Il y avait un centurion romain, un noiraud, il était brun comme une olive mûre et apprenait le latin à une blonde jeune fille. C’est, du point de vue du Général du Diable, le début de la longue lignée du lieutenant Hartman qui a quelques problèmes avec la pureté de ses origines en raison des écarts supposés d’une des ses arrières grand-mères. Dans la scène extraite de la pièce (et scénario de film) de Carl Zuckmayer des Teufels General, le général d’aviation Harras, lui explique ce que signifie être d’une famille originaire des bords du Rhin, pressoir de l’Europe. Le texte date de 1945.
“Du Rhin, en plus, du Rhin ! La grande brasserie des peuples, le pressoir de l’Europe. Vous n’imaginez pas tout ce qui a pu arriver au sein d’une famille aussi ancienne que la vôtre, surtout si elle vient du Rhin.
Imaginez un peu à quoi peut ressembler votre galerie d’ancêtres depuis la naissance du Christ.
Il y avait un centurion romain, un noiraud, il était brun comme une olive mûre et apprenait le latin à une blonde jeune fille. Puis un épicier juif s’est mêlé à la famille, un gars sérieux. Il s’est converti au christianisme avant le mariage et a fondé la tradition catholique de la maison. Puis s’est ajouté un médecin grec ou un légionnaire celte, un lansquenet grison, un cavalier suédois, un soldat de Napoléon, un cosaque déserteur, un flotteur de Forêt Noire, un apprenti meunier en vadrouille, un gros batelier de Hollande, un magyar, un pandour, un officier viennois, un comédien français, un musicien de Bohème.
Tout ce beau monde vivait aux bords du Rhin, s’y chamaillait, y buvait, y chantait, et …y faisait des enfants.
Et le …, le Goethe, lui aussi, sortait de la même marmite Et le Beethoven, et le Gutenberg, et le Mathias Grünewald, et le… et… Tu n’as qu’à consulter le dictionnaire.
C’étaient les meilleurs, mon cher ! Les meilleurs du monde. Et pourquoi ?Parce que tous les peuples s’y sont mélangés. Mélangés, comme l’eau des sources et des ruisseaux et des rivières, pour confluer en un grand fleuve vivant. Du Rhin, cela signifie de l’Occident. C’est de la noblesse naturelle. La voilà, la race. Soyez-en fier, Hartmann, et jetez aux chiottes les papiers de votre grand-mère. Santé !”
Extrait de Des Teufels General (Le général du Diable) de Carl Zuckmayer