kemper, fait observer que Konrad Adam, un fieffé réactionnaire qui vient d’être élu à la direction de ce nouveau parti joue avec l’idée qu’il faudrait peut-être supprimer le droit de vote pour les chômeurs et les retraités qui vivent de subsides de l’Etat et qui trop nombreux pèsent négativement sur la politique. Les faibles ont trop de poids politique dans nos démocraties, telle est la thèse. Dans le fond seule la propriété garantit la citoyenneté et il faut protéger l’élite de la démocratie. Le même considère qu’il n’y a « pas de redistribution scolaire » et mène une attaque en règle contre la pédagogie et l’égalitarisme tablant sur un retour de l’autorité du maitre et le rôle éducatif de la famille. (Cf. Wer soll wählen ? Die Macht der Schwachen. Qui devrait voter ? Le pouvoir des faibles)
Considérer que la question de l’euro est la seule question de la crise qui détermine tout le reste constitue une fausse base qui mène à une fausse alternative. Celle d’un économisme financier extrémiste qui est en ceci particulièrement dangereux qu’il occupe et dévoie l’idée même d’alternative
A suivre donc…
L’inconsistance et les contradictions, même fondamentales, que vous soulignez, ne sont en rien un obstacle à l’émergence d’un nouveau parti politique… Hélas !
Notre Front National a bien réussi à acquérir une audience, y compris dans les urnes, malgré la grande légèreté de ses analyses et malgré ses propositions loufoques.
Abandonner l’Euro ? Chiche ! La plupart des monnaies nationales – Pays-Bas et Autriche inclus – subiront des dévaluations sévères qui rendront les produits allemands bien plus chers. Ces effets commencent d’ailleurs à se sentir de façon significative par un autre biais : celui des politiques d’austérité à l’œuvre dans les pays d’Europe du Sud (mais pas seulement) qui plombent déjà la croissance allemande. Le cocktail austérité et dévaluations compétitives serait assez détonnant. C’est une illusion de croire que l’Allemagne en sortirait indemne.