L‘Allemagne s’engage-t-elle dans la 3ème révolution industrielle ?

Extrait du film documentaire Unter Kontrolle (Sous contrôle) de Volker Sattel. Un manège dans la tour de refroidissement du surgénérateur de Kalkar transformé en parc d’attraction

Dans le Journal du Dimanche (5 juin 2011), la présidente d’Areva s’exprimait sur la décision allemande de sortir du nucléaire en ces termes :

Ce n’est jamais que l’application d’une décision prise par Gerhard Schröder en 2002. Angela Merkel a fait une brusque volte-face pour des raisons politiques. Le reste de l’Europe réagit différemment. Deux exemples ces dix derniers jours: la Grande-Bretagne a annoncé le maintien de son programme nucléaire ; le Parlement polonais vient de voter le sien à 90%. Les fondamentaux n’ont pas changé: nous serons 3 milliards de plus d’ici à 2050 ; il va falloir trouver beaucoup plus d’énergie la moins chère possible ; enfin, il va falloir rejeter beaucoup moins de CO2. Or les deux types d’énergie ne produisant pas de CO2 sont les renouvelables et le nucléaire. Par quoi l’Allemagne va-t-elle remplacer son nucléaire? Du charbon? Du gaz? ça veut dire plus de CO2 ! Des énergies renouvelables? Elles sont intermittentes et on ne sait pas stocker l’électricité. L’Allemagne devra donc importer de l’électricité venue de pays ayant tous des programmes nucléaires. Où est la logique?

Nous allons  essayer de répondre à la question de Mme Anne Lauvergeon en nous étonnant que dans un groupe comme Areva, elle ne dispose pas des ressources en interne pour une analyse plus fine de ce qui se passe en Allemagne. A moins bien sûr qu’elle ne considère que les lectrices et lecteurs du JDD ne méritent pas mieux que la plus plate propagande pour empêcher qu’un débat ne se déploie en France. La tentative nous fait perdre beaucoup de temps. Mieux vaudrait peut-être considérer qu’il faut  éviter de se laisser par trop distancer par l’Allemagne.
Reprenons point par point
Anne Lauvergeon : Ce n’est jamais que l’application d’une décision prise par Gerhard Schröder en 2002. Angela Merkel a fait une brusque volte-face pour des raisons politiques
Du point de vue de l’industrie nucléaire les raisons politiques sont toujours de mauvaises raisons sauf bien entendu quand elles servent leurs intérêts. Si ce n’est rien d’autre que l’application d’une ancienne mesure, pourquoi tant d’énervement tout d’un coup ? Ne serait-ce pas parce que l’on sent que l’affaire est sérieuse ?  Sur quoi la chancelière a-t-elle fait “volte-face” ? Sortir ou pas du nucléaire est une question tranchée depuis longtemps en Allemagne au profit d’une autre : le faire plus ou moins vite. La “volteface” dont il est question consiste à remettre en cause la décision de prolonger d’une douzaine d’année la durée de vie des centrales nucléaires par rapport au choix fait par le gouvernement Schröder en 2002. En rompant le consensus elle a provoqué un réveil antinucléaire avant même la tragédie de Fukushima. Un glissement avait déjà commencé à s’opérer dans une partie de l’électorat de la droite notamment des centres urbains vers les écologistes. L’Allemagne a découvert que l’on peut être de droite et antinucléaire. C’est cela la nouvelle donne politique. Il ne restait plus qu’à convaincre une fraction du parti chrétien démocrate et de leurs soutiens industriels. C’est chose faite. Désormais, en Allemagne, même Dieu est vert. Le positionnement antinucléaire est du pain béni aussi pour des Eglises en déclin qui y trouvent matière nouvelle pour les sermons dominicaux. Que tout le monde soit vert n’embête que…les Verts à qui cette décision coupe le vert sous les pieds. Ils devraient cependant trouver du grain à moudre ne serait-ce qu’avec les crises alimentaires qui se multiplient en étant gérées de manière déplorable.

Anne Lauvergeon : Le reste de l’Europe réagit différemment. Deux exemples ces dix derniers jours: la Grande-Bretagne a annoncé le maintien de son programme nucléaire ; le Parlement polonais vient de voter le sien à 90%. Les fondamentaux n’ont pas changé: nous serons 3 milliards de plus d’ici à 2050 ; il va falloir trouver beaucoup plus d’énergie la moins chère possible.
Contre exemple, ces derniers jours : même si c’est de manière beaucoup plus floue, la Suisse a elle aussi pris le chemin de la sortie du nucléaire. Mais ce n’est pas vraiment l’Europe, la Suisse, n’est-il pas ? L’Autriche, la Belgique, l’Irlande ont fait le choix de renoncer au nucléaire. Que fera l’Italie, pays de tremblements de terre ?
Parmi les fondamentaux qui ont changé, il y a le fait qu’avec le nucléaire le problème central est celui de l’inconcevable. Le risque est celui de l’inimaginable. Alors que toute la mesure de la catastrophe japonaise n’a pas encore été prise, il y a un avant et un après Fukushima.

La chancelière allemande Angela Merkel a un point commun avec Anne Lauvergeon : elles sont touts deux physiciennes. Ça nous change des avocats.  Leur carrière les différencie. La première s’est engagée dans la recherche en Chimie quantique et dans la politique, la seconde est devenue ingénieure des Mines et chef d’entreprise. La chancelière allemande a concédé, dans la longue interview à l’hebdomadaire die Zeit, qu’en tant que physicienne, elle n’avait jamais envisagé avant Fukushima que ce qui n’était pour elle qu’un  risque résiduel théorique ne devienne réalité. Surtout dans un pays comme le Japon, un pays industriel dont l’Allemagne se sent proche pour ce qui est de son savoir faire, sa discipline, son ordre, son respect des lois. On a tout lieu de se demander estime-t-elle après Fukushima si un enchaînement de circonstances néfastes, lié aux risques de la civilisation moderne et de la nature ne peut pas conduire également à une rupture de courant de longue durée, et ainsi à la catastrophe que l’on croyait impossible jusqu’ici en toute bonne conscience.

Les huit centrales arrêtées dans un moratoire après la catastrophe ne seront pas mises en route. L’une d’entre elles restera en capacité de produire en cas de goulet d’étranglement.
Le calendrier de fermeture pour les autres est le suivant :
2015: Grafenrheinfeld (Bavière)
2017: Gundremmingen B, (Bavière)
2019: Philippsburg 2, Bade Württemberg
2021: Grohnde (Basse-Saxe), Gundremmingen C Bavière) und Brokdorf (Schleswig-Holstein),
2022: Isar 2 Bavière, Emsland (Basse Saxe) und Neckarwestheim 2 (Base Würtemberg).

Ce calendrier recoupe à une ou deux années près le scénario élaboré sous le Gouvernement Schröder. Ce qui surprend, c’est l’étonnante réactivité du gouvernement qui laisse les Verts sur place et l‘allié libéral sur la touche. Tout indique qu’au-delà de la conjoncture, il s’agisse d’un choix stratégique. C’est là que l’on peut trouver la logique dont la présidente d’Areva déplore l’absence. Ce choix stratégique, le sociologue Ulrich Beck l’exprime en ces termes :

L’Allemagne  flaire  mieux que d’autres les chances des marchés d’avenir. Un cynique dirait : que les autres continuent à construire des centrales nucléaires qui deviennent de plus en plus chères. Nous nous conquerrons les marchés globaux d’énergies renouvelables de moins en moins chères et qui sont l’avenir. Cela assurera le bien-être futur bien plus sûrement que le comportement de ceux qui sont si fiers d’être sans peur devant les réacteurs nucléaires. (Frankfurter Rundschau 29 mai 2011).

L’Allemagne peut ainsi prendre la tête d’un mouvement mondial, faire triompher le Made in Germany à l’échelle planétaire, l’Europe n’étant plus au centre de ses préoccupations politiques comme elle l’était au cours du demi-siècle précédent.

Angela Merkel est condamnée à réussir. Même si, au bout, elle n’est pas réélue, elle restera dans l’histoire comme la chancelière de la transformation énergétique. Si l’objectif est ambitieux mais non impossible, toutes les conditions sont-elles pour autant réunies ?

Internet de l’énergie

Anne Lauvergeon: … il va falloir rejeter beaucoup moins de CO2 . Or les deux types d’énergie ne produisant pas de CO2 sont les renouvelables et le nucléaire. Par quoi l’Allemagne va-t-elle remplacer son nucléaire? Du charbon? Du gaz? ça veut dire plus de CO2! Des énergies renouvelables? Elles sont intermittentes et on ne sait pas stocker l’électricité. L’Allemagne devra donc importer de l’électricité venue de pays ayant tous des programmes nucléaires. Où est la logique?

La Commission d’éthique (dont fait partie U. Beck) mise en place par la Chancellerie pour accompagner les décisions réfléchir aux questions soulevées dans leur globalité et pas seulement dans leurs dimensions techniques et législatives présente la conclusion suivante :

La commission est arrivée à la conviction que l’on peut garantir la couverture des besoins énergétiques sans renoncer aux objectifs climatiques, en créant des emplois, sans pauvreté énergétique et sans importation d’électricité issue du nucléaire ( page 16)


Espérer comme Anne Lauvergeon et Henri Proglio vendre de l’électricité issue du nucléaire risque d’être un vœu pieu. Déjà un nouveau mouvement d’actionnaires s’amorce pour s’opposer aux investissements financiers internationaux dans l’énergie nucléaire. A cet égard, un test intéressant sera celui de l’attitude allemande à l’égard des capitaux qu’elle détient dans la Centrale nucléaire de Fessenheim en France aux bords du Rhin ainsi que l’attitude d’un groupe comme Siemens qui s’est séparé d’Areva pour faire alliance avec l’industrie nucléaire russe. Sortira-t-il lui aussi du nucléaire ?
La question du dioxyde de carbone est un vrai défi pour l’Allemagne d’autant que les derniers chiffres sont mauvais. Il est vrai aussi que beaucoup trop d’énergie provient encore d’énergie fossile. L’Allemagne ne dépend du nucléaire que pour 1/5 de ses besoins d’énergie.
Sortir du nucléaire ne consiste pas seulement à fermer des centrales. Tous les aspects doivent être pris en compte et le consensus qui existait en deçà de la décision doit perdurer au-delà. Pour cela, la Commission propose d’associer tout le monde dans une « œuvre commune » appelée “Avenir énergétique de l’Allemagne». De son rapport, je voudrais encore relever le rôle dévolu aux consommateurs.

“Les consommateurs ont différents rôles à jouer en tant qu’acteurs du marché (demandeurs) consommateurs citoyens et coproducteurs du système électrique. En tant qu’acteur, ils peuvent participer au tournant énergétique en réclamant plus d’efficacité énergétique dans les produits et les services, ils peuvent se comporter en usagers économes, en tant que coproducteurs leur participation passe par la transformation de leur domicile  et la production d’une énergie décentralisée et flexible (smart homes, smart grids, centrales domestiques de cogénération)”

Il existe déjà, développés par exemple par Volkswagen, des mini générateurs domestiques  produisant de l’eau chaude pour le chauffage. Cette eau chaude est une forme passagère de stockage d’énergie qui peut être transformée en électricité et injectée dans le réseau en moins d’une minute.

Tout cela suppose que soit construite une “toute nouvelle architecture de réseau”, l’expression est d’Angela Merkel. C’est un véritable “Internet de l’énergie” que les Allemands s’apprêtent à construire. Jérémy Rifkin avait rappelé que  “les grands changements économiques de l’histoire du monde se sont produits quand de nouveaux systèmes d’énergie ont coïncidé avec de nouveaux systèmes de communication”.

De ce point de vue, l’Allemagne s’engage dans la troisième révolution industrielle.

Bien entendu la voie n’est pas royale. S’il n’y a pas de résistance frontale, il y a beaucoup de manière de mettre des bâtons dans les roues de ce processus. Jusqu’à une grosse panne d’électricité ? En Allemagne, l’industrie nucléaire est privée.
Une grosse difficulté reste non résolue pour l’instant : la question des déchets ultimes.
Par ailleurs, pour assurer la réussite du projet, il faudrait innover dans le domaine de la démocratie participative et mettre le processus sous contrôle démocratique. C’est le sens de la proposition de la Commission d’Ethique qui suggère deux mesures : la mise ne place d’un chargé de mission parlementaire pour organiser le contrôle du mécanisme de sortie du nucléaire (monitoring) et d’un Forum national pour la transformation énergétique associant la société civile.
Si la forte décentralisation est un élément favorable à la transformation énergétique, elle présente aussi des inconvénients. Comment s’articulera la relation entre l’Etat et le marché ? Certains hurlent déjà à la planification étatique. Un certain nombre d’inconvénients devront être accepté : il sera difficile d’être contre le nucléaire et de n’accepter l’éolienne qui si elle est installée chez le voisin. Enfin la tendance existe fortement à croire qu’il y a pour tout des solutions techniques au détriment de changement de comportements, je pense notamment au culte de la voiture.

Wende ! Ce mot a désigné le processus de transformation  qui allait conduire à la disparition de la RDA et à l’unification allemande. 20 ans après, le même mot sert à forger Energiewende pour désigner le processus de disparition de l’industrie nucléaire dans un nouveau consensus d’unité nationale.

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Une réponse à L‘Allemagne s’engage-t-elle dans la 3ème révolution industrielle ?

  1. Boyslepsy dit :

    Merci d’avoir un blog interessant

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