On continue en Allemagne de s’interroger sur ce moment particulier et inédit qu’a constitué la prestation télévisée commune entre la chancelière allemande et le président de la république française en pleine campagne électorale, une sorte de mano a mano postdémocratique. Il ne s’agit pas ici d’une référence au geste de François Mitterrand et Helmut Kohl à Verdun. Un mano a mano est une expression appartenant au vocabulaire de la tauromachie. Elle désigne la compétition entre deux toreros qui affrontent en alternance les six taureaux d’une corrida.
Certes dira-t-on, il ne faut peut-être pas exagérer : les petits coups de mains entre amis – de droite comme de gauche d’ailleurs – de part et d’autre du Rhin ne sont pas une nouveauté. Bien sûr. Mais il y a dans la geste merkosyenne quelque chose d’inédit, une part de risque plus grande. En France, le titulaire du poste peut changer. En Allemagne, s’annonce une probable grande coalition pour 2013 entre la CDU et le SPD, le parti libéral FDP étant bien parti pour faire défaut.
Il y a donc un pari.
Cela suffit-il à faire la nouveauté ?
Et le pari est-il aussi risqué qu’on le dit ?
L’expression très en vogue de Merkosy permet de signaler à quel point l’accord entre les deux est profond pour parachever l’édification néolibérale de l’Europe en nivelant par le bas les conquêtes sociales. Certes, il y a la crainte chez la chancelière que l’édifice qu’elle a patiemment tricoté avec son alter ego puisse être – ne fut-ce que timidement- défait. Mais, si l’on en juge par la mollesse de la contestation, peut-on croire que François Hollande va réellement mettre en cause le nouveau Traité européen ? Qui donc a mis en œuvre la casse sociale en Allemagne, si ce n’est l’ancien chancelier social démocrate Gerhard Schröder ? Certes, en France, on ne sait jamais … Comme le note le magazine Cicero : « la clientèle électorale de Hollande a d’autres représentations de l’évolution des salaires et de l’âge de départ en retraite que les syndicats et les sociaux-démocrates modérés d’Allemagne ». C’est bien ces questions qu’il reste à régler. A coup de référendums, semble-t-il. La tentation du SPD de venir, en réplique, lui aussi en aide au Parti socialiste ne sera pas un cadeau pour François Hollande car l’intervention à ses côtés de partisans de la retraite à 67 ans risque fort d’être un cadeau empoisonné.
Nous avons bien ce premier niveau. C’est celui d’un tiens vaut mieux que deux tu l’auras qui se dit en allemand besser ein Spatz in der Hand al seine Taube auf dem Dach (littéralement, mieux vaut un moineau dans la main qu’une colombe sur le toit).
Mais on peut pousser un peu l’analyse.
A Berlin comme à Paris s’expérimentent de nouvelles techniques politiques post-démocratiques et cela à grande échelle, tant au plan national que local. En France, par exemple, se mettent partout en place de nouvelles structures de gestion locales comme des agglomérations et des pôles métropolitains qui échappent à tout contrôle démocratique élu, la politique se défait de ses attributs pour confier la gestion des affaires à des comités d’experts. Dans le domaine de l’industrie nucléaire, on en est même arrivé à une franche caricature. Mme Merkel de son côté aurait des velléités bonapartistes, – comme son homologue français, « du peuple, par le peuple et pour le peuple » ou comme en Allemagne de l’Est ? C’est l’hypothèse du sociologue Thomas Wagner qui voit l’avènement d’un style de gouvernement autoritaire à moins que la chancelière ne soit, ce qui n’est pas forcément contradictoire, une joueuse de vabanque, jeu de cartes et de bluff, comme Frédéric 2 contre l’Autriche, selon Jakob Augstein, dans l’hebdomadaire der Freitag.
Ces techniques s’expérimentent également dans ce qui est devenu, la « politique intérieure européenne ».
Arrêtons-nous un instant sur la notion de « post-démocratique » qui nous ramène quelques mois en arrière.
« le désastre grec est un avertissement sérieux de la voie post démocratique dans laquelle Merkel et Sarkosy se sont engagés». Jürgen Habermas FAZ 4.11.2011
Même s’il y a eu des moments précurseurs comme ceux consistant à ignorer purement et simplement le résultat des référendums pour le traité constitutionnel, le refus opposé à la Grèce de tenir un référendum pourtant annoncé sur le plan de « sauvetage » européen a été décisif. Ce refus a été analysé comme un moment de rupture :
Aujourd’hui, qui souhaite consulter son peuple est considéré comme une menace pour toute l’Europe. Tel est le message des marchés, et des politiques aussi depuis le 31 octobre,
dénonçait Franck Schirrmacher l’éditorialiste et co-éditeur de la Frankfurter Allgemeine Zeitung (FAZ 1.11.2011), quotidien libéral, référence des milieux d’affaires sous le titre : la démocratie est de la camelote.
L’on est en train d’assister à la destruction massive des principes moraux nés de l’après-guerre, au nom d’une raison économique et financière supérieure. De tels processus se développent en sous-main, ils œuvrent à la lisière de la conscience, parfois pendant des décennies, jusqu’à accoucher d’une nouvelle idéologie. Il en toujours été ainsi lors des phases d’incubation des grandes crises autoritaristes du XXe siècle.
Il n’y va pas de main morte : serions-nous dans une phase d’incubation d’une crise autoritariste ?
Il est de plus en plus évident que la crise que traverse l’Europe n’est pas un trouble passager mais l’expression d’une lutte de pouvoir entre le primat de l’économie et le primat de la politique. Ce dernier a déjà perdu énormément de terrain mais les choses s’accélèrent aujourd’hui. L’incompréhension totale que suscite le geste de Papandréou est également une incompréhension de l’espace public démocratique lui-même, et du fait que la démocratie a un prix qu’il faut être prêt à accepter.
Le célèbre sociologue de l’école de Frankfort, Jürgen Habermas a réagi aussitôt à la même place par un article intitulé : « Sauvez la dignité de la démocratie » dans lequel il accuse les dirigeants européens d’être des marionnettes s’agitant sur les fils de l’industrie financière. Il leur reproche surtout de
« poursuivre le vieux rêve régressif d’un monde ordolibéral parfait dans lequel la société économique se régulerait en dehors de la politique ».
Wolfgang Schäuble, le ministre des Finances, a résumé l’état d’esprit de la majorité des dirigeants allemands en déclarant devant le Bundestag : « si la Grèce fait défaut, il ne faut pas que ce soit à cause de l’Allemagne ». On ne dit pas mieux que malgré le temps passé depuis la fin de la seconde guerre mondiale, l’Allemagne ne peut pas encore tout dire et faire. Certaines choses, il vaut mieux les annoncer depuis Paris que depuis Berlin. L’Allemagne comme la France pour d’autres raisons a « besoin » du masque de Janus baptisé couple franco-allemand. Pour la Grèce, c’est évident mais pour d’autres sujets sans doute aussi. Sur la Lybie, on a vu la retenue de l’Allemagne pour laisser faire la France. Dialectique de complémentarité sur des objectifs communs parfaitement néolibéraux qui se mettent en place petite brique par petite brique en fonction d’une « stratégie de choc », de dramatisation des enjeux liés à l’euro. La question est de savoir comment de part et d’autre faire passer cette convergence. Rien de tel, pensent-ils, que de se servir de la télévision
Mano a mano post-démocratique
On continue en Allemagne de s’interroger sur ce moment particulier et inédit qu’a constitué la prestation télévisée commune entre la chancelière allemande et le président de la république française en pleine campagne électorale, une sorte de mano a mano postdémocratique. Il ne s’agit pas ici d’une référence au geste de François Mitterrand et Helmut Kohl à Verdun. Un mano a mano est une expression appartenant au vocabulaire de la tauromachie. Elle désigne la compétition entre deux toreros qui affrontent en alternance les six taureaux d’une corrida.
Certes dira-t-on, il ne faut peut-être pas exagérer : les petits coups de mains entre amis – de droite comme de gauche d’ailleurs – de part et d’autre du Rhin ne sont pas une nouveauté. Bien sûr. Mais il y a dans la geste merkosyenne quelque chose d’inédit, une part de risque plus grande. En France, le titulaire du poste peut changer. En Allemagne, s’annonce une probable grande coalition pour 2013 entre la CDU et le SPD, le parti libéral FDP étant bien parti pour faire défaut.
Il y a donc un pari.
Cela suffit-il à faire la nouveauté ?
Et le pari est-il aussi risqué qu’on le dit ?
L’expression très en vogue de Merkosy permet de signaler à quel point l’accord entre les deux est profond pour parachever l’édification néolibérale de l’Europe en nivelant par le bas les conquêtes sociales. Certes, il y a la crainte chez la chancelière que l’édifice qu’elle a patiemment tricoté avec son alter ego puisse être – ne fut-ce que timidement- défait. Mais, si l’on en juge par la mollesse de la contestation, peut-on croire que François Hollande va réellement mettre en cause le nouveau Traité européen ? Qui donc a mis en œuvre la casse sociale en Allemagne, si ce n’est l’ancien chancelier social démocrate Gerhard Schröder ? Certes, en France, on ne sait jamais … Comme le note le magazine Cicero : « la clientèle électorale de Hollande a d’autres représentations de l’évolution des salaires et de l’âge de départ en retraite que les syndicats et les sociaux-démocrates modérés d’Allemagne ». C’est bien ces questions qu’il reste à régler. A coup de référendums, semble-t-il. La tentation du SPD de venir, en réplique, lui aussi en aide au Parti socialiste ne sera pas un cadeau pour François Hollande car l’intervention à ses côtés de partisans de la retraite à 67 ans risque fort d’être un cadeau empoisonné.
Nous avons bien ce premier niveau. C’est celui d’un tiens vaut mieux que deux tu l’auras qui se dit en allemand besser ein Spatz in der Hand al seine Taube auf dem Dach (littéralement, mieux vaut un moineau dans la main qu’une colombe sur le toit).
Mais on peut pousser un peu l’analyse.
A Berlin comme à Paris s’expérimentent de nouvelles techniques politiques post-démocratiques et cela à grande échelle, tant au plan national que local. En France, par exemple, se mettent partout en place de nouvelles structures de gestion locales comme des agglomérations et des pôles métropolitains qui échappent à tout contrôle démocratique élu, la politique se défait de ses attributs pour confier la gestion des affaires à des comités d’experts. Dans le domaine de l’industrie nucléaire, on en est même arrivé à une franche caricature. Mme Merkel de son côté aurait des velléités bonapartistes, – comme son homologue français, « du peuple, par le peuple et pour le peuple » ou comme en Allemagne de l’Est ? C’est l’hypothèse du sociologue Thomas Wagner qui voit l’avènement d’un style de gouvernement autoritaire à moins que la chancelière ne soit, ce qui n’est pas forcément contradictoire, une joueuse de vabanque, jeu de cartes et de bluff, comme Frédéric 2 contre l’Autriche, selon Jakob Augstein, dans l’hebdomadaire der Freitag.
Ces techniques s’expérimentent également dans ce qui est devenu, la « politique intérieure européenne ».
Arrêtons-nous un instant sur la notion de « post-démocratique » qui nous ramène quelques mois en arrière.
Même s’il y a eu des moments précurseurs comme ceux consistant à ignorer purement et simplement le résultat des référendums pour le traité constitutionnel, le refus opposé à la Grèce de tenir un référendum pourtant annoncé sur le plan de « sauvetage » européen a été décisif. Ce refus a été analysé comme un moment de rupture :
dénonçait Franck Schirrmacher l’éditorialiste et co-éditeur de la Frankfurter Allgemeine Zeitung (FAZ 1.11.2011), quotidien libéral, référence des milieux d’affaires sous le titre : la démocratie est de la camelote.
Il n’y va pas de main morte : serions-nous dans une phase d’incubation d’une crise autoritariste ?
Le célèbre sociologue de l’école de Frankfort, Jürgen Habermas a réagi aussitôt à la même place par un article intitulé : « Sauvez la dignité de la démocratie » dans lequel il accuse les dirigeants européens d’être des marionnettes s’agitant sur les fils de l’industrie financière. Il leur reproche surtout de
Wolfgang Schäuble, le ministre des Finances, a résumé l’état d’esprit de la majorité des dirigeants allemands en déclarant devant le Bundestag : « si la Grèce fait défaut, il ne faut pas que ce soit à cause de l’Allemagne ». On ne dit pas mieux que malgré le temps passé depuis la fin de la seconde guerre mondiale, l’Allemagne ne peut pas encore tout dire et faire. Certaines choses, il vaut mieux les annoncer depuis Paris que depuis Berlin. L’Allemagne comme la France pour d’autres raisons a « besoin » du masque de Janus baptisé couple franco-allemand. Pour la Grèce, c’est évident mais pour d’autres sujets sans doute aussi. Sur la Lybie, on a vu la retenue de l’Allemagne pour laisser faire la France. Dialectique de complémentarité sur des objectifs communs parfaitement néolibéraux qui se mettent en place petite brique par petite brique en fonction d’une « stratégie de choc », de dramatisation des enjeux liés à l’euro. La question est de savoir comment de part et d’autre faire passer cette convergence. Rien de tel, pensent-ils, que de se servir de la télévision