Notes en marge des élections allemandes / 1. Une politique d’ingénieur

Les Allemands éliront le 22 septembre prochain les députés au Bundestag. De sa majorité sortira un(e) chancelière ou chancelier qui dirigera le gouvernement de l’Allemagne. D’ici là, mais on s’arrêtera, point trop n’en faut, le dimanche qui précède, sauf surprise bavaroise, je publierai une série de petites notes rendant compte  de textes que j’avais mis de côté au fil des semaines précédentes.

Caricature de Klaus Stuttman

Peer Steinbück a rattrapé son retard ! Ils arrivent au coude à coude sur la ligne d’arrivée !! Les jeux semblent à nouveau ouverts !! Oh, oh, cela pourrait devenir une arrivée formidablement  passionnante … si Angela Merkel n’avait pas déjà un tour entier d’avance !!

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Le récent débat télévisé entre Angela Merkel, chétienne démocrate (CDU), actuelle chancelière et Peer Steinbrück, social démocrate (SPD) a été monté en épingle par les medias dans un contexte d’apathie électorale généralisée. Il l’a été sous l’appellation de « duel » comme s’il s’agissait du point de vue d’un observateur français – du débat précédent traditionnellement le second tour des présidentielles. Les trois autres têtes de liste, Jürgen Trittin( Verts), Rainer Brüderle (FDP parti libéral) et Gregor Gysi (Die Linke) ont eu leur débat le lendemain. Ce seul fait est symptomatique de l’évolution de la vie – si l’on peut parler de vie – politique allemande. Notons d’abord à propos du « duel » que tout le monde sait qu’aucun des deux ne gouvernera seul et que ce qui s’y est dit sera modulé en fonction des alliances de gouvernement. Il s’agit en effet non d’une présidentielle mais d’élections législatives. Il est question d’élire des députés selon des modalités qui combinent scrutin de liste et scrutin uninominal, chaque électeur ayant deux voix. Si tout indique que A. Merkel pourra prétendre pour la troisième fois consécutive à la chancellerie, la vraie question de ces élections est de savoir avec qui elle gouvernera car il est peu probable qu’elle obtienne la majorité, elle est plus populaire que son parti. Elle-même n’a pas exclu la grande coalition avec le SPD, mais une alliance avec les Verts est également possible surtout si le Parti libéral (FDP) ne franchit pas la barre des 5 % des voix nécessaires pour avoir des élus.

Le « duel » a aussi été révélateur sur un autre plan, celui du resserrement de la bipolarisation. Il est double. Lors des précédentes élections, il y avait eu un débat avec deux présentateurs et quatre ou cinq têtes de liste ; cette fois il y a eu quatre présentateurs et deux candidats. Le resserrement est aussi idéologique avec comme point de ralliement, d’étendard, Gerhard Schröder qui est aussi le pont vers François Hollande selon l’équation : Merkel + Hollande = Schröder, pour reprendre le titre d’un article du magazine Cicero

Face à cette concentration, à ce rapprochement autour de l’idée centrale qu’il n’y a pas d’alternative – écrivant cela, je ne veux pas que l’on me fasse dire que les correctifs sociaux et/ou écologiques sont forcément négligeables mais ils restent dans le cadre du système –on peut se demander si le resserrement politique et idéologique n’ouvre pas un espace sur les marges. La tentation populiste à droite de la droite existe, nous en avons déjà parlé ; les questions posées par la révolution numérique et par la jeunesse aussi. J’en ai parlé également voir ici et ici ou encore et . Je reviendrai sur la question de la jeunesse dans une note ultérieure. L’Alternative pour l’Allemagne et le Parti pirate franchiront-ils la barre des 5% leur permettant d’avoir un élu ? Pour l’instant les sondages semblent plutôt indiquer que non. On les trouve autour de 3-4%. Mais les sondages sont souvent moins fiables en ce qui concerne les marges d’autant que les voix susceptibles de faire la différence proviennent de personnes qui voteront pour la première fois ou qui ne votent plus pour les partis traditionnels parmi lesquels on peut désormais compter les Verts.

On a beaucoup parlé du pouvoir d’Angela Merkel, en France et ailleurs, sans se rendre compte que si cela était, l’Allemagne serait sans doute le seul pays où la politique aurait encore le contrôle sur les forces économiques et technologiques. Or en Allemagne comme ailleurs la politique dépense beaucoup d’énergie pour se dessaisir elle même de ses prérogatives. L’économisme s’absolutise et règne en maître. Les quelques avancées sociales par lesquelles la défunte social-démocratie essaye encore de se différencier se feront «  dans le cadre de ce qui est économiquement raisonnable ». Personne y compris à gauche ne pense en termes d’une nouvelle économie politique s’appuyant sur la transformation numérique.

La politique des ingénieurs

Le règne de la technocratie s’est infiltré jusque dans les mouvements de protestation et les initiatives citoyennes. C’est le point de vue du politologue Franz Walter qui a publié une étude sur ce qui motive le mouvement de protestation. Dans l’hebdomadaire der Freitag, il écrit :

« Là où ces derniers temps l’on s’est indigné contre des lignes électriques, où l’on s’est mis à lutter contre des éoliennes, où des voix collectives se sont élevées contre des extensions d’aéroport, là où, ces derniers temps, on combat l’euro, on trouve des ingénieurs, des techniciens, des informaticiens, géographes, juristes et, c’est nouveau, depuis peu des professeurs d’économie qui se sont élevés au rang d’avant-garde du véto contre l’établishment politique et le cartel des partis.

Les citoyens technocrates (ou technocrates citoyens) en colère, le plus souvent d’un certain âge, se jettent avec une verve surprenante dans le travail de protestation.. Ils se retrouvent devant un champ de protestation clairement délimité dans lequel ils peuvent apporter leurs compétences et savoirs spécifiques. Ils accordent leur confiance à une logique stricte et non à de vibrantes émotions. Le plan technique doit être précis, construit de part en part. Avec cette forme de pensée attachée à la cohérence, les experts techniques se retrouvent le mieux dans des initiatives citoyennes qui se concentrent sur un seul objet. Ils sont attirés par des regroupements citoyens clairement défini ou des partis qui n’ont qu’un seul thème et très peu dans les partis populaires généralistes. Parce que dans ces derniers on ne peut pas avancer des solutions dont l’évidence s’impose ».

Après avoir expliqué que les partis ne peuvent pas fonctionner sur ce registre là, que « démocratie et technocratie ne font pas bon ménage », Franz Walter aborde la question de la tentation censitaire et plébiscitaire voire autoritaire qui anime ces groupes :

« Paradoxalement, la sympathie profonde pour le plébiscite [referendum] contient une tentation autoritaire. Dans l’expression de cette mauvaise humeur de la société civile, le nombre de techniciens et experts n’est pas négligeable qui accueillerait volontiers un Etat dirigé d’une main sévère avec des lois très tranchées, des plans directeurs, des leaders politique qualifiés, techniquement compétents qui ne radotent pas mais agissent »

Le politologue n’exclut pas en conséquence comme prochaine étape une société censitaire ou de « petits cercles oligarchiques de notables de la compétence » règlent les questions.

Le texte allemand

Angela Merkel est une parfaite représentante de cet air du temps parfois contre son propre parti. Dans un autre texte Wie die Gesellschaft so die Politik (La politique à l’image de la société), Franz Walter écrit à propos d’Angela Merkel :

« Avec son aura de scientifique, elle souligne qu’elle n’a que faire de châteaux en Espagne, de construction imaginaire, de projets littéraires. Pour elle n’existe que le réel que chacun peut voir, un modèle tout à fait classique du conservatisme pragmatique. Les conservateurs ne s’imaginent pas comme les architectes d’un nouvel ordre humain. Merkel ne se présente pas (plus) comme démiurge d’une nouvelle liberté mais comme une monteuse qui éliminent les dommages, un serrurier qui répare, un jardinier qui coupe, éclaircit, arrose, soigne ce qui promet de bien pousser et fleurir »

Ce comportement de mère la rigueur en fait cependant un sujet fuyant dépourvu d’affect au point qu’il lui faut de temps en temps montrer que le pouvoir est incarné, qu’il a un corps. Il se fait alors photographier en maillot de bain ou bien on montre que mais si, mais si, il porte un collier.

Note suivante  : Si Angela Merkel était caissière de supermarché

 

 

 

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