« Fisimatenten », « Kaputt », « Pumpernickel », quelques mots allemands aux origines peut-être françaises mais incertaines.

Tranches de Pumpernickel

Source de l’image

Dans un texte publié par la revue en ligne Faust-Kultur, le linguiste Gerhard Stikel évoque une série de curiosités étymologiques de la langue allemande. Je n’en retiendrai ici que trois d’origine française, réelle ou supposée, à commencer par l’un de ceux qui m’a toujours beaucoup intrigué en raison de la légende qui y est attachée.

Fisimatenten

Le mot n’existe qu’au pluriel et dans une expression du type Fisimatenten machen : faire des caprices, des chichis, des simagrées. Mach keine Fisimatenten peut se rendre par arrête tes conneries.

Selon la légende, le mot viendrait de « visitez ma tente », invitation adressée par des soldats de la Révolution française aux jeunes filles de Mayence. Une variante serait « visitez ma tante », excuse invoquée par des soldats auprès d’un officier pour justifier d’un retard ou demander une permission. Plutôt amusant comme étymologie.

Cependant le mot visemetent est attesté dès le 15ème siècle. D’où l’idée que Fisimatente viendrait de visae patentes literae et que les emmerdeurs seraient les bureaucrates.

Visae patentes literae désigne des patentes au sens de brevets et/ou privilèges établis par les autorités, sous entendu au terme d’une procédure bureaucratique pas très loin des tracasseries administratives. Selon Gerhard Stickel, visae patentes literae aurait pu rencontrer dans le langage populaire visament qui désigne un ornement sans signification notamment dans un blason et la fusion des deux termes rendrait plausible l’utilisation de Fisimatenten au sens d’une critique de l’usage des faux-fuyants et des comportements visant à compliquer inutilement les choses. Les emmerdeurs, quoi !

Il existe en dialecte alémanique le mot fissamickera qui signifie manigances et plusieurs mots dérivés de fissik qui a plusieurs sens : magie noire, sottises, simagrées ou singeries.

Kaputt

Kaputt est un mot qui a fait carrière dans toutes les langues européennes. Il a été popularisé, explique G. Stickel, pendant la seconde guerre mondiale par l’expression Hitler kaputt. Son origine remonte probablement à la guerre de Trente ans et est emprunté à l’expression française issue du jeu de cartes, faire capot, être capot. Kaputt est le titre d’un roman de Curzio Malaparte. Le mot y désigne l’état de l’Europe en 1943.

Pumpernickel

Le pain des pétomanes.

Le pumpernickel est un pain de seigle complet très compact et de couleur très foncée (notre image). Là encore une légende en attribue l’origine à un officier qui après y avoir goûté aurait déclaré qu’il est tout juste bon pour Nickel (Nicole), nom d’un cheval de Napoléon. Mais rien n’atteste que Napoléon ait eut un cheval de ce nom là. La version plus prosaïque et probablement la meilleure ferait dériver le mot de Pumper, une expression dialectale pour flatulence, et Nickel une abréviation de Nikolaus (Nicolas). Aussi Pumpernickel serait-il l’équivalent de Furzklaus, Nicolas le pétomane. Au 17ème siècle, Pumpernickel désignait un être grossier et serait devenu par la suite ce pain grossier qui provoque des gaz et le régal des connaisseurs.

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Georg Büchner et le corsaire de Darmstadt

En mai dernier, les spécialistes de Georg Büchner, l’un des tous grands de la littérature et de la dramaturgie allemande, étaient en émoi. Pensez-donc, que pouvaient-ils rêver de mieux pour le bicentenaire de sa naissance, le 17 octobre 1813, que de découvrir un inédit ? Non de l’auteur lui-même mais à son propos. En l’occurrence, un portait oublié depuis 150 ans.

Nouvelle image ou fausse piste ?

Nous examinerons les arguments pour et contre. Mais notons d’emblée qu’il est tentant ce portrait de Büchner aussitôt appelé le corsaire de Darmstadt avec son côté Errol Flynn dans le film L’abordage (Against All Flags), aux côtés de Maureen O’Hara.

Voici donc ce qui a été découvert dans un carton à dessin abandonné dans un grenier chez les descendants du peintre décorateur de théâtre, Auguste Hoffmann

Le portrait au crayon est daté de 1833. Il a donc été fait dans la seconde moitié de cette année. Büchner, s’il s’agit de lui, était en effet en Alsace jusqu’à début juillet 1833.

Seuls deux portraits étaient connus jusqu’à présent. Le premier aux boucles était une icône familiale et le représente avec certitude. La photographie du dessin nous est restée mais l’original a été détruit dans les bombardements de la ville de Darmstadt par les Alliés en 1944. Elle est attribuée également à Auguste Hoffmann. Le second ci-dessous à droite est une gravure signée A Limbach qui fait référence à A. Hoffmann.

 

 

 

 

 

 

 

Sur cette image, Büchner porte une veste dite polonaise (une kurtka) en solidarité avec l’insurrection polonaise de 1830-31 contre les Russes, soulèvement auquel s’est ralliée l’armée polonaise et qui s’est terminée par une répression sanglante. Jan Christoph Hauschild rapporte dans sa biographie de Büchner (chez rororo) un témoignage selon lequel ce dernier portait à Darsmstadt une veste polonaise et un bonnet phrygien.

Nous avons perdu la symbolique de cette veste.

Le second portait griffonné par un ami strasbourgeois Alexis Muston a été découvert à la fin des années 1960 en France :

Il nous présente un Büchner à la mèche plus rebelle que précédemment et qui semblait là aussi mieux lui correspondre.

Avant d’examiner ce qui plaide en faveur de Büchner et que conteste l’un de ses biographes, Jan Christoph Hauschild, un petit détour par une considération plus générale et l’histoire d’un faux portait que tout le monde souhaite cependant considérer comme vrai. Celui de Diderot. Par un de ces télescopages que j’adore,  je lisais au même moment le petit livre de Dominique Lecourt Diderot, passion, sexe, raison (PUF) dans lequel  il évoque le tableau de Fragonard « représentant » ainsi qu’on l’a cru Diderot :

« un léger débraillé vient accentuer l’impression que l’on a affaire à Diderot lui-même tel qu’il se présente en partie dans Le neveu de Rameau sous les traits de l’un de ces gens de lettre bavards et fumeux qui hantaient en son temps le Palais Royal ou le Café Procope »

On sait maintenant que le tableau de Fragonard ne représente pas Diderot. Un vrai portrait existe qui ne lui donne pas l’air d’un philosophe mais d’un « secrétaire d’Etat ». « Philippe Sollers a raison de soutenir, écrit encore Dominique Lecourt, que néanmoins ce tableau s’imposera toujours dans l’imaginaire collectif comme étant Diderot »

Dans le cas qui nous occupe, il est trop tôt pour dire ce qui s’imposera dans l’imaginaire collectif. Revenons donc à ce qui oppose pour le moment les tenants du vrai à ceux du faux.

Il y a bien sûr, au premier abord, une grande ressemblance. Le portait récemment découvert, note le professeur Günter Oesterlé se rapproche de certaines descriptions, celles de sa sœur Louise, évoquant ses « mains fines » et ses « traits efféminés ». Un autre spécialiste, Roland Borgard a eu l’idée de superposer à l’ordinateur les transparents des deux portraits, l’ancien et le nouveau : la forme du visage, la raie, la tenue du bras sont les mêmes. Changent l’habillement et le mobilier : table d’un côté, chaise de l’autre. D’où la question : le même dessinateur a-t-il réalisé deux portraits ou même simplement transformé l’un dans l’autre, le premier destiné à la famille, l’autre, plus aventureux, à la fiancée strasbourgeoise, Wilhelmine Jaeglé ? Certains extraits de lettres pourraient le laisser penser. Cette hypothèse suppose que le peintre ait fait trois dessins puisque celui que l’on a retrouvé se trouvait dans ses cartons. Elle pourrait être renforcée par l’existence d’un message codé contenu dans la partition.

On peut en identifier l’extrait. Il est tiré d’un opéra comique en trois actes qui connut un grand succès en France en 1931, dont une version allemande a tourné en Allemagne et a été représentée à Darmstadt en 1933, date du portrait. Il s’intitule Zampa ou la fiancée de marbre. Minna Jaeglé le connaissait-elle ? La chanson et sa partition avaient circulé. L’opéra est du à un compositeur d’origine alsacienne Ferdinand Herold. Le livret est de Anne-Honoré-Joseph Duveyrier dit Mélesville. Le livret allemand est de Carl Wilhelm August Blum.

Zampa est un « forban de l’amour » comme il l’est sur les mers. Voici la partie dont est extrait ce que l’on trouve sur l’image. J’ai repris l’original en français, l’allemand varie quelque peu :

Cantabile

Toi, dont la grâce séduisante,
Porte en mes sens le trouble et le bonheur ;
Viens, que ta voix douce et touchante
Retentisse en mon cœur
Beauté faible et craintive, Te voilà ma captive !
De l’amour de Zampa
Rien ne te sauvera !

Cavatine

Il faut souscrire à mes lois !
Eh ! comment s’en défendre ?
Quand mon cœur a fait un choix,
La belle doit se rendre…
En vrai forban, dès que je voi
Fille jolie, elle est à moi !
Il faut souscrire à mes lois !
Eh ! comment s’en défendre ?
Quand mon cœur a fait un choix ;
Il faut subir mes lois

Est-ce une déclaration d’amour ? Une façon de mettre en scène son amour pour Minna Jaeglé ?

Toutes les informations ci-dessus concernant la découverte supposée d’un nouveau portrait de Büchner sont extraites du dossier de la conférence de presse donnée par les professeurs Günter Oesterlé, Roland Borgards, Burghard Dedner (sur Zampa), et Ralf Beil à la Mathildenhöhe de Darmstadt où la découverte sera visible dans la cadre l’exposition du bicentenaire entre le 13 octobre 2013 et le 16 février 2014. Merci à Peter Brunner et son blog dédié à la famille Büchner

J’ajoute à cet endroit mon second petit grain de sel. Il concerne la manière dont à l’opéra, du moins en France, on imaginait Zampa le corsaire. Elle est très éloignée de notre image de Büchner. J’ignore ce qu’il en était en Allemagne mais voici ce que l’on trouve dans les archives de la Bibliothèque nationale à propos du rôle :

Cela apporte peut-être de l’eau au moulin de Jan-Christoph Hauschild pour qui la ressemblance ne prouve rien, n’est pas un critère d’identité. Il observe un certain nombre de différences biométriques marquantes : la forme du lobe de l’oreille, l’écart entre la paupière et le sourcil, la couleur des yeux. « Celui qui pose en corsaire a les yeux sombres peut-être bruns, le portrait de Büchner présente des yeux plus clairs correspondant à la description de l’avis de recherche : yeux : gris ».

Si ce n’est pas Büchner, qui est-ce alors ?

Hauschild a une réponse : le frère d’Auguste Hoffmann, comédien et chanteur dont on trouve des traces jusqu’en 1833 dans le Théâtre de Darmstadt. Source

Jan-Christoph Hauschild fait encore remarquer que le peintre était décorateur de théâtre et non portraitiste.

Une observation qui joue cependant dans les deux sens.

Ce qui m’amène à une dernière réflexion sous forme de question : avons-nous besoin d’un portrait de Georg Büchner ? N’est-il pas entièrement dans son œuvre ? Et quelle œuvre pour une si courte vie ! Le Messager hessois, un pamphlet ; La mort de Danton (théâtre) ; Lenz, une nouvelle ; Léonce et Lena (théâtre) et Woyzeck (théâtre) sans compter la science et la philosophie.

 

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Prism et la Stasi, la différence est dans la technique et l’automatisation

La projection a été réalisée dans la nuit du 7 au 8 juillet sur la façade de l’ambassade des Etats Unis à Berlin par Oliver Bienkowski, un spécialiste des mises en lumière. Il dit pratiquer un "marketing de guérilla".

Les révélations faites par Edward Snowden sur le programme de surveillance électronique planétaire Prism par l’Agence nationale de sécurité américaine (NSA) et Tempora par les services britanniques avec la participation à des degrés divers des autres services de renseignements des pays de l’OTAN dans un partage des technologies d’aspiration des données et des informations récoltées, ont provoqué en Allemagne un état de choc numérique, un moment de défiance envers le gouvernement et la classe politique qui savait / ne savait pas, on ne sait ce qui est pire. Cela a conduit à des comparaisons des pratiques de la NSA avec celles de la STASI, police politique de la RDA (dont on oublie souvent que c’était aussi son service de renseignement intérieur et extérieur), à transformer le président américain Obama en Georges W. Obama et son « yes we scan », à qualifier la technique appliquée par Angela Merkel dans ses « réponses » de stratégie de l’édredon
Malgré la piètre opinion que j’aie pour ce « journal », je ne résiste pas à la tentation de vous donner à lire l’un de ses récents éditoriaux qui nous ramène au « bon vieux temps » où le quotidien du matin fixait la ligne du jour. A la place de l’organe central du parti-état, nous avons la Bild Zeitung et la comparaison est sidérante. Voici le texte intégral de l’éditorial de Roman Eichinger du 14 juillet 2013. L’alternance de gras et maigre est d’origine.

« L’absurde comparaison avec la Stasi

L’espionnage massif de l’Allemagne par les services secrets américains est effrayant et doit être éclairci. Nous, les Allemands, en raison de notre passé, nous sommes particulièrement sensibles à la question de la protection des libertés et des droits des citoyens.
Mais toute comparaison entre la NSA et la STASI comme viennent de le faire un certain nombre de personnes depuis des députés de la CSU [branche bavaroise de la démocratie chrétienne] jusqu’à [l’écrivain] Uwe Tellkamp est à côté de la plaque.
La RDA était un état totalitaire méprisant les hommes. Pour les services secrets de Honecker [chef du parti et de l’état est-allemands] il s’agissait de repérer toute velléité d’opposition dans son propre pays et de la pourchasser sans faiblesse.

A cause de la STASI, d’innombrables personnes ont, sous le régime du SED, perdu leur famille, leur travail, leur liberté et à la fin même leur vie. Il n’y a pas en Allemagne de victimes comparables dues aux activités des services secrets américains. Tout au contraire : l’objectif des services US est de protéger des vies humaines. Leurs indications ont très probablement empêché des attentats en Allemagne.
Les Etats-Unis sont notre ami et même si certains refusent de le reconnaître un Etat de droit démocratique. Les services secrets américains protègent la démocratie même si leurs méthodes sont parfois discutables sinon fausses. »

Bref : sur certaines méthodes, je ne dis pas, mais le bilan, il est « globalement positif » C’est la ligne dans laquelle la chancelière s’est installée après l’avoir défendue dans un entretien avec l’Hebdomadaire die Zeit. Pour le reste, elle joue à ne rien savoir. Dans sa conférence de presse de vendredi dernier (19 juillet), elle est restée dans la dénégation en dépit du bon sens. Cette « stratégie d’ostensible ignorance », écrit Thorsten Denkler dans la Süddeutsche Zeitung, lui garantit son maintien au pouvoir. Elle s’est « transformée en édredon » . Tout ce qui lui tombe dessus, elle l’absorbe, le ramollit, l’enveloppe.

Elle a aussi usé, comme mot clé pour qualifier la révolution numérique, de la notion de « nouveau territoire » , ce qui se comprend plutôt au sens de « terre de (re)conquête » de l’Internet par les anciens pouvoirs.

L’éditorialiste précité dans son catéchisme et sa langue de bois réhabilite la vieille dichotomie ami / ennemi plutôt déplacée dans ce contexte.

Ajoutons à ce manichéisme rétrograde, un pasteur de l’ex-Rda, où il n’a pas été un grand dissident, devenu président de la République allemande, qui se demande ouvertement si Edward Snowden ne serait pas un traitre, un ancien agent du KGB en RDA, un certain W.Poutine, un « lanceur d’alerte », on disait autrefois un dissident, « réfugié » à l’aéroport de Moscou, on a, réunis, les ingrédients d’un mauvais roman d’espionnage qui rejouerait la guerre froide. Avec une dimension comique : des plaisantins de la succession de l’ancien KGB ont, paraît-il, commandé par précaution des machines à écrire pour échapper à la saisie numérique.

Nous n’y sommes plus dans la guerre froide si ce n’est celles des pouvoirs contre leurs propres populations transformés toutes en de potentiels ennemis intérieurs. C’est le point commun entre Prism et la Stasi.

Si comparaison n’est pas raison quand un signe d’égalité empêche de penser la nouveauté, elle devient intéressante dans l’étude des différences car, dans le cas qui nous occupe, elles posent la question des technologies et de l’automatisation.

Le passé revient en habits neufs.

L’écrivain Uwe Tellkamp, auteur de La Tour, a déclaré à l’hebdomadaire die Zeit :

« Le débat sur les écoutes me rappelle la RDA et la Stasi. J’ai toujours pensé que je travaillais sur des matériaux qui désespérément sont ceux d’hier. Beaucoup de choses reviennent sous un autre habillage. Je me suis fait cette réflexion récemment pendant un téléfilm sur la Turquie. Il y avait là des jeunes intellectuels, le professeur tout à fait dans son rôle, prudent, louvoyant, les intellectuels quelques peu naïfs. Comme chez nous [en RDA] autrefois, on aperçoit les mêmes éternelles figures. Facebook, Twitter, Internet, tout cela paraît d’abord si merveilleux et soudain on voit sa face sombre. Soudain, Amazon me montre ce que d’autres ont commandé. Soudain me gagne le sentiment suivant : ce que la Stasi réalisait avec une terrible mobilisation de moyens s’obtient aujourd’hui avec quinze clics de souris ».

Le directeur du Mémorial des victimes de la Stasi, Hubertus Knabe, a porté plainte contre X entre autres pour collectes de données sans fondement légal et violation du secret de la correspondance

«  Il est essentiel, explique-t-il que les règles de droit pour la protection des citoyens face à la surveillance étatique soient respectées par tous et particulièrement aussi par les services secrets ».

Ce que pratiquent les Etats-Unis dans le monde et en Allemagne est illégal en Allemagne. Et la « femme la plus puissante du monde » n’y peut rien ? On est prié de ne pas rire. Car peut-être est-ce vrai. Si tout savoir sur tout a toujours été la devise des services secrets, le problème est de se demander s’ils sont encore sous le contrôle de la politique. Il se pourrait bien que non. En tous les cas, au pouvoir ou dans l’opposition, la politique se refuse à poser les vraies questions. Il est toutefois intéressant de constater qu’elles sont malgré tout sur la table.

Un gendarme en poste. Caricature du 19ème siècle

L’obsession des services secrets pour l’information est une vieille histoire mais la technique moderne lui confère une nouvelle qualité, explique le physicien et journaliste scientifique Ranga Yogeshwar, dans un entretien avec l’écrivain et philosophe Dietmar Dath. Autrefois on s’espionnait pour ainsi dire d’homme à homme. Quand un téléphone était sur écoute, il fallait qu’un autre soit éteint pour permettre la transcription de la conversation. De même une lettre interceptée devait être ouverte à la main, lue, recopiée. Cela signifiait une mobilisation de personnel considérable.

« Mais notre monde s’est transformé : e-mails, banque en ligne, réseaux sociaux, shopping sur Internet, services de cloud computing, communication mobile, etc sont en peu de temps devenus partie intégrante de notre quotidien. Aujourd’hui l’utilisateur se réjouit quand il peut par la voix actionner son téléphone portable mais la même technique de reconnaissance vocale permet la surveillance et l’évaluation par la machine de toutes les communications téléphoniques. »

Il en va de même de la reconnaissance numérique des visages, des profils et comportements en tous genres, achats, déplacements, voyages, listes d’amis …

La prédiction remplace le passage à l’acte

En plus de l’automatisation, Ranga Yogeshwar pointe une autre nouveauté :

« Jusquà présent, les hommes ont été jugés sur leurs actes, à l’avenir, la prédiction prendra le dessus ».

On fait l’ablation du sein avant que le cancer ne se déclare (cf Angelina Jolie), on arrête le « criminel » avant qu’il ne soit passé à l’acte. Je suis un peu sceptique sur le passage qui suit car il me semble qu’il y a de la marge entre vouloir prédire et le pouvoir mais je le traduis tout de même précisément en raison du problème qu’il pose ne serait-ce qu’en termes d’intentions. Ce n’est qu’à la fin que l’auteur fait la distinction entre l’être humain réel et sa modélisation numérique.

« Jusqu’à présent, les autorités entraient en action quand un délit était commis et on allait chez le médecin quand on était malade. Aujourd’hui, on peut savoir avec toujours plus de précision si un individu est en passe de commettre un acte criminel ou si une patiente en bonne santé présent une probabilité accrue de développer un cancer du sein, par exemple. Elle n’est pas encore malade mais les données génétiques et d’autres indicateurs biologiques montrent qu’elle pourrait dans l’avenir être malade.

Et c’est précisément à cet endroit que nous franchissons le Rubicon entre la réalité et sa reproduction numérique. On agit non pas selon l’être humain en soi mais en fonction de la prédiction de son modèle numérisé. On pratique par précaution l’ablation du sein à la patiente encore en bonne santé et l’individu irréprochable sera probablement arrêté par mesure de précaution ».

Quelle est la part non modélisable ?

Je ne ferai pas le tour d’un long entretien. Encore quelques bribes :

Ranga Yogeshwar : « Un paradigme s’est imposé. Il veut que ce que sait la machine fasse autorité. Nous l’acceptons déjà inconsciemment. Avant de rencontrer d’autres personnes, nous demandons à Google ce que l’on peut savoir sur elles. »

Et enfin voici qui nous ramène au début : Les nouvelles technologies ont fait sortir la souveraineté par la petite porte. « La guerre froide est terminée et il serait temps de définir de nouvelles indépendances ».

Une des tâches les plus élevées de l’Etat serait, estime-t-il, de garantir les droits de l’homme à l’ère numérique :

« Je fais partie de ceux qui seraient capables de crypter chiffrer eux-mêmes leurs courriels. Mais, si je le fais, cela équivaut à une déclaration de capitulation de la démocratie. Ma revendication envers l’Etat est donc la suivante : après que la technique se soit rapidement développée en créant des faits accomplis, il est temps de resserrer la vis. Pas seulement pour les services secrets qui veulent coopérer avec nos services mais toutes les entreprises qui y gagnent de l’argent doivent être amenées à se comporter en conséquence »

Il rappelle d’ailleurs que son pays d’origine, Le Luxembourg, attire des entreprises comme Amazon et Apple par des avantages fiscaux en leur permettant ainsi de s’affranchir du principe de solidarité ». La dimension économique de cet espionnage, autre point commun avec la Stasi, est largement occultée.

Faut-il opposer la technologie de cryptage chiffrement aux nouvelles règles démocratiques ? Le parti pirate s’efforce de tenir les deux bouts : imposer par la politique la protection des données et faire la promotion du cryptage chiffrement. Il organise des « kryptopartys« , des soirées d' »autodéfense (cryptage chiffrement) numérique ».

Nous sommes en pleine campagne électorale, cela lui profitera-t-il ?

Cela nuira-t-il au parti chrétien démocrate d’annoncer la démission de l’Etat, le renoncement de la politique ? Le ministre de l’intérieur, Hans Peter Friedrich a appelé les Allemands à crypter chiffrer eux-mêmes leurs communications alors que le porte parole du groupe parlementaire chrétien démocrate annonçait que celui qui veut protéger ses données «  ne peut plus rien espérer de l’Etat national » et que l’autodétermination informationnelle est « une idylle du passé ».

L’un des premiers débats qui s’est installé après les révélations sur Prism a porté en Allemagne sur le fait de savoir si « l’Internet est foutu » ? Car on pourrait se poser la question en termes de « stratégie du choc », qui ferait de l’Internet comme espace collaboratif et de liberté la principale victime de cette affaire.

Frank Schirrmacher fait observer que, pour la première fois dans l’histoire – et j’ajoute en temps de paix – des générations entières de natifs du numérique se trouvent placés sous surveillance généralisée.

Accepteront-ils qu’on leur dise, comme Mme Merkel, que c’est ça la liberté ?

 

Rappelons quelques uns de nos articles précédents sur la question de l’automatisation des contrôles

Sur le projet européen INDECT : Vers un contrôle disciplinaire de la perception.

Deux articles de Frank Rieger : Vers l’autonomie létale des robots guerriers ? et Pour une socialisation des dividendes de l’automatisation

 

 

 

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Retraduction en ligne du Journal de Kafka

 

Les lecteurs se figent quand l’iconoclaste passe

L’annonce remonte au 18 avril 2013 :

Cela m’avait tout de suite fortement intrigué.

Journal I,1 : Les spectateurs se figent quand le train passe

Comme beaucoup de ceux qui s’intéressent à la littérature allemande, je connaissais cet aspect du travail de Laurent Margantin et son site au titre éloquent : Œuvres ouvertes, une revue littéraire en ligne avec sa bibliothèque allemande . Margantin est aussi auteur lui-même. Il parait qu’on dit e-écrivain

Je n’avais pas chez moi d’édition allemande du texte mais la traduction du Journal de Kafka parue en 1954 chez Grasset. J’ai téléchargé le texte allemand avec l’idée de suivre ce travail « défiant » Marthe Robert. Je me suis aperçu très vite que l’édition allemande que j’avais ainsi « récupérée » sur le projet Gutenberg n’était pas la bonne. Elle est annoncée comme étant celle établie par Max Brod et publiée par S.Fischer Verlag et qui contient d’ailleurs une sorte de préambule qui disparaîtra plus tard et sera placé ailleurs.

Puis vint la seconde phrase et déjà il se passe quelque chose.

„Wenn er mich immer frägt“ das ä losgelöst vom Satz flog dahin wie ein Ball auf der Wiese.

Traduction de Marthe Robert :

« S’il a toujours des questions à me faire ». Le « ai » détaché, de la phrase, vola au loin comme une balle dans la prairie.

Traduction de Laurent Margantin :

« S’il me demande (frägt) toujours » le ä libéré de la phrase a volé comme une balle dans le pré.

Phrase mystérieuse qui suggère peut-être un problème de machine à écrire. En tous les cas, il s’agit bien d’un graphème qui se détache. Cela me rappelle les machines à écrire qui quand on tapait trop fortement sur une lettre la détachait de la feuille.
Surtout on remarque là qu’il y a une autre dynamique dans la nouvelle traduction qui s’efforce en outre de respecter la ponctuation du texte d’origine en l’occurrence son absence là où la ponctuation de l’ancienne traduction rationalise, interprète. Laurent Margantin explique : « Je respecte l’absence de ponctuation du texte original (ça rend la vitesse d’écriture du journal) »

Quelques jours après l’extrait I,10 qui se termine ainsi :

« Es-tu désespéré ?
Oui, tu es désespéré ?
Tu t’enfuis ? Tu veux te cacher ?
Je suis passé devant le bordel comme devant la maison d’une maîtresse. »

La dernière phrase de ce passage « Je suis passé devant le bordel comme devant la maison d’une maîtresse » n’est pas dans l’édition de Marthe Robert
Ni dans la version allemande que j’ai téléchargé sur le projet Gutenberg mais bien dans celle-ci de 1951. C’est donc Marthe Robert qui l’a enlevée.

Et ce n’est pas la seule fois où l’évocation du bordel disparaît. Dans l’extrait ici, l’indication « Au B. » au début du texte avait disparu aussi.

Censure ?

Margantin découvre que Kafka a écrit plusieurs cahiers en 1910-11 et que traduction française est une réorganisation d’après les dates.

L’entreprise de traduction est donc rapidement concluante et pleinement d’utilité publique.

Laurent Margantin utilise l’édition critique dite « des manuscrits » parue chez S. Fischer en 1990. La première édition en allemand date de 1937 mais il ne s’agissait que d’extraits publiés avec un recueil de lettres. La seconde édition plus complète a été éditée par Max Brod chez S.Fischer et date, elle, de 1951

Le 26 mai, Le Journal de Kafka déménage avec la création d’un blog qui lui est exclusivement consacré. La traduction est placée sous licence Creative Commons.
1000 pages à traduire. Au moment où je mets en ligne, il en est à la 60ème
Laurent Margantin a commencé à retraduire des textes de Kafka en novembre 2010. D’abord des récits brefs, puis La Colonie pénitentiaire et Un Artiste de la faim. Mais la question ne concerne pas seulement la retraduction mais aussi l’endroit ou elle se fait :

« Retraduire le Journal, c’est permettre une vision à la fois chronologique et panoramique de l’œuvre en cours, et il me semble que le web est l’espace de publication (au sens littéral du terme) idéal pour cette expérience d’écriture débutée par Kafka en 1910 et poursuivie jusqu’en 1922, soit deux ans avant sa mort. Le web essentiellement en ce qu’il permet d’inscrire cette expérience dans sa temporalité, et ainsi de ralentir voire de rythmer différemment la lecture ».

Celui qui suit ce travail ne peut que le confirmer. Après avoir découvert certains défaut du web, comme le fait que l’édition allemande en ligne n’est pas la bonne, la traduction en quelque sorte en direct et en ligne renforce le caractère fragmentaire et de travail en train de se faire au contraire d’une fausse impression d’œuvre achevée que pourraient laisser les traductions précédentes. Se confirme ainsi aussi le caractère de description d’un combat qu’évoque Marthe Robert elle-même pour qualifier le Journal.

La traduction de cette dernière, Margantin la qualifie de « très belle sur un plan littéraire et très exacte » mais il ajoute :

« Simplement, elle appartient à une certaine tradition de la traduction littéraire en France, où l’on veille à faire du texte étranger une œuvre française, dans une langue classique. Or l’allemand de Kafka, dans le Journal, est très libre, il manque souvent la ponctuation, la syntaxe est souvent débridée, j’essaye de rendre cela, je conserve les répétitions de mots, tente d’écrire dans un français qui soit fidèle à l’écriture brute de Kafka qui, encore une fois, n’est pas celle des romans ».
CF Quatre questions de Thomas Villatte

Bref une expérience tout à fait passionnante à suivre. Cet article n’avait d’autre objectif que de vous y inviter autrement que par le petit oiseau bleu.

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Le mythe de l’inflation en Allemagne

Un billet de 500 millions de marks (1923) - une broutille - à l'effigie de Schopenhauer

Repéré dans un texte de Frédéric Lordon, l’extrait suivant :

« Car le roman allemand tient l’hyperinflation de 1923 pour la matrice du nazisme, alors qu’il faudrait bien davantage la chercher dans la Grande Dépression de l’austérité Brünning – en effet 1931 est plus près de 1933 que 1923… Mais peu importe le bien-fondé de l’histoire que se raconte la société allemande : elle se la raconte, et c’est là la seule réalité symbolique qui compte. Or la force du trauma allemand a rendu non négociables ses propres obsessions monétaires, et soumis les autres pays européens à l’ultimatum de devoir les partager ou bien rien ».

Frédéric Lordon :  Pour une monnaie commune sans l’Allemagne (ou avec, mais pas à la francfortoise)

Il est vrai qu’ils se la racontent mais ils ne sont pas les seuls . Ainsi peut-on lire sur le blog de Paul Jorion sous la signature de Cédric Mas commentant le suicide de Dominique Venner :

« En Allemagne, avec la crise de 1929, et le désarroi qui saisit la population face au chômage et à l’hyperinflation, le NSDAP gagne des voix, tandis qu’Hitler prend de plus en plus de positions destinées à rassurer les milieux conservateurs (police, armée) et patronaux ».

Il est vrai aussi que tout le monde ne s’en laisse pas conter. Si les raccourcis dans la datation  le sont peut-être dans les mémoires, il convient sur le plan de l’histoire de séparer les dates. Cela permet de se rendre compte qu’Hitler n’est pas arrivé au pouvoir dans une période d’hyperinflation mais de baisse des prix. C’est ce que montre Mark  Schieritz dans un petit livre qui vient de paraître sous le titre révélateur de « Le mensonge de l’inflation » [Die Inflationslüge] avec un sous titre non moins éloquent : « Comment la peur pour l’argent nous ruine et qui en profite ». L’auteur, journaliste économique à l’hebdomadaire Die Zeit après être passé par le Financial Times, montre, sans nier le traumatisme, que la peur de l’inflation est une construction idéologique qu’il fait remonter aux années Brüning et qui a été reprise et diffusée par la révolution conservatrice.

Un spectre hante l’Allemagne, celui de l’hyperinflation

« Depuis le début de la crise, la peur pour l’argent s’est installée en Allemagne. Pour mettre leur argent en sécurité les Allemands achètent de l’immobilier et de l’or comme s’il n’y avait plus de lendemain. Le prix de l’immobilier flambe.(…) »

L’inflation arrive ?
Rien n’est moins sûr.

« Les banques ont depuis longtemps compris qu’il y avait des affaires à faire avec l’inflation. Elles proposent à leurs clients des placements  qui promettent une « protection » contre un supposé risque inflationniste. »

Et si l’inflation n’arrive pas – il n’y en a pas à l’horizon, les Allemands  s’apercevront un matin que l’immobilier et l’or dont ils se sont portés acquéreurs auront perdu de leur valeur. La seule chose dont les Allemands devraient avoir peur, explique M. Schieritz en paraphrasant Roosevelt, est la peur d l’inflation elle-même.

L’auteur démonte trois mythes (mythe au sens de construction idéologique) autour de l’inflation :
– Mythe 1 : l’hyperinflation des années 1920 a provoqué la faillite de la République de Weimar et amené Hitler au pouvoir.
Je ne suivrai que cette piste là me contentant de signaler les deux autres :
– Mythe 2 : les prix augmentent toujours plus vite et cela mine la prospérité.
– Mythe 3 : le monde se noie dans l’argent

Mythe 1 : l’hyperinflation des années 1920 a provoqué la faillite de la République de Weimar et amené Hitler au pouvoir

«  Il y a lieu de mettre en doute cette affirmation ne serait-ce que du point de vue des dates. L’hyperinflation était terminée en 1923. Hitler est arrivé au pouvoir en 1933. Entre les deux, il y eu les années 1920 durant lesquelles non seulement l’économie était florissante mais les arts, la culture, les sciences. Au cours de ces années, même la relation avec la France ennemie s’était détendue. En 1926, l’Allemagne est entrée dans la Société des Nations  et était en passe d’être réhabilitée sur le plan international.
Cet élan a été stoppé en Allemagne aussi en 1929 par le krach boursier du Vendredi noir aux Etats-Unis. Il s’en suivit une lourde et profonde crise économique. La production industrielle a chuté en trois ans de 40%. En conséquence, l’Allemagne connaît, en 1932, 5,5 millions de chômeurs. Le niveau des prix à la consommation a baissé de 25% entre 1930 et 1933. Hitler est arrivé au pouvoir au début de 1933. En mars, le NSDAP [Parti nazi] obtenait lors des dernières élections normales 43,9% des voix et ce fut la fin de la République de Weimar. Certes l’inflation des années 1920 a accéléré la faillite de la République de Weimar. Les couches moyennes ont vu leurs économies fondre, elles ont perdu confiance dans les capacités et la stabilité de l’ordre démocratique. Il est cependant un fait qu’Hitler est arrivé au pouvoir dans un contexte de déflation et non d’inflation. La raison économique essentielle [c’est moi qui souligne car ce n’est pas la seule] expliquant le succès des nazis tenait au fort taux de chômage dans la crise économique mondiale. Le chômage était pour les familles allemandes bien plus destructeur que l’inflation. Il est remarquable pourtant que c’est l’inflation et non la dépression  qui s’est inscrite dans l’imaginaire collectif des Allemands »

La peur de l’inflation comme masque de l’austérité

La peur de l’inflation est une construction idéologique dont l’origine est politique :

« le 13 octobre 1931, le Chancelier du Reich, Heinrich Brüning mène une politique d’austérité drastique. Il augmente les impôts et réduit les dépenses de l’Etat, il préconise une réduction des salaires et des traitements. Pourtant la discussion politique générale au Reichstag n’a pratiquement qu’un seul thème : l’inflation. Le député Johann Leicht du Parti populaire bavarois remercie Brüning de n’ouvrir en aucun cas la voie au retour de l’inflation. Joseph Joos du Parti du Centre pense : L’inflation a toujours été la ruine pour un peuple. Nous avons sans cesse interpelé le Chancelier : imposez-nous les mesures les plus dures mais ne tolérez pas l’inflation »

Les discours sont à contretemps. Mark Schieritz le souligne. Nous sommes en 1931 et il y avait en Allemagne 4,5 millions de personnes sans travail et les prix avaient baissé de 8,1%. « Ils ont baissé pas augmenté »

«  Pour l’historien Knut Borchardt. il est clair que la peur de l’inflation répandue en Allemagne a réduit les marges de manœuvres des instances de politique économiques. Cette peur a conduit à consciemment sous-dimensionner les mesures pour l’emploi pour ne pas éveiller le soupçon de favoriser l’inflation. Cela vaut pour le programme de relance de l’économie présenté par les syndicats, le plan WTB  ainsi nommé d’après les initiales de ses initiateurs Wladimir Woytinsky, Fritz Tarnow, Frits Baade. Cela vaut aussi pour les propositions demandant que l’Allemagne à l’instar de la Grande Bretagne abandonne la couverture-or de sa monnaie afin d’accroitre ses marges de manœuvres pour lutter contre la crise économique. Horrifié, l’ambassadeur britannique Sir Horace Rumbold câble à sa maison mère : C’est tout particulièrement cette peur de l’inflation qui explique la docilité avec laquelle tout le pays a accepté aveuglément les décisions et mesures qui ont immobilisé l’économie, réduit la liberté de circulation et pratiquement détruit la liberté de la presse »

La peur de l’inflation est aussi instrument disciplinaire.

La préoccupation de Mark Schieritz est de montrer que la peur de l’inflation  bloque les solutions à la crise. C’était vrai hier. Cela l’est aujourd’hui et le sera demain : «  le plus grand danger pour la stabilité  économique ne part pas de l’augmentation du prix des marchandises mais des excès spéculatifs sur les marchés financiers ». Il s’efforce de montrer que la peur de l’argent pourrait à terme ruiner ses concitoyens car elle est mauvaise conseillère tant pour les affaires publiques que privées.

A qui profite la peur de l’inflation

Si cela marche si bien c’est aussi que des intérêts et des rapports de pouvoir sont en jeu qui le permettent. Qui sont les profiteurs ?

    1.Les banques qui se font beaucoup d’argent avec la peur de l’inflation. Alors qu’elles savent qu’il n’y a pas de risque, elles développent toute une série de produits  » garantis » contre le retour de l’inflation.
    2.Les politiques. Pour eux du pain béni. On y cache tout et n’importe quoi. C’est le masque de la révolution conservatrice. L’auteur rappelle la déclaration de Ronald Reagan : «  le recul de l’Etat conduira à une croissance économique mois inflationniste ».
    3.Les experts. « Les économistes aussi contribuent à ce que le débat sur l’inflation prenne en Allemagne des accents hystériques ». Le monétarisme règne dans les universités allemandes où l’on apprend toujours que l’argent pousse les prix. La Bundesbank a pris un tournant monétariste dans les années 1970. «  Le monétarisme était en partie la superstructure idéologique d’une révolution conservatrice dans la politique économique allemande qui est allé de pair avec le renoncement à l’optimisme du pilotage keynésien. Les monétaristes américains se sont efforcés de montrer que la tentative d’atténuer les fluctuations conjoncturelles par des interventions de l’état était vouées à l’échec. Cela tombait bien pour les économistes allemands à la recherche d’arguments pour plaider le recul de l’Etat. Rien n’a changé depuis l’adoption stratégique de la théorie monétariste ».
    4.Les médias jouent leur rôle dans le grand théâtre de l’inflation lui donnant parfois l’allure d’un grand Guignol. .

Mark Schieritz : Die Inflationslüge Knaur Taschenbuch München 2013 142 Seiten 7 Euro

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Franz Kafka, né le 3 juillet 1883 à Prague

Franz Kafka, un film d’animation (1991) de l’artiste polonais Piotr Dumala basé sur des notes du journal de Kafka.

Via le site de Marion Brasch

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Notes berlinoises 2013 (9 et fin ) : le Wedding sur les traces de Franz Hesssel et Jean-Michel Palmier

Nous étions précédemment dans la Chausseestraße en direction du Wedding, vieux quartier populaire en transformation et dernière étape de notre périple berlinois printanier.

1. Belle et triste

Gallicismes. A l’origine, au 17ème siècle, l’expression françaises Belles Lettres donne le terme allemand Belletristik. Par un retour à l’envoyeur en quelque sorte Belletristik a donné Belle et triste, nom de cette librairie dans le Wedding.

Et puisque nous parlons belles lettres ! Deux livres que j’adore m’accompagnent souvent et me permettent de découvrir de nouveaux paysages urbains en suivant d’anciennes promenades : Promenades dans Berlin de Franz Hessel, le flaneur de Berlin comme le qualifie Jean Michel Palmier et Berlin Requiem de Jean Michel Palmer, le quêteur de traces.

2.Wedding-le-rouge

« Wedding-le-Rouge .- Le plus grand et le plus vieux quartier ouvrier de Berlin. Jadis Wedding n’était qu’un modeste village. C’est aujourd’hui un quartier de plus de 250000 habitants. Wedding est au cœur de toute l’histoire du prolétariat allemand avec ses manifestations, ses usines, ses combats de rue et ses chansons. Presque tous les poètes et les écrivains des années 20 ont écrit des poèmes sur Wedding, évoquant sa misère et ses taudis ».

Jean-Michel Palmier : berliner requiem Galilée 1976


Le Wedding rouge est une célèbre chanson écrite par Erich Weinert et composée par Hans Eisler à la suite de ce que l’on a appelé le “mai sanglant” de 1929 qui avait vu la répression par la police des manifestations interdites du 1er mai.Une trentaine de morts, plus de 200 blessé et plus d’un millier d’arrestations Elle est interprétée par Ernst Busch qui en a adapté le texte. Wedding restera longtemps un bastion communiste à Berlin même -mais en plus petit – après la construction du mur.

Il existe de nombreuses variantes de la chanson qui a toujours été adaptées aux circonstances. Au point de départ se trouve la version destinée à une troupe d’agit-prop dont le refrain disait :

Le Wedding rouge vous salue, camarades, gardez les poings serrés,
Gardez serrés vos rouges rangs, car notre jour n’est pas loin !
Les fascistes menaçants se tiennent à l’horizon.
Prolétaires, il faut vous préparer. Front rouge, Front rouge !

Du passé industriel on trouve encore des traces. En voici quelques-unes :

Pas faux dans le fond, mais pour trouver ce que l’on porte en soi, il faut parfois aller quelque part.

Autres traces, le long de la rivière Panke :

« Aujourd’hui, le vieux Wedding n’est plus. A la place des vieilles habitations ouvrières, on a bâti de nouveaux immeubles souvent aussi laids et aussi tristes que les anciens. Mais par endroits – comme la misère à travers un vêtement déchiré — il surgit encore dans toute son étrangeté. Quand on erre dans les vieilles rues mal pavées, on rencontre toujours des enfants dépenaillés qui jouent sur les trottoirs. Ce sont aujourd’hui les familles d’émigrés turcs qui ont remplacé les vieilles familles ouvrières ».

Jean-Michel Palmier : berliner requiem Galilée 1976

« Les enfants jouent et se chamaillent dans les vieilles cours ou se promènent en se tenant par la main – petites filles turques aux cheveux teints, aux vêtements de couleurs vives, garçons au crâne rasé, qui se battent pour une bicy­clette et qui courent en bandes, à travers les rues.

Les vieilles habitations semblent encore plus dévastées que celles de Kreuzberg. Des hommes en maillots de corps, des vieilles femmes apparaissent aux fenêtres dès que l’on pénètre dans une de ces arrière-cours. Devant chaque porte, on aperçoit les mêmes enfants, assis, dessinant par terre ou sur les murs, avec des morceaux de crai~ ou du plâtre. De vieux immeubles en briques rouges subsistent toujours. On ne croise dans les rues que des groupes d’enfants aux visages barbouillés et des vieillards. Un infirme dans une voiture actionnée par un gigantesque volant fait ses courses. Il traverse la petite rue. Etrange homme avec ses lunettes noires, sa barbe blanche et les deux chiens attelés à sa voiture qui semblent le tirer. Des enfants en train de jouer s’écartent pour le laisser passer. Les rues sont toutes aussi monotones. Les tentatives faites pour égayer les façades en les peignant en blanc, en ocre n’ont fait que, souligner encore plus crûment leur pauvreté. »

Jean-Michel Palmier : berliner requiem Galilée 1976

Jean-Michel Palmier met en exergue deux petites rues du quartier dans lesquelles je me suis rendu :

« Les petites rues -. comme la Maxstrasse – forment un même bloc de vieilles façades et de petits magasins. Parfois un étalage insolite retient l’attention. Ainsi ce Nachlasse, au coin de la Maxstrasse, frappe par l’invraisemblable bric-à-brac de sa devanture : meubles cassés, vaisselles, piles de papiers, de journaux, de livres, chiffons. J’entre dans la boutique un peu par hasard et j’explore les piles de journaux et de livres qui se trou­vent au fond du magasin. Quelques hommes barbus, à moitié ivres, sont assis devant la caisse et se disputent avec un accent berlinois très marqué. Au milieu des jour­naux,. se trouvent de vieilles revues de cinéma. J’en achète ‘ quelques-unes. Le marchand me les laisse pour 50 pf alors que les antiquaires de la Motzstrasse les vendent 2 ou 3 marks. Il est vrai que l’intérêt que je porte à ces vieilles revues doit lui paraître quelque peu incompréhensible (….)

Plus loin, dans l’Adolfstrasse, quelques Kneipe et des petits restaurants dans le style Aschinger. J’y entre pour acheter un sandwich. Debout, autour de petites tables en bois, quelques hommes mangent en silence. Par terre, un enfant joue avec un chien. L’homme mastique avec len­teur une côtelette de porc. Le chien le regarde, guettant l’os qu’il va lui jeter. Parfois il détache de grands morceaux de viande qu’il tend à son compagnon, habillé avec des loques. J’essaie sans succès de suivre leur conversation. Ils parlent très vite avec l’accent berlinois. Il règne entre ces pauvres gens une étrange sympathie. Chacun offre des cigarettes au voisin qu’il ne connaît pas et tente de con­verser avec lui. Ces cafés et ces restaurants des quartiers ouvriers ont tous le même caractère triste et désespérant : des carrefours de solitudes et de misères. L’un des hommes s’approche de moi et me prend par les épaules. Il titube, sourit et va s’asseoir plus loin. »

Jean-Michel Palmier : berliner requiem Galilée 1976

Adolfstrasse, il ne se passe plus rien :

Un dortoir. Pas le moindre bistrot à l’horizon

Maxstrasse, c’est un peu différent

 

Il y a toujours un magasin de bric à brac

 

Le quartier est bien plus animé que ne le sugggère JM Palmier en ce début de mai 2013 où arrive enfin un printemps qui s’est fait attendre même si, bien entendu, certaines personnes, on le devine, ne sont là que pour éviter le désœuvrement.

3. Müllerstraße


Nous voici de retour dans l’artère principale du Wedding, la Müllerstrasse par la place Leopold On se rassure. Heiner Müller n’a pas de rue à son nom à Berlin. C’est l’artère centrale commerçante et administrative du Wedding, on y trouve la mairie Et puis ….

… cette Tour Eifel miniature devant Centre Culturel Français au numéro 74 de la Müllerstraße qui témoigne de la présence après la guerre et jusqu’en 1992 des Forces Françaises Alliées à Berlin. Le Centre est aujourd’hui géré par les Allemands.

4. Vérité nue

Franz Hesssel s’est promené également dans la Müllerstrasse dans les années 1920. Il raconte :

« Par des détours sous les arches du chemin de fer périphérique et sur les ponts du canal, je me suis retrouvé du côté où la Chaussestrasse donne dans la Müllerstrasse et j’ai monté un bout de cette interminable rue urbaine et suburbaine. Il y avait là, sur le trottoir, à chaque coin de rue et même entre deux, des marchands ambulants qui vendaient divers objets. Un jeune gars, sans col, avec de longs plis prononcés sur ses joues blêmes, proposait des fascicules illustrés de photos de nus. Il criait : « qu’est-ce ? C’est de la sexualité. ET qu’est la sexualité ? Quelque chose de tout à fait naturel. A quoi ressemble l’être humain ? A cela et à rien d’autre. On est gêné simplement à cause des autres ; sinon, tous ceux qui ne sont pas des apôtres de la moralité me l’achèteraient… »

Franz Hessel Promenades dans Berlin Presses universitaires de Grenoble. 1989

Voilà qui tombe bien. Justement, le Musée de la photographie de Berlin, à côté de la gare du Zoo, présente – jusqu’au 25 août 2013 -une exposition de photos de nus du début du siècle dernier sous le titre Nackte Wahrheit und anderes (Vérité nue et autre)

Anonyme environ 1900 Collection Gérard Levy Paris


L’exposition qui se tient jusqu’au 25 août 2013 regroupe des photos de nus de divers horizons, ethnographique, policier, artistique, érotique issues de collections européennes dont la Bibliothèque nationale de France ou la Société française de photographie.

5. Encore quelques images

Avant d’en arriver au dernier paragraphe sur ce qui bouge, les transformations en cours dans le Wedding encore quelques images glanées au cours de mes promenades dans l’arrondissement :

Un amateur d’art, sans doute.

Inscription au fond : Danse avec moi dans le naufrage !

6. Quand Stadtbad (Bains-douches) devient Stattbad (En lieu et place des bains)

Les bains-douches du Wedding datent de 1907. Détruits pendant la seconde guerre mondiale, ils ont été remis en service en 1956 et fermés en 1999. Les bains douches ont été transformés en un centre de création artistique dédié en particulier à l’art urbain (street art).

« FUME DU PNEU  » est signé SP 38

 

Dans les vestiaires, l'expo "we have decided yesterday to change the day" 'A.N.C. PROJECTS

"Backstage" d'Elen Tamburini

Dans les douches, l'expo du groupe "Dissidents"

Une oeuvre d' Alias (groupe "Dissidents")

Et enfin dans la piscine elle-même :

Clements Behr/Nural Moser : " Installation spatiale avec pompe (et autres)"

Le Wedding connaîtra-t-il le même sort que d’autres quartiers de Berlin boboïsés ? D’abord viennent les artistes puis les galeries puis les magasins de luxes puis les appartements de luxe, les loyers grimpent et enfin la population d’origine en est chassée ? Certains veulent croire qu’il existe un esprit du Wedding qui ne se laissera pas faire….

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Bertolt Brecht, Heiner Müller et le 17 juin 1953 en RDA (esquisse)

Cette photographie prise en juin 1952 par Heintz Funk, et qui provient des Archives fédérales, montre que dans le cadre du plan de construction de la Stalinallee à Berlin, des processus de rationalisation et de mécanisation ont été introduits. Auparavant les matériaux avaient été transportés à dos d’homme sur des hottes par des manœuvres appelés en allemand Hucker. Ils transportaient outre les briques dégagées par les Trümmerfrauen, femmes des décombres, également le ciment et le mortier sur les échafaudages. Le processus de rationalisation a conduit à des pertes de salaires. La grève des manœuvres du bâtiment a précédé celle des ouvriers des 16 et 17 juin 1953. A ma connaissance, seul Heiner Müller évoque cette question dans le témoignage placé plus loin. On retrouve le transporteur de pierre par exemple dans le personnage de Hilse dans sa pièce Germania Mort à Berlin

Deux des plus grands auteurs allemands, Bertolt Brecht et Heiner Müller ont assisté aux évènements du 17 juin 1953, jour d’une révolte ouvrière à Berlin et dans l’ensemble de la RDA. En termes idéologiques de l’époque, l’irruption de la classe ouvrière sur la scène politique contre ceux qui dirigeaient le pays au nom de la dite classe a provoqué un choc dont les effets seront durables. Les deux ont laissé des textes évoquant la situation et témoignages. Le premier, Brecht, s’est efforcé d’intervenir dans le champ politique, le second Müller, est resté spectateur. Observateur de ce qui sera son matériau théâtral.
Commençons par un texte de Heiner Müller :

« SCHOTTERBEK lorsque un matin de juin 1953 à Berlin, dans un soupir,  il s’effondra sous les coups de ses codétenus, il entendit sortis du bruit des chenilles de chars et étouffés par les épais murs prussiens de sa prison, les accents inoubliables de l’Internationale »

Heiner Müller :  SCHOTTERBEK

Ce court texte, cité ici dans son intégralité, qui  a en effet l’apparence d’un texte en prose, figure dans le volume de textes en prose des œuvres complètes parues chez Suhrkamp. Il a été probablement écrit en 1953 et publié pour la première fois en 1977 dans l’édition du Rotbuch Verlag, donc sous le contrôle de Müller, dans la même édition que Germania Mort à Berlin. Il contient la date ce qui est plutôt rare dans son œuvre : juin 1953 sans faire référence à un jour. Dans ce texte coup de poing, extraordinaire concentré de contradictions et de combinaisons dont Müller avait le secret, on décèle quelques thèmes futurs de son œuvre, celui des frères ennemis, nazis et communistes, la discipline prussienne et celles des chars soviétiques, chars libérateurs et/ou répressifs, la violence intérieure et  la violence extérieure, etc. On les retrouvera dans Celui qui casse les salaires (Der Lohndrücker), Germania Mort à Berlin, La Route des chars.

Un  mot sur le contexte

Staline meurt le 5 mars 1953, le sinistre Beria est à la manœuvre à Moscou, les Allemands de l’Est ne savent pas trop où ils en sont avec la politique soviétique. Qu’en est-il de la note de Staline du 10 mars 1952 proposant l’unification de l’Allemagne en échange de sa neutralité, qui faisait de la RDA un territoire à disposition des parties d’échecs soviétiques ? A-t-elle d’ailleurs jamais eu une quelconque crédibilité ? Les flottements sont utilisés par Walter Ulbricht alors secrétaire général du SED, le parti communiste est-allemand pour se lancer à marche forcée dans l’édification du socialisme, pensant ainsi bloquer tout velléité de réunification. Son alter égo occidental Konrad Adenauer était dans le même état d’esprit. Restaurer le capitalisme en RFA passait pour lui avant l’unité allemande.

Collectivisation forcée, politisation de l’école, conflits avec l’Eglise, politique d’austérité accentuent la crise. 15 à 20 000 personnes quittent chaque mois la RDA. Au printemps 1953, le gouvernement décide se supprimer les cartes d’alimentation aux 2 millions de commerçants et artisans et une augmentation de 10% des normes de productivité. A la mi-journée du 16 juin, 10 000 ouvriers du bâtiment se rassemblent devant le siège du gouvernement et demandent à parler à W. Ulbricht et à Otto Grotewohl, chef du gouvernement, qui n’ont rien à leur dire. Entre temps les mesures avaient été retirées. Plus d’un million de personnes ont manifesté dans les rues. Un millier d’entreprises se sont mis en grève. Il s’agissait vraiment d’un mouvement de révolte ouvrière, sortie des entreprises. L’université était en vacances. Les autres couches notamment intellectuelles n’étaient pas de la partie. Le commandement soviétique de Berlin a décrété l’Etat d’exception. Les chars soviétiques ont sauvé le régime et singulièrement le principal responsable de tout cela, Walter Ulbricht qui en retire un pouvoir consolidé.

Il y eut des dizaines de milliers d’arrestations, de nombreuses condamnations. Officiellement, 55 personnes sont mortes, peut-être plus. 34 manifestants et  passants. Les tribunaux militaires soviétiques ont prononcé 5 condamnations à mort, la RDA deux. Ils ont été exécutés. 4 sont mortes de mauvais traitements en prison. Des soldats soviétiques ont été sanctionnés pour avoir refusé de tirer.

Les idéologues des deux camps ont forgé aussitôt leurs instruments de propagande. En Allemagne de l’Ouest, le 17 juin sera un jour de fête nationale, à l’Est une tentative de putsch fasciste. Il y a eut bien sûr dans le mouvement une composante d’anciens nazis et pour cause. Heiner Müller explique cela très bien dans son autobiographie :

« Le syndicat des ouvriers du bâtiment était avant-guerre le syndicat où il y avait le plus de communistes, et donc par la suite celui où il y a eu ensuite le plus de places vacantes. Après-guerre, on n’avait besoin de personne de manière plus urgente que d’ouvriers du bâtiment. Les Russes avaient envoyé tout ce qui avait été nazi – sauf ceux qui étaient, selon leurs catégories, des criminels de guerre – sur les chantiers. C’étaient des officiers, des universitaires, des enseignants, des employés, des fonctionnaires. Ils sont tous devenus ouvriers dans le bâtiment …».

Brecht avait vu cela aussi avec effroi, mais pas seulement. Il s’en prend à la bêtise, en premier lieu celle de ses pairs, en l’occurrence le poète Kurt Bartel dut Kuba, secrétaire de l’Union des écrivains dans un poème demeuré célèbre, mais privé, à l’époque, d’espace public. Le texte ne sera publié qu’après sa mort :

La Solution
Après le soulèvement du 17 juin
Le secrétaire de l’Union des écrivains
Fit distribuer des tracts dans la Stalinallee
On y lisait que le peuple
Avait tourné en dérision la confiance du gouvernement
Et ne pourrait reconquérir cette confiance
Que par un travail redoublé. Ne serait-il
Pas plus simple que le gouvernement dissolve le peuple
Et en élise un autre ?
Brecht 1953

Brecht intervient aussi auprès des autorités du pays ainsi qu’en direction des Soviétiques pour les conjurer de saisir cette opportunité de contact entre la classe ouvrière et ceux qui dirigent le pays en son nom. La question a occupé Brecht. Son journal est silencieux entre mars et août 1953. Il revient sur les évènements à la date du 20.8.53 :

« le 17 juin a distancié l’existence entière. malgré tout leur désarroi et leur lamentable impuissance, les manifestations des ouvriers montrent encore qu’ici est la classe montante ce ne sont pas les petit-bourgeois, mais les ouvriers qui  agissent. leurs mots d’ordre sont confus et débiles, introduits par l’ennemi de classe, et il n’apparaît aucune capacité d’organisation, il ne se développe aucun conseil, il ne forme aucun plan. et cependant nous avions ici devant nous la classe, dans l’état le plus dépravé qui soit, mais enfin la classe. tout commandait d’exploiter à fond cette première rencontre. c’était le contact. il ne venait pas comme une embrassade, mais comme un coup de poing, c’était pourtant le contact. – le parti pouvait s’effrayer, mais n’avait pas à désespérer après toute cette évolution historique, il ne pouvait de toute façon compter sur l’assentiment spontané de la classe ouvrière. il y avait des tâches qu’il était obligé à la rigueur, dans les circonstances données, d’exécuter sans l’assentiment et même contre la résistance des ouvriers. mais maintenant se présentait, tel un grand contretemps, une grande occasion de gagner les ouvriers. c’est pourquoi je n’ai pas ressenti l’effrayant 17 juin comme purement négatif. à l’instant où j’ai vu le prolétariat – rien ne saurait m’inciter ici à user de restrictions habiles, rassurantes — de nouveau livré à l’ennemi de classe, au capitalisme revigoré de l’ère fasciste, j’ai vu la seule force qui puisse en venir à bout ».

Brecht Journal de travail Editions de l’Arche pages 548-49

Brecht est extrêmement sévère avec le mouvement lui-même mais conscient qu’il faut faire avec. Ce qui est frappant est sa tentative de faire entrer la nouvelle réalité et les hommes concrets dans les canons du dogme, dans des catégories de lutte des classes qui ne fonctionnent plus : « la classe, dans l’état le plus dépravé qui soit, mais enfin la classe », la classe celle au nom de qui…. Comment justifier la « Dictature du Prolétariat » avec un « prolétariat » dépravé ?

Ce dilemme est le fondement de la RDA. A cela s’ajoute le non pensé de la question stakhanoviste variante socialiste du fordisme/taylorisme. Brecht n’écrira aucune pièce sur la RDA. Ce sera le travail de Heiner Müller qui, lui, participe aux évènements en curieux : « Je n’ai vécu le 17 juin qu’en position d’observateur ». Il s’en nourrit en quelque sorte. Certains personnages rencontrés ce jour-là se retrouvent dans son œuvre. Il croise même des fantômes.

Heiner Müller raconte  :

« Ce que je sais, c’est que tout s’est produit de façon assez surprenante. À l’époque, j’habitais à Pankow, j’avais entendu à la radio: grève, Stalinallee, mani­festations. Je voulais voir ça et je suis allé prendre le tramway, le tramway ne fonctionnait pas, puis je suis allé jusqu’au métro, le métro ne fonctionnait pas non plus. Stefan Hermlin est sorti de la bouche du métro, la pipe à la bouche. C’est le seul personnage connu que j’ai vu dans la rue. (Je dois avoir vu un fantôme. Hermlin dit qu’il était à Budapest à ce moment-là). Puis je suis allé à pied au centre, jusqu’à la Leipziger Strasse; devant la Maison des Ministères, il y avait un attroupement, des fonctionnaires, il y en avait un que je connaissais. J’ai remarqué que les gens avait avaient l’air en proie à une excitation plutôt agréable. Puis j’ai marché dans la direction de l’Alexanderplatz, et là ça commençait déjà à être agité, il y avait des kiosques qui brûlaient, on voyait ce que Brecht a très bien décrit : des petits groupes de gens se formaient, et des orateurs en sortaient. Presque un phénomène biologique. Pour Brecht, c’était des visages d’inquisiteurs, des visages émaciés, fanatiques. Des cris: « Virez les barbiches! Les Russes dehors! ». Puis les jeunes de Berlin-Ouest sont arrivés, chaussettes tire-bouchonnantes et blousons, c’était la mode à l’époque, des colonnes entières de vélos qui se faufilaient là-dedans.(…) »

Le spectacle est intéressant :

« Ensuite je suis allé sur la Potsdamer Platz. C’est là qu’était le champ de bataille principal. Puis les chars sont arrivés, il y avait déjà beaucoup de choses qui brûlaient, la Maison Columbia par exemple. On a tou­jours une vision fragmentaire des choses quand on est soi-même sur place. C’était tout simplement intéressant, un spectacle. Je n’avais jamais rien vu de pareil. Comment une masse d’hommes réagit face aux chars, puis comment elle se disperse. Ce 17 juin a été surprenant pour moi ».

Il n’y avait pas sur le moment de dimension tragique, la terreur n’est venue qu’après note Müller, sans doute après qu’Ulbricht eut conforté son pouvoir et obtenu l’aval de Moscou :

« Quand les chars ont surgi, on percevait nettement de l’hésitation chez les Russes, et on sentait qu’en fait ils auraient voulu ne rien avoir à faire avec tout ça, ils étaient là, tout simplement, et s’il se passait quelque chose là, alors c’était un accident. Ça, j’en suis absolument certain, ils n’avaient manifestement pas reçu d’ordre clair, de toutes les façons la police de la RDA avait reçu d’Ulbricht l’interdiction de tirer, et les Russes non plus n’ont pas aimé le faire. Il n’était pas question de brutalité. D’abord, il s’agissait seulement de pacifier, la terreur n’est venue qu’après, les arrestations, les procès; mais l’affaire en elle-même, c’était plutôt une opération clinique. Ça s’est peut-être passé autrement dans les provinces. Pour ma part je n’avais pas d’espoirs, même déçus, j’étais observateur, rien de plus. Je n’avais par exemple rien ni pour ni contre Ulbricht. Ulbricht était pour nous tous un personnage comique. Pour beaucoup de gens c’était un objet de haine. Ceux qui l’ont craint, ce sont ceux qui en savaient plus. Ce qu’il y a eu d’étrange le 17 juin, c’est que l’écrasement de la révolte ait aussi bien marché. (…)

Müller se moque de l’interprétation des évènements par Ulbricht pour qui le 17 juin serait l’œuvre d’intellectuels renvoyés dans la production et qui, incapables de travailler de leur mains, attisent le mécontentement. Ulbricht n’était pas aimé de la population et ne l’aimait pas non plus.

« La grande qualité d’Ulbricht était qu’il était lâche et par consé­quent fait pour la dictature. La peur, il l’a apprise à Moscou. Staline ne l’aimait pas. Ulbricht savait très bien qu’il n’était pas aimé. Dans les situations délicates, il a bien entendu aussi embrassé des enfants. Un personnage sinistre. C’était le pendant d’Adenauer.

Son plan, rendre la RDA autarcique, était débile, mais c’était sa meilleure idée. Dans ses discours, il était complètement à la botte des soviétiques, hypocrite comme tout homme politique qui réussit. À un moment donné, à Ahrenshoop, j’ai rencontré Jan Koplowitz, un écrivain de RDA; il m’a raconté qu’il avait rencontré Ulbricht et que Ulbricht lui avait demandé : «Alors, camarade Koplowitz, qu’est-ce que tu vas écrire maintenant ?» Koplowitz avait autrefois été membre de l’Union des écrivains prolétaires révolutionnaires et a dit : «Je vais écrire un livre sur le 17 juin. » Alors Ulbricht lui a expliqué comment il devait écrire: « Bon, écoute mon gars, voilà ce que tu dois écrire. Y a un fonctionnaire, voilà, et il a fait n’importe quoi et il doit retourner à la production, à la base. Et maintenant voilà qu’il a les mains douces et molles, le pouvoir rend les mains douces et molles, et il n’est pas capable de travailler, et maintenant faut bien et alors, il râle, rouspète ». Une explication du 17 juin par les difficultés d’un fonctionnaire qui a été viré, qui est renvoyé à la base et n’est plus vraiment capable de faire un travail physique, et commence donc à inciter les prolétaires à la révolte pour ne plus avoir à travailler. La véritable histoire, c’est plutôt qu’Ulbricht, Honecker et un troisième avaient été convoqués à Moscou et confrontés au projet de Béria d’abandonner la RDA. Donc élections libres et fin de l’expérience. Ils étaient d’accord, ils devaient l’être; ils sont rentrés à Berlin, et là il y a eu le 17 juin. Et le 17 juin les a aidés, c’est ce qui leur a permis de survivre. Mais ensuite un nouveau problème s’est posé, Ulbricht a demandé aux Russes d’intervenir et ils ne voulaient pas. Ils ont d’abord dit : «C’est votre affaire.» Et ce n’est qu’en passant par Moscou qu’Ulbricht a obtenu qu’ils interviennent tout de même. C’est, je pense, un tournant dans l’histoire de la RDA, le 17 juin comme la dernière chance de faire une autre politique, manquée par peur de la population et avant tout des adversaires surpuissants de l’Ouest.[C’est moi, B.U. qui souligne] Mais peut- être que ça aussi c’est une illusion. »

Les extraits ci-dessus proviennent de Heiner Müller : Guerre sans bataille. Vie sous deux dictatures. Une autobiographie L’Arche 1996 Pages 110 à 115. Je me suis permis quelques corrections.

Ce que l’on vient de lire constitue la charpente d’un texte à compléter non seulement dans ses dimensions historiques et littéraires mais aussi et surtout théoriques autour de la question sur laquelle butte Brecht.

 

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« L’Allemagne est Hamlet ! »

On trouvera ci-dessous le texte de présentation fait par Jean Jourdheuil de la lecture spectacle qu’il dirige avec les élèves du groupe 41 (2ème année) de l’Ecole Supérieure d’Art Dramatique du Théâtre National de Strasbourg, lecture qui aura lieu au Louvre, les 22 et 23 juin prochains.

Portrait de Ferdinand Freiligrath peint par Johann Peter Hasenclever

L’agencement des textes choisis porte le titre de la première phrase (sans le point d’exclamation) d’un poème de Ferdinand Freiligrath intitulé Hamlet qui commence en effet ainsi :

L’Allemagne est Hamlet ! Grave et muette
Dans ses murs chaque nuit
Erre la liberté ensevelie
Et fait signe aux hommes de guet

Hamlet, ce « vieux rêveur , comme l’écrit Freiligrath, est un texte qui date de 1844, une époque où le rythme du temps était celui de la machine à vapeur. Il traite pourrait-on dire de la question de prendre ou de ne pas prendre parti. Freiligrath y place le poète et auteur dramatique Kotzebue, honni par les étudiants progressistes et assassiné par un étudiant en théologie, dans le rôle de Polonius.

Jean Jourdheuil situe son travail dans un contexte d’absence de curiosité et de relations culturelles entre la France et l’Allemagne et de réveil des clichés. L’époque où un François Mitterrand pouvait s’intéresser à Heiner Müller est désormais très lointaine. Depuis Paul Valéry, c’est l’Europe qui est Hamlet. En France, la tour de garde se situe aujourd’hui du côté du Théâtre du Rond Point à Paris.

L’Allemagne est Hamlet

« On pouvait s’attendre à une apothéose des échanges culturels entre France et Allemagne à l’occasion du cinquantième anniversaire du traité de l’Elysée entre de Gaulle et Adenauer  proclamant la nécessité de l’amitié franco-allemande (1963) et du Tricentenaire de la naissance de Frédéric de Prusse et de Jean-Jacques Rousseau (1712), il n’en est rien. Ces échanges sont actuellement au point mort, marqués par une étonnante absence de curiosité, une formidable indifférence et ignorance. Culturellement et politiquement l’amitié franco-allemande est devenue un « dogme vide » (Huffington Post).

En 1989, pour le Bicentenaire de la Déclaration des Droits de l’Homme, Helmut Kohl était venu à Paris flanqué de Ewald-Heinrich von Kleist et de Manfred Rommel. Aujourd’hui,  rien de tel. Tout se passe comme si les géopoliticiens français ne comprenaient plus rien à l’Allemagne dès lors qu’elle n’est plus divisée. Quant à l’Allemagne, qui a probablement toujours su ce qu’elle attendait de la France en Europe, elle semble considérer que les deux décennies écoulées depuis la chute du Mur l’ont miraculeusement régénérée. Tout naturellement les clichés refont surface.

Le groupe 41 de l’École du TNS a effectué à l’initiative de Jean Jourdheuil en novembre-décembre 2012  un atelier de mise en scène et de dramaturgie sur la pièce de Heiner Müller Vie de Gundling Frédéric de Prusse Sommeil rêve cri de Lessing : deux versions de cette pièce ont été présentées par Alexandre Todorov et Vincent Thépaut. Ce même groupe d’élèves de l’école du TNS présente aujourd’hui au Louvre, sous la direction de Jean Jourdheuil, une lecture spectacle appréhendant l’histoire, la culture et l’imaginaire de l’Allemagne en abordant deux figures, l’une historique Frédéric II, l’autre quasi mythique Hamlet selon la tradition allemande, qui éclairent certains aspects, certaines récurrences de l’histoire et de la culture allemandes. Sans curiosités réciproques l’Europe ne sera qu’un vain mot.

C’est pourquoi nous avons choisi, à partir de l’œuvre de Heiner Müller de décliner deux ou trois thématiques susceptibles d’éclairer l’état des choses autrement que le discours de l’actualité journalistique. Les textes qui seront présentés sont les suivants : deux poèmes du 19ème siècle, l’un du baron (Freiherr) von Zedlitz intitulé « Revue Nocturne »[1] où il est question de la résurrection de la Grande Armée de Napoléon, l’autre de Ferdinand Freiligrath, qui fut un temps l’ami de Heinrich Heine et de Karl Marx, intitulé « L’Allemagne est Hamlet » et des extraits de deux pièces, deux textes singuliers, sarcastiques et tragiques, de Heiner Müller : Hamlet-machine (1977)  et Vie de Gundling Frédéric de Prusse Sommeil rêve cri de Lessing (1976). Heiner Müller écrivit ces deux textes à son retour en RDA après un séjour de 9 mois comme « professeur et artiste invité » à l’université d’Austin au Texas. Il avait alors, miraculeusement, obtenu l’autorisation d’honorer cette invitation. C’était l’époque où il sortait d’un ostracisme de 10 ans dans son pays. Ces deux textes marquent un tournant dans l’histoire du théâtre ; ils sont contemporains de l’entrée des sociétés occidentales dans ce que certains appellent l’ère de la post modernité ».

Jean Jourdheuil, juin 2013


[1] Revue au sens militaire « Die nächtliche Heerschau »
Nachts um die zwölfte Stunde / Verläßt der Tambour sein Grab, / Macht mit der Trommel die Runde, / Geht emsig auf und ab. (A la mi-nuit, le tambour quitte sa tombe, pour faire sa ronde laborieuse).

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Notes berlinoises 2013 (8) : Chausseestraße, direction Wedding

 

A partir du cimetière de Dorotheenstadt et de la maison Brecht, je suis remonté le long de la Chausseestraße en direction du Wedding. Quelques impressions visuelles.

 

1. Le dancing et le bar, deux univers


 

 

2. Pans de Mur pour la décoration


 

Dans les cours intérieures privatives les pans du Mur de Berlin servent d’objets décoratifs.

 

3. Top secret

 

 

 

 

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L’ancien Stade de la jeunesse du Monde, Stadion der Weltjugend, d’abord appelé Stade Walter Ulbricht, construit par la RDA en 1950, a été détruit contrairement à celui d’Hitler rénové. Sur l’emplacement, s’installe le nouveau siège des services de renseignements allemand, le Bundesnachrichtendienst (BND).  A côté, la Stasi fait figure d’un club d’amateurs

 

4. Les friches et le conteneur comme principe architectural


 

 

Dans le fond, l’architecture est un jeu de legos.

 

5. Paraboles et transparence


On approche du Wedding

Il n’y a que les banques pour faire croire qu’elles sont transparentes.

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