Nous étions précédemment dans la Chausseestraße en direction du Wedding, vieux quartier populaire en transformation et dernière étape de notre périple berlinois printanier.
1. Belle et triste
Gallicismes. A l’origine, au 17ème siècle, l’expression françaises Belles Lettres donne le terme allemand Belletristik. Par un retour à l’envoyeur en quelque sorte Belletristik a donné Belle et triste, nom de cette librairie dans le Wedding.
Et puisque nous parlons belles lettres ! Deux livres que j’adore m’accompagnent souvent et me permettent de découvrir de nouveaux paysages urbains en suivant d’anciennes promenades : Promenades dans Berlin de Franz Hessel, le flaneur de Berlin comme le qualifie Jean Michel Palmier et Berlin Requiem de Jean Michel Palmer, le quêteur de traces.
2.Wedding-le-rouge
« Wedding-le-Rouge .- Le plus grand et le plus vieux quartier ouvrier de Berlin. Jadis Wedding n’était qu’un modeste village. C’est aujourd’hui un quartier de plus de 250000 habitants. Wedding est au cœur de toute l’histoire du prolétariat allemand avec ses manifestations, ses usines, ses combats de rue et ses chansons. Presque tous les poètes et les écrivains des années 20 ont écrit des poèmes sur Wedding, évoquant sa misère et ses taudis ».
Jean-Michel Palmier : berliner requiem Galilée 1976
Le Wedding rouge est une célèbre chanson écrite par Erich Weinert et composée par Hans Eisler à la suite de ce que l’on a appelé le “mai sanglant” de 1929 qui avait vu la répression par la police des manifestations interdites du 1er mai.Une trentaine de morts, plus de 200 blessé et plus d’un millier d’arrestations Elle est interprétée par Ernst Busch qui en a adapté le texte. Wedding restera longtemps un bastion communiste à Berlin même -mais en plus petit – après la construction du mur.
Il existe de nombreuses variantes de la chanson qui a toujours été adaptées aux circonstances. Au point de départ se trouve la version destinée à une troupe d’agit-prop dont le refrain disait :
Le Wedding rouge vous salue, camarades, gardez les poings serrés,
Gardez serrés vos rouges rangs, car notre jour n’est pas loin !
Les fascistes menaçants se tiennent à l’horizon.
Prolétaires, il faut vous préparer. Front rouge, Front rouge !
Du passé industriel on trouve encore des traces. En voici quelques-unes :
Pas faux dans le fond, mais pour trouver ce que l’on porte en soi, il faut parfois aller quelque part.
Autres traces, le long de la rivière Panke :
« Aujourd’hui, le vieux Wedding n’est plus. A la place des vieilles habitations ouvrières, on a bâti de nouveaux immeubles souvent aussi laids et aussi tristes que les anciens. Mais par endroits – comme la misère à travers un vêtement déchiré — il surgit encore dans toute son étrangeté. Quand on erre dans les vieilles rues mal pavées, on rencontre toujours des enfants dépenaillés qui jouent sur les trottoirs. Ce sont aujourd’hui les familles d’émigrés turcs qui ont remplacé les vieilles familles ouvrières ».
Jean-Michel Palmier : berliner requiem Galilée 1976
« Les enfants jouent et se chamaillent dans les vieilles cours ou se promènent en se tenant par la main – petites filles turques aux cheveux teints, aux vêtements de couleurs vives, garçons au crâne rasé, qui se battent pour une bicyclette et qui courent en bandes, à travers les rues.
Les vieilles habitations semblent encore plus dévastées que celles de Kreuzberg. Des hommes en maillots de corps, des vieilles femmes apparaissent aux fenêtres dès que l’on pénètre dans une de ces arrière-cours. Devant chaque porte, on aperçoit les mêmes enfants, assis, dessinant par terre ou sur les murs, avec des morceaux de crai~ ou du plâtre. De vieux immeubles en briques rouges subsistent toujours. On ne croise dans les rues que des groupes d’enfants aux visages barbouillés et des vieillards. Un infirme dans une voiture actionnée par un gigantesque volant fait ses courses. Il traverse la petite rue. Etrange homme avec ses lunettes noires, sa barbe blanche et les deux chiens attelés à sa voiture qui semblent le tirer. Des enfants en train de jouer s’écartent pour le laisser passer. Les rues sont toutes aussi monotones. Les tentatives faites pour égayer les façades en les peignant en blanc, en ocre n’ont fait que, souligner encore plus crûment leur pauvreté. »
Jean-Michel Palmier : berliner requiem Galilée 1976
Jean-Michel Palmier met en exergue deux petites rues du quartier dans lesquelles je me suis rendu :
« Les petites rues -. comme la Maxstrasse – forment un même bloc de vieilles façades et de petits magasins. Parfois un étalage insolite retient l’attention. Ainsi ce Nachlasse, au coin de la Maxstrasse, frappe par l’invraisemblable bric-à-brac de sa devanture : meubles cassés, vaisselles, piles de papiers, de journaux, de livres, chiffons. J’entre dans la boutique un peu par hasard et j’explore les piles de journaux et de livres qui se trouvent au fond du magasin. Quelques hommes barbus, à moitié ivres, sont assis devant la caisse et se disputent avec un accent berlinois très marqué. Au milieu des journaux,. se trouvent de vieilles revues de cinéma. J’en achète ‘ quelques-unes. Le marchand me les laisse pour 50 pf alors que les antiquaires de la Motzstrasse les vendent 2 ou 3 marks. Il est vrai que l’intérêt que je porte à ces vieilles revues doit lui paraître quelque peu incompréhensible (….)
Plus loin, dans l’Adolfstrasse, quelques Kneipe et des petits restaurants dans le style Aschinger. J’y entre pour acheter un sandwich. Debout, autour de petites tables en bois, quelques hommes mangent en silence. Par terre, un enfant joue avec un chien. L’homme mastique avec lenteur une côtelette de porc. Le chien le regarde, guettant l’os qu’il va lui jeter. Parfois il détache de grands morceaux de viande qu’il tend à son compagnon, habillé avec des loques. J’essaie sans succès de suivre leur conversation. Ils parlent très vite avec l’accent berlinois. Il règne entre ces pauvres gens une étrange sympathie. Chacun offre des cigarettes au voisin qu’il ne connaît pas et tente de converser avec lui. Ces cafés et ces restaurants des quartiers ouvriers ont tous le même caractère triste et désespérant : des carrefours de solitudes et de misères. L’un des hommes s’approche de moi et me prend par les épaules. Il titube, sourit et va s’asseoir plus loin. »
Jean-Michel Palmier : berliner requiem Galilée 1976
Adolfstrasse, il ne se passe plus rien :
Un dortoir. Pas le moindre bistrot à l’horizon
Maxstrasse, c’est un peu différent
Il y a toujours un magasin de bric à brac
Le quartier est bien plus animé que ne le sugggère JM Palmier en ce début de mai 2013 où arrive enfin un printemps qui s’est fait attendre même si, bien entendu, certaines personnes, on le devine, ne sont là que pour éviter le désœuvrement.
3. Müllerstraße
Nous voici de retour dans l’artère principale du Wedding, la Müllerstrasse par la place Leopold On se rassure. Heiner Müller n’a pas de rue à son nom à Berlin. C’est l’artère centrale commerçante et administrative du Wedding, on y trouve la mairie Et puis ….
… cette Tour Eifel miniature devant Centre Culturel Français au numéro 74 de la Müllerstraße qui témoigne de la présence après la guerre et jusqu’en 1992 des Forces Françaises Alliées à Berlin. Le Centre est aujourd’hui géré par les Allemands.
4. Vérité nue
Franz Hesssel s’est promené également dans la Müllerstrasse dans les années 1920. Il raconte :
« Par des détours sous les arches du chemin de fer périphérique et sur les ponts du canal, je me suis retrouvé du côté où la Chaussestrasse donne dans la Müllerstrasse et j’ai monté un bout de cette interminable rue urbaine et suburbaine. Il y avait là, sur le trottoir, à chaque coin de rue et même entre deux, des marchands ambulants qui vendaient divers objets. Un jeune gars, sans col, avec de longs plis prononcés sur ses joues blêmes, proposait des fascicules illustrés de photos de nus. Il criait : « qu’est-ce ? C’est de la sexualité. ET qu’est la sexualité ? Quelque chose de tout à fait naturel. A quoi ressemble l’être humain ? A cela et à rien d’autre. On est gêné simplement à cause des autres ; sinon, tous ceux qui ne sont pas des apôtres de la moralité me l’achèteraient… »
Franz Hessel Promenades dans Berlin Presses universitaires de Grenoble. 1989
Voilà qui tombe bien. Justement, le Musée de la photographie de Berlin, à côté de la gare du Zoo, présente – jusqu’au 25 août 2013 -une exposition de photos de nus du début du siècle dernier sous le titre Nackte Wahrheit und anderes (Vérité nue et autre)
L’exposition qui se tient jusqu’au 25 août 2013 regroupe des photos de nus de divers horizons, ethnographique, policier, artistique, érotique issues de collections européennes dont la Bibliothèque nationale de France ou la Société française de photographie.
5. Encore quelques images
Avant d’en arriver au dernier paragraphe sur ce qui bouge, les transformations en cours dans le Wedding encore quelques images glanées au cours de mes promenades dans l’arrondissement :
6. Quand Stadtbad (Bains-douches) devient Stattbad (En lieu et place des bains)
Les bains-douches du Wedding datent de 1907. Détruits pendant la seconde guerre mondiale, ils ont été remis en service en 1956 et fermés en 1999. Les bains douches ont été transformés en un centre de création artistique dédié en particulier à l’art urbain (street art).
« FUME DU PNEU » est signé SP 38
Et enfin dans la piscine elle-même :
Le Wedding connaîtra-t-il le même sort que d’autres quartiers de Berlin boboïsés ? D’abord viennent les artistes puis les galeries puis les magasins de luxes puis les appartements de luxe, les loyers grimpent et enfin la population d’origine en est chassée ? Certains veulent croire qu’il existe un esprit du Wedding qui ne se laissera pas faire….
Bonjour,
Comme le signale l’enseigne du magasin de bric à brac, il s’agit de « entrumplen ». Pour le sens de ce mot, voir Victor Klemperer, LTI… Dès la première phrase de l’ouvrage !