Dans ses Mémoires d’un enfant albinos du Piedmont cévenol, Michel Pastor consacre quelques pages d’un chapitre à mes parents. Le voici :
CHAPITRE 7 POUR MARLYSE ET ANDRE UMBRECHT
« Je ne puis terminer le récit de ma période mulhousienne sans évoquer avec émotion la famille Umbrecht et plus particulièrement André et Marlyse. J’ai déjà dit la solitude et l’isolement de mes premiers jours en Alsace. Cette situation ne durera pas. À la rentrée 68, Bernard Umbrecht, qui dirige l’UEC et l’’UNEF avec Michel, Alain et moi me présente ses parents André et Marlyse. J’ai déjà rencontré André par l’entremise de Léon Tinelli mais je n’ai pas encore franchi la porte de la maison rue Gounod, maintenant c’est chose faite. André et Marlyse m’accueillent à bras ouverts. De ce jour, j’ai compris que je ne « marcherai jamais seul » en Alsace. Marlyse, chaleureuse et dynamique fait tourner la maison Umbrecht avec vigueur et détermination. Il faut dire que ses trois fils, dans la force de leur jeunesse ont de quoi occuper une maman dévouée et aimante. Alors un de plus, même s’il a des faiblesses coupables pour sa cuisine et plus particulièrement sa tarte à l’oignon et ses fraises au vin, ça ne pèse pas lourd. Je la vois encore sourire face au ravage occasionné à un rôti ou à une choucroute, je n’oublierai jamais sa bienveillance. Marlyse est partie trop jeune, emportée par une crise cardiaque.
Lorsque Bernard me prévient la veille de ses obsèques, c’est le début de soirée à Sarcelles. Je décide de tout faire pour rejoindre Mulhouse, Mon voisin et ami André Martini me dépose gare de l’Est, J’obtiens un billet pour un train de nuit rempli de militaires. Je débarque en gare de Mulhouse dans le petit matin. Le ciel est gris. Une petite brume flotte dans la lumière sourde. Je remonte la rue du Sauvage en travaux, le boulevard Kennedy et la quatre-voies qui passe devant la piscine et fonce vers l’université. J’arrive rue Gounod, je passe la porte et j’entends Sylvia qui pleure. Je n’écoute pas le pasteur, je serre dans mes bras les frères Umbrecht et Sylvia puis je repars rempli de chagrin et de larmes.
Avec André, ce seront des relations d’un tout autre ordre. Il m‘apprendra à aimer l’Alsace et à connaître son histoire. Il faut dire que l’homme est un véritable héros. Dès l’annexion de l’Alsace par le IIIème Reich, André Umbrecht entre en résistance. Lorsqu’il est incorporé de force dans la Wehrmacht, il chante la Marseillaise avec d’autres camarades alsaciens. Cela lui vaudra, comme il le racontera à mon père, un traitement de faveur dans un camp militaire autrichien. Envoyé combattre en Yougoslavie puis en Italie, il déserte, rejoins les partisans italiens puis la 8ème armée britannique comme agent de renseignements et enfin intègre les forces navales libres à Alger où il finit la guerre comme quartier-maître. Dès son retour en Alsace, il s’engage au parti communiste et à la CGT et restera fidèle à son engagement jusqu’à son décès en 1993. Avec André, j’apprendrai l’horreur de la guerre des paysans et leur massacre à Saverne par le duc de Lorraine au XVIème siècle. Je mesurerai la formidable adhésion de l’Alsace aux idéaux de la révolution française. Je découvrirai que Mulhouse à élu un député socialiste en 1948.
Personnifiant par son parcours les déchirements franco-allemands, il me fera comprendre et aimer cette terre d’Alsace, à moi l’étudiant de l’intérieur. Avec André Umbrecht, je deviendrai un meilleur patriote. Je comprendrai que le patriotisme français, c’est d’abord une idée, c’est l’amour de la liberté de l’égalité et de la fraternité portée par un pays aux cultures et aux traditions les plus diverses mais fondamentalement uni par un même idéal. André nous quittera en 1993 et c’est Léon Tinelli, son vieux compagnon de route qui lui rendra hommage.
Mes parents reprendront le chemin de Mulhouse en 1969, pour rencontrer la famille qui accueille leur fils. Entre le brigadiste et le patriote Alsacien, le courant passe immédiatement. Quant à nos mères, elles s’entendront dès le premier regard. Denise subjuguée par la gentillesse et la joie de vivre de Marlyse partira rassurée sur la situation de son petit si loin de Saint-Bauzille. Cinquante ans après avec Bernard et Sylvia, Paulette et moi cultivons toujours cette amitié entre nos familles. Devenus grands-parents, nous regardons nos petits enfants pousser en liberté de part et d’autre du Rhin ».
(Michel Pastor : Mémoires d’un enfant albinos du Piedmont cévenol. Éditions Vérone. Pp. 102-104)
Cet émouvant hommage à mes parents forme le chapitre 7 des mémoires de mon ami Michel Pastor. Michel est né à Béziers en 1947. Albinos de naissance, il passera son enfance dans le village cévenol de Saint-Bauzille-de-Putois. C’est peu de dire que j’y avais moi-même été chaleureusement accueilli par ses parents, Denise et Alfred. Je suis particulièrement touché par ce qu’il dit de ma maman, de sa générosité, de son savoir-faire culinaire, de son art de recevoir. Elle est morte à l’âge de 56 ans. Nos pères avaient plein d’histoires singulières à se raconter. Celui de Michel avait été capitaine dans l’Armée républicaine espagnole, participé à la Seconde guerre mondiale et à la Résistance. Le mien avait été, comme tous les jeunes alsaciens de sa génération, incorporé de force dans l’armée allemande en octobre 1942. Envoyé en Yougoslavie puis en Italie, il déserte la Wehrmacht en 1944 – ce qui lui vaut une condamnation à mort – pour rejoindre un maquis italien. Un temps agent de liaison entre le maquis et la 8ème armée britannique, il s’engage, en décembre 1944, dans la Marine française. Nos géniteurs avaient en outre été d’actifs syndicalistes à la CGT.
A la rentrée universitaire 1968-69, ayant compris que les études de médecine n’étaient pas faites pour moi, j’avais entamé des études de lettres, jamais achevées, à Mulhouse. J’avais adhéré à l’Union des étudiants communistes (UEC) à la Faculté de médecine de Strasbourg. J’ai continué à militer à Mulhouse avec Michel et Alain Gourdol notamment.
J’ai la mémoire des voix. J’entends encore celle de stentor émerger du groupe de bizuths bon enfant de l’École de chimie de Mulhouse. Celle-ci est située juste en face de la maison de mes parents. Michel y avait entrepris des études d’ingénieur chimiste. De même, j’ai encore dans l’oreille ses éclats de rire. Je me souviens aussi des ricanements peu fraternels provoqués par son salut, prononcé avec l’accent du midi, des étudiants d’Alsace du Sud au congrès de l’UNEF où nous figurions parmi les adeptes de Pif le chien. Nous répondions aux cris de Marx Engels Lénine Staline Mao des maoïstes par de révolutionnaires Pif, Pifou, Tonton Tata Hercule. Nous étions l’Unef-renouveau. La Fédération des étudiants de Mulhouse avait une centaine d’adhérents, près d’un étudiant sur dix et des élus au Conseil d’administration de l’Université, grâce à la réforme initiée par Edgar Faure. En cela nous avons été les co-créateurs de l’Université de Haute Alsace, ce que l’on y a totalement oublié.
Michel raconte cela, après avoir esquissé l’histoire de ses ascendants, son enfance et adolescence, la scolarité, Maths-sup, Maths-spé, son profond dépaysement à son arrivée en Alsace où il passera quatre années à l’École de chimie de Mulhouse, les rencontres qu’il y fera dont la famille Umbrecht. Ses études achevées, il entame une carrière professionnelle qui, en raison de son handicap, prendra une toute autre voie que celle de la chimie, celle de l’administration d’abord municipale à Sarcelles, puis d’État où il finira directeur général du Centre de formation de la fonction publique territoriale après être passé par le Ministère de l’équipement. Une belle carrière. Amplement exposée dans le livre en lien avec les obstacles à franchir, les évènement familiaux et politiques.
Michel raconte ainsi sa rupture avec le Parti communiste après l’invitation discrète qui nous avait été faite au vote révolutionnaire pour ….Valéry Giscard d’Estaing contre François Mitterand au second tour des présidentielles de 1981.
En 1975, c’est l’année des épousailles avec Paulette Riteau. Ils auront deux enfants, Lise et Vincent. C’est à l’occasion d’un de leur anniversaire de mariage, en juin 2000, que je ferai la rencontre, qui deviendra décisive pour moi, avec Bernard Stiegler, à l’époque sans avoir la moindre idée de quel philosophe il était. Et je ne saurai que plus tard que Michel l’avait soutenu pendant sa période d’emprisonnement à la suite de plusieurs hold-up qu’il avait commis parce que les banques lui avaient refusé un crédit pour son bar à jazz. Les quelquefois que j’ai rencontré le philosophe, il ne manquait pas de me demander des nouvelles de Michel. Il n’y a pas que des amitiés philosophiques. Bernard Stiegler avait un temps été chargé de mission à la mairie de Sarcelles où il partageait un bureau avec Michel Pastor. Cela ne devait pas durer pour la raison suivante :
« Le problème est que nous refaisions le monde trois fois par jour et à très haute voix au grand dam du premier adjoint dont le bureau jouxte le nôtre et dont les cloisons ne le privent d’aucune de nos pensées décisives. Tel un maître d’école, le bras droit d’Henri Canacos [Maire de Sarcelles] décide de nous séparer et m’envoie dans un bureau situé au-dessus du logement de la conciergerie »
(Michel Pastor : Mémoires d’un enfant albinos du Piedmont cévenol. Éditions Vérone. p. 112)
La famille Pastor est à la fois laïque et œcuménique. La maman de Michel comme la mienne étaient protestantes. Elle est aussi internationale. On y trouve l’Espagne, l’Algérie et la Pologne.
Je ne vais pas vous raconter tout le livre qui est aussi un hommage aux hussards noirs de la République et à la fonction publique qui ont su lui mettre le pied à l’étrier. Cela passe par des personnes concrètes. Je me suis concentré sur la période mulhousienne qui a tant marqué son auteur.
M. Pastor y revient souvent : il place l’amitié au-dessus des choix qu’ont pu faire les ami.e.s. J’en suis pleinement d’accord.
J’apporte encore deux précisions pour bien comprendre le passage cité. Léon et Jacqueline Tinelli sont évoqués plus longuement dans un passage précédent. Léon fut secrétaire général de l’Union départementale CGT du Haut-Rhin de 1967 à 1974. On trouvera de lui une courte biographie dans le dictionnaire biographique du mouvement ouvrier, le Maitron. Quant à nos petits enfants de part et d’autre du Rhin, il faut savoir que ma fille, son mari et mes trois petites filles vivent en Allemagne. Et connaissent bien entendu, tout comme mon fils, Saint-Bauzille-de-Putois.
Pour ma part, jamais je n’oublierais la généreuse hospitalité dont Paulette et Michel m’ont fait bénéficier tant à Saint-Bauzille-du-Putois qu’à Sarcelles ou rue Molière à Paris.
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