Notes berlinoises 2013 (7) : La tombe de Heiner Müller

Comme assez souvent quand je suis à Berlin, je suis allé faire un petit tour au cimetière de Dorotheenstadt dans la Chausseestrasse juste dernière la Maison Brecht.

J’ai eu un petit choc devant la tombe de Heiner Müller en constatant que son nom était à peine encore lisible. Certes, il ne l’a jamais été beaucoup, et peut-être n’est-ce qu’une question d’éclairage, de position du soleil, d’angle de vision, autant de thèmes qui collent avec son œuvre mais j’ai eu un sentiment d’effacement de son nom. On s’imagine que dans les cimetières le temps est immuable. Et bien, non, le temps y passe aussi. A Berlin, tout s’efface de toute façon. 18 ans déjà et/ou à peine ! Pourtant, je ne serais pas surpris de l’apercevoir en sortant d’ici comme à l’époque où nous avions du temps. Mais sans doute s’est-il cristallisé là un autre sentiment celui de l’effacement de ses textes dans les théâtres. On le joue à peine encore. Pour compenser cela, d’ailleurs, la Société Heiner Müller organise des soirées tricot qu’elle appelle les « Lundi Heiner Müller ». Certes, on peut toujours en rêver et se faire son propre théâtre mais un théâtre sans société n’en est pas vraiment un.

Il aurait fallu avoir, à ce moment-là, une blague de prête. Mais lui seul savait en faire à propos de la mort, des enterrements et des cimetières. Selon Alexandre Kluge, Müller disait qu’un enterrement réussi devait être raté. Il disait aussi que c’est une erreur de croire que les morts sont morts.

Une citation m’est venue à l’esprit. Elle est extraite de Bildbeschreibung traduit par Paysage sous surveillance (J.Jourdheuil et JF Peyret) :

….JE T’AI POURTANT DIT DE NE PAS REVENIR QUAND ON EST MORT ON EST MORT,

Cette réplique sonne comme le négatif d’une autre réplique :

« La dernière aventure est la mort
Je reviendrai hors de moi
Un jour en octobre en chute de pluie. »

Nous étions en mai et il faisait exceptionnellement beau.

 

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Notes berlinoises 2013 (6) : Le long de l’East Side Gallery

J’ai déjà évoqué les projets de construction contestés entre l’East Side Gallery, sur les restes de l’ancien Mur de Berlin, et la Spree. Je suis allé voir de plus prêt ce qu’il en est.

Attention travaux !

 

Pans de murs récemment enlevés pour les travaux de construction d’un immeuble de luxe

 

Personne ne s’élève contre la colonisation par la publicité qui sévit ici comme partout ailleurs à Berlin

 

Autre ouverture

 

En passant côté ouest du Mur, on comprend que cet espace entre le Mur et le fleuve aiguise l’appétit des spéculateurs

 

Les travaux continuent

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150 ans du SPD : L’hommage d’Erich Mühsam à la socialdémocratie (1907)


 

Erich Mühsam:

Der Revoluzzer / Le rrrévolutionnaire
(Dédié à la social-démocratie).

Il était une fois un rrrévolutionnaire,
Dans le civil, nettoyeur de réverbère;
Il allait d’un pas rrrévolutionnaire
Avec les rrrévolutionnaires.

Et il criait : « Je rrrévolutionne ! »
Et le bonnet rrrévolutionnaire
Posé sur l’oreille gauche,
Il se sentait rrredoutable.

Cependant, les rrrévolutionnaire marchaient
Au plein milieu des rues
Où d’habitude, sans être gêné,
Il nettoie tous les becs de gaz

Pour les ôter du sol
Ils arrachèrent les becs de gaz
Des pavés de la rue
Aux fins d’en faire des barricades.

Mais notre rrrévolutionnaire
Criait : « Je suis le nettoyeur des réverbères
De ce bon éclairage.
Je vous en supplie, ne l’ abîmez pas.

Si nous éteignons la lumière
Personne ne pourra plus rien voir
Je vous en prie, laissez ces lanternes
Sinon, je ne joue plus. »

Alors, les rrrévolutionnaires rient
Et les réverbères craquent
Et le nettoyeur en s’éloignant doucement
Pleure amèrement.

Alors, il est resté chez lui
Et là, il a écrit un livre
Dont le sujet était
« Comment être rrrévolutionnaire
Tout en nettoyant les réverbères ».

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Notes berlinoises 2013 (5) : Ah oui, Wagner !

Vu un peu partout dans le métro de Berlin

Wagner, l’affaire du moment.

Il naissait, il y a deux cents ans, le 22 mai 1813 – je sais c’était hier- la même année que… Büchner, le 17 octobre.

La Ville de Nüremberg ne veut pas être en reste. Pensez-donc, le nom de la ville est dans le titre un opéra de Wagner, Les maîtres chanteurs de Nuremberg. Dans les villes européennes, les programmateurs culturels sont désormais les offices du tourisme.

Même pas peur du ridicule.

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Notes berlinoises 2013 (4) : De Berlin à Berlin, l’itinéraire singulier d’un comédien dans les Allemagnes

Comme déjà annoncé, le 5 mai 2013, eut lieu à Berlin la remise du prix du théâtre de Berlin à Jürgen Holtz, prix remis par Klaus Wovereit, bourgmestre gouverneur de Berlin, avec les hommages notamment de Klaus-Maria Brandauer, Robert Wilson, Angela Winkler….
On trouvera ci-dessous la traduction du discours prononcé par Jürgen Holz, témoignage de l’itinéraire singulier d’un comédien dans les Allemagnes et d’un pan de l’histoire des théâtres allemands d’avant et après la réunification.
Entre crochets, je me suis permis parfois d’apporter quelques petites précisions en évitant ainsi de les accumuler à la fin du texte en notes de traduction.
Un mot sur la notion de dramaturge. Le rôle de dramaturge est bien plus important dans les théâtres en Allemagne qu’en France. Il désigne un membre de l’équipe théâtrale permanente chargé du travail de compréhension et d’interprétation du texte pour la mise en scène. Il joue aussi un rôle important dans les programmations des théâtres. Il est également chargé de la confection du programme du spectacle.

 

Où finit le passage de témoin ?

Par Jürgen Holtz

Je me souviens : 1995, en été, après douze années d’absence, je retrouvai ma ville qui était à nouveau entière, Christo et Jeanne-Claude venaient d’emballer le Reichstag. Oui, vraiment ! J’avais quitté la ville la première fois pendant la guerre totale, en 1943, en direction de la Franconie, où les nazis étaient aussi nombreux que les grains de sable à la mer. J’étais enfant unique. Ma mère ne put s’empêcher de retourner aussitôt à Berlin auprès du père et de notre logement endommagé de sorte que je suis resté seul chez mes parents nourriciers pour qui je devins un boulet quand le cauchemar prit fin. Là, j’ai appris à feindre, à voler, à mendier. En juin 1945, je suis parti. Retrouver la maison dans Berlin bombardé, détruite par les tirs. A la recherche de mes parents. Je les ai retrouvés, je suis allé à l’école, me suis livré à des trafics, des trocs, des stocks illégaux, j’ai volé. Échouant à l’école, j’eus droit à l’internat sur l’île de Scharfenberg dans le lac de Tegel ; j’en suis parti lorsque Berlin fut divisé et qu’une grande injustice nous eut frappée, nous les élèves internes, une injustice politique ; j’ai quitté Berlin pour la zone orientale où l’on fondait la RDA. 1949. J’y suis resté. J’y ai passé mon baccalauréat qui n’était pas reconnu dans les secteurs occidentaux. J’y ai ensuite été fait comédien à Weimar puis Leipzig. Là, se sont noués des amitiés, des relations, se sont formés des points de vue, des perspectives. J’y ai joué à Erfurt, Brandeburg, Greifswald. HAMLET fut le couronnement de ce parcours. Ce chemin qui avait commencé au cours de ma scolarité passait par la croyance dans la continuité, était redevable au travail en équipe, était marqué par l’espérance. C’est ainsi que je comprenais le socialisme. Conséquence du « Hamlet », j’ai été engagé dans la partie Est de la ville, à la Volksbühne. Y régnait une sorte de socialisme dont Heiner Müller disait « … le socialisme, c’est quand les postes sont distribués ». Si j’avais supporté jusque là les critiques, je voulais continuer à le faire vaillamment. J’ai joué pendant dix-neuf années dans la partie orientale de la ville, Angelo dans Mesure pour mesure de Shakespeare, (Holz [qui signifie en allemand bois] joue comme s’il était en bois, écrivirent les critiques), Jean dans Mademoiselle Julie [de Strindberg] (Bêtise petite bourgeoise et occidentale, écrivirent-ils), Debuisson dans La mission de Heiner Müller (pour 50 spectateurs par représentation et je ne sais pas ce qu’écrivirent les critiques). Je fis encore une lecture de Kleist et, parce que dans cette période j’avais travaillé à Hambourg et Bochum pour Fatzer et La mission, je sus que je n’avais plus ma place dans l’Etat des ouvriers et des paysans. Je suis parti. En 1993, trois années après la Chute du Mur, grâce aux succès de la série télévisée Motzki et ceux de Francfort, avant tout Katarakt de Reinald Goetz, je me suis senti suffisamment fort et en devoir de revenir à Berlin. Tous les théâtres y étaient en ébullition : le Schiller Theater, le Deutsches Theater, le Maxime Gorki, le Berliner Ensemble, la Volksbühne. Mais l’invitation d’aller bientôt au Schiller Theater s’avéra n’être pas une bonne idée quand la maison fut fermée sur décision politique peu après la Freie Volksbühne. Michael Ebert me fit venir deux ans plus tard au Deutsches Theater. J’étais revenu dans ma ville. Heiner Müller mourut. Peu de temps après, Ruth Berghaus. On parlait de cancer du Tournant (Wendekrebs). Thomas Langhoff prophétisait au Deutsches Theater : « vous allez voir ce que vous allez voir ». Et la privatisation s’empara des esprits de Berlin-Est. Gosch réalisa le Prince de Hombourg, j’y ai joué Kottwitz, il mit en scène En attendant Godot, je jouais Estragon puis le Songe d’une nuit d’été, j’étais Puck. Malgré cela, je dus quitter le Deutsches Theater comme tous ceux de plus de 65 ans – « décision du Sénat », nous disait la Direction. Avec le Tournant, la transformation de tout le théâtre allemand avait commencé. Je quittai à nouveau ma ville pour revenir quelques années plus tard au Berliner Ensemble. Changements dus aux engagements ? La première fois, j’avais quitté Berlin sous une pluie de bombes. Je revins. Mon père avait tourné le dos à Schering [Entreprise chimique], travaillait bénévolement, se mit à étudier les beaux-arts à Weissensee. Je me suis retrouvé parmi les étudiants, dans les beaux arts. Lorsque je quittai la ville pour la seconde fois en direction de l’Est, qu’il me fallut décider comment et où je devais vivre, penser, travailler, cela était du à des actes politiques et administratifs qui décrivent une histoire allemande et berlinoise honteuse qui n’était pas due aux crimes nazis mais aux conséquences sur l’Allemagne des conflits d’intérêts des puissances nucléaires.

J’ai mené bien des existences théâtrales. Elles étaient, selon le théâtre, le metteur en scène, la région, si diverses que je pensais parfois ne pas être la même personne qui répétait, jouait. S’opposer, résister à cela revenait parfois à mastiquer des pierres. J’ai laissé derrière moi femmes, enfants, amis, livres lorsque j’ai quitté la RDA, en 1983, et que j’ai commencé à jouer au théâtre à Munich, puis Francfort. Puis à Zürich, à Cologne, à Bochum puis à nouveau à Francfort. Là tout était différent des théâtres de RDA. Franck Bambauer me dit : « nous voulons tous survivre ici ». Beaucoup de peur. Souvent, on mettait en scène trop vite. Il y eut plus de production non achevées, insuffisamment formées, la programmation annuelle toujours trop pleine. La forme d’existence des théâtres, de Hambourg à Munich, était l’organisation permanente de l’état d’urgence interne. Les comédiens venaient toujours avec le texte appris. Trop peu de choses étaient transformées au cours des répétitions. J’en ai vu et vécu des représentations brillantes, belles, intelligentes. Mais pas de communauté, pas de partage. On se fuyait plutôt les uns les autres. Et puis cette peur que je ne connaissais pas sous cette forme. Mais, dans le fond, qu’y avait-il à mettre en commun ? Il y avait là un manque d’épaisseur quand en RDA la pression des grands fonds compressait tout. A Munich, j’ai interrogé Heiner Müller sur la différence entre l’Est et l’Ouest. Il répondit : « Si tu ouvres ta gueule à l’Est, tu vas à Bautzen [prison pour dissidents], là tu peux crier autant que tu veux. A l’Ouest, tu peux crier autant que tu veux, de toute façon personne n’écoute ». Lorsque après douze années je partis de là pour revenir à Berlin, à nouveau au Deutsches Theater, alors que la RDA avait cessé d’exister, beaucoup de ceux qui m’y avaient connu à l’époque ne me connaissait plus et pas seulement en raison d’une si longue absence, mais parce qu’ils ne le voulaient pas. Je ne les connaissais plus moi non plus. Nous étions devenus des étrangers. Après quelques années je me suis fâché avec Langhoff. Au bout de six années, la fin était arrivée, licencié pour raison d’âge, c’est-à-dire sans raison. Je ne voulais pas rester.

J’avais à Francfort, rappelé par Eschberg – après un engagement chez lui riche en évènements – joué Philippe dans Don Carlos chez Jens Daniel Herzog. Il me tira de ma désagréable situation berlinoise et m’emmena à Mannheim. Là à nouveau personne ne me connaissait. Mais je pus continuer à jouer Katarakt. Hasko Weber put avec moi libérer Nathan de la jungle des vieux malentendus entre tolérance et question juive. Je pensais pouvoir faire quelque chose pour la réception des Lumières allemandes. J’espérais fournir la preuve de mes capacités à jouer à Berlin. Entre temps, j’avais atteint l’âge de 75 ans. Devais-je m’arrêter ou me mettre à mendier ? Thomas Langhoff avait mis en scène Tell à Mannheim et m’engagea pour Viol de Botho Strauss au Berliner Ensemble. J’y fus aussi pour Wallenstein [Schiller] Avec l’Opéra de quat’sous vint à nouveau un contrat permanent. Ce qui fut inventé à Mannheim avec Carlos, Nathan, personne n’en était demandeur à Berlin. A Mannheim non plus. Ne s’est-il rien passé ? Comment se fait-il que ce qui est beau, remarquable, disparaisse sans laisser de trace ? Que reste-t-il dans les têtes ? Y a-t-il des souvenirs ? Ou bien tout cela entre-t-il dans la centrifugeuse videuse de sens ?

Pour le 80ème anniversaire de Fritz Marquardt, à la Volksbühne, Herrmann Beyer et Dieter Montag avaient présenté en son honneur quelques extraits de ses mises en scènes de textes de Heiner Müller. Quel sérieux, quelle force, quelle actualité, cela avait soudain. J’ai du pleurer. Et, mon Dieu, pas par nostalgie mais par tristesse et actualité.

Ce que je raconte est l’histoire d’absences. Et des peines dues à ces absences. Peut-être que nous ne nous intéressons pas les uns les autres ? Ou alors, ce que nous avons à nous dire sur nous-mêmes nous apparaît-il comme étant déjà des mensonges et de l’esbroufe ? Ou est-ce simplement le désintérêt craintif, l’arrogance de la médiocrité. Dans l’espace public allemand, on prêche le scepticisme. Une vieille histoire toujours terriblement nouvelle. Le scepticisme est notre croyance moderne. Nous n’avons plus confiance en personne ni en rien. Nous ne croyons pas l’Europe, ni l’Etat, ni la police. Et les hommes politiques ? Ils savent qu’ils n’ont pas confiance les uns dans les autres. Pourquoi devrions-nous, nous, leur faire confiance. Nous nous y complaisons. Nous ne croyons pas non plus au théâtre. Nous n’allons pas danser avec lui, nous dansons sur lui. Les plus grands défaitistes sont les metteurs en scène car, dans les universités, ils apprennent avant toute chose que les pièces de théâtre ne valent rien. Ou est-ce que je me trompe ? Une grande incrédulité, une aversion, un dégoût accueille ce que nous faisons. Cette incrédulité, cette aversion, ce dégoût sont comme une maladie contagieuse. Elle dévore les talents si nous passons notre temps à nous convaincre que de toute façon cela n’ira pas. Le théâtre en RDA a été enseveli ; Schleef, à qui je dois beaucoup, était probablement son dernier prophète.

Des acteurs de théâtre célèbres ont réussi à enthousiasmer le public de cinéma. De célèbres acteurs de cinéma ont emballé le public de théâtre. Cela se passait autrefois. L’époque où les troupes de théâtre ne cessaient de grandir. On avait du temps et de l’argent. Le théâtre donna au film, plus tard à la télévision, ses forces. L’âge d’or de la guerre froide ! A l’Est encore plus qu’à l’Ouest ! Après la réunification, les théâtres allemands subirent une telle cure d’amaigrissement qu’ils avaient besoin pour eux-mêmes de toutes les forces qui leur restaient. Les textes aussi ont maigri. L’échange de forces s’est tari. Aujourd’hui, nous avons une complète séparation des medias visuels et du théâtre. Pourtant, la télévision allemande étend sont règne à l’intérieur des théâtres.

Dans de plus en plus de petites villes, les habitants se battent avec énergie pour le maintien de leurs théâtres. Ils luttent pour la préservation de l’espace culturel que leur dérobe la culture de masse des medias.

La télévision ne cultive pas un langage du quotidien. Le quotidien, elle le voit aussi peu qu’elle ne voit la misère ou les grands problèmes. On s’en aperçoit quand elle regarde le quotidien, la misère et qu’elle utilise le langage de la rue. Les medias fabriquent des duplicatas qu’ils présentent comme la réalité avec une telle densité que chacun considère cette apparence et ses produits virtuels comme la réalité qu’il faut prendre comme s’il s’agissait de l’original, de l’art et de la nature. L’imitation s’assujettit le beau. Elle impose son exigence de crédibilité aux théâtres qui n’ont pas besoin de cette crédibilité pour être crédibles. La langue au théâtre est en voie de disparition. C’est la disparition du gestus, de l’art, la disparition du théâtre.

Ma vie théâtrale a connu trois commencements. Le premier en 1952 lorsque je me rendis à Weimar pour y réussir mon examen d’entrée à l’école d’art dramatique avec, de Büchner, le monologue de septembre de Danton [Acte II scène 5]. Je n’avais pas vraiment cru pouvoir être reçu. La seconde fois, ma vie théâtrale commença à Greifswald lorsque je répétais et jouais Hamlet. Réussite et renommée. Dans toute la RDA. Lorsque au Deutsches Theater, les vieux comédiens m’ont serré la main, qu’Ernst Bush me fit saluer, j’eus l’impression que ma vie théâtrale commençait une troisième fois. Les anciens issus de la grande tradition du théâtre d’acteur, tradition politique aussi, m’avaient-ils admis parmi les leurs ? Et passé le relais, transmis la responsabilité, la mission de porter plus loin la tradition de la langue, la tradition politique, de Lessing à Brecht ? Je voulais être, jouer comme Ernst Busch, Hélène Weigel, d’une manière générale comme les grands prédécesseurs. C’était cela mon relais. Quelques années plus tard, en 1970 déjà, l’immobilisme artistique installé par des administrateurs extérieurs s’est emparé du Deutsches Theater, Besson partit pour la Volksbühne, Dresen disparut, [Klaus] Wischnewski, dramaturge en chef s’en alla. Les anciens moururent. Après avoir joué pour la 300ème fois Commis d’office [de John Mortimer] à la Petite comédie de Hans Anselm Pertens, je ne pus résister aux sirènes de Heiner Muller et Ruth Berghaus au Berliner Ensemble. Mais mon relais ? J’avais, en 1974, abandonné mon activité d’enseignant à l’Ecole d’art dramatique parce que je voulais apprendre à nouveau moi-même. En 1975, pendant les répétitions de Mademoiselle Julie, j’ai vu à la télévision occidentale La mouette mise en scène par Peter Zadek. J’ai vu soudain de la liberté que je n’avais pas. Liberté, comment jouer avec sincérité ? Sans donner le change ? J’étais hors de moi. Je m’en suis ouvert à Schleef. Il répondit en bégayant : « nous sommes des estropiés, nous devons jouer les estropiés ». L’expulsion de Wolf Biermann survint l’année suivante, 1976. Le Parti tenta d’améliorer sa situation en délivrant des visas de 10 ans aux membres de l’intelligentsia qu’il n’aimait pas. Pour ceux qui partirent, c’était le grand large dont nous avions si peur en RDA. Pour moi la disparition de ceux auprès de qui j’avais appris fut une catastrophe absolue (le plus dur pour moi fut la disparition de Einar Schleef). Beaucoup rirent et restèrent indifférents, d’autres saisirent leur chance.

(La liberté de l’homme n’est pas la fin de l’administration de la misère)

Et maintenant ? Je reçus une invitation d’Ivan Nagel à Hambourg. Pour jouer Fatzer chez Karge/Langhoff. Culture et Brecht export. Je suis resté onze mois à me trimbaler à l’Ouest. Je suis rentré dans le trou noir. J’ai répété La construction [Heiner Müller] chez Marquardt, LA MISSION chez Heiner Müller et Ginka Tscholakowa, sa belle femme bulgare. Grand succès pour 50 spectateurs par représentations, plus n’étaient pas autorisés. Avec la « mission », je commençais à deviner ce qu’il en est des MISSIONS, des relais, des continuités. Le théâtre de la RDA s’était gavé de l’examen attentif des mêmes, de la question sociale, de la misère, de la question de classe. Mon bâton de relais était-il resté coincé là dedans ? Après La déplacée, La construction, La mission, il n’y eut plus de travail pour moi dans le deuxième Etat allemand. La conception socialiste de l’art dramatique s’est détachée de l’Etat réellement existant. Il l’a congédiée. Passer le relais ? Comment ? Où ? Lorsque dans la nuit, après la dernière représentation de La construction, en juin 1983, je quittai Berlin, j’avais des raisons personnelles impossibles à réguler autrement. Mais je suis parti en vaincu. J’avais perdu ma guerre dans la guerre froide après la guerre. Mon espoir, je le voyais dans les théâtres occidentaux de langue allemande. Je pensais que nous, les séparés de la RDA, nous pourrions prolonger notre travail avec nos amis de l’Ouest. N’y avait-il pas une gauche culturelle allemande ? Mais l’indignation contre nous, venus de l’Est, en particulier contre Einar Schleef et ses mises en scène de Mères [d’après Eschyle et Euripide], Avant le lever du soleil [Gerhardt Hauptmann], Les comédiens [Pièce de Einar Schleef] à Francfort fut de principe dans la gauche ouest-allemande. C’était l’indignation contre le caractère brutal, primitif de ce qui venait de l’Est. Dont ils nous rendaient responsables au lieu d’en rendre responsable les circonstances. Je me mis à douter du passage de témoin, du continuum. De même que nous nous sommes sentis obligés de transporter à l’Ouest nos concepts dans lesquels tout était politique après le piège Biermann, nous les avons perdus dans le monde. Avec la réunification, toute la tradition théâtrale de Gerhardt Hauptmann sinon de Lessing même toucha à sa fin. A l’Est comme à l’Ouest. La thérapie cellulaire Frisch de la RDA dans les années 1970-1980 n’y changea rien. Qui la comprend encore aujourd’hui ? Qui la défend aujourd’hui sur une scène ? Est-ce seulement possible ? Car cette « transmission » avait mené de Lessing à Hauptmann, les deux à Marx et Brecht pour gérer théâtralement « la misère sociale des masses ». C’est cela qui était terminé. C’est cela qui était à bout, épuisé. Avant la seconde guerre mondiale, la Seconde Internationale avait failli. Sous la République de Weimar déjà, la société de classes avait pris fin. La Volksgemeinschaft [Communauté reposant sur le mythe de la race] des nazis était déjà la société de masse allemande. La RDA a fêté après la Seconde guerre mondiale les classes disparues. L’Ouest inventa le partenariat social. Heiner Müller prophétisait après le Tournant : « Maintenant, il va falloir nous mettre à faire de l’Art ! ». Mais, qui sait ce que c’est, ai-je demandé.

Les théâtres en Allemagne ont été et sont des survivances féodales. Brecht avait des élèves qui apprenaient chez lui. Il est passé de mode de faire son apprentissage auprès des maîtres de la mise en scène. J’avais un metteur en scène qui n’avait pas appris la mise en scène mais la physique (Adolf Dresen). Lorsque j’étudiais à l’Ecole supérieure d’art dramatique, il y avait autour de nous tellement d’étudiants en dramaturgie autour de notre petite classe de comédiens que je pensais qu’il en fallait toujours deux pour en traîner un de nous à travers la scène. Bunraku de dramaturges. Brecht avait proclamé le théâtre de l’ère scientifique. Depuis lors, les théâtres ont été sortis de leur univers d’expériences par les universités. Et maintenant que les dramaturges ont appris à googler, ils bousillent toujours plus profondément notre travail d’artisans du théâtre. Et écrivent les livres de recettes sur la manière dont nous pouvons copier les films et les romans pour accéder au statut d’auteur. Vous le voyez, le plagiat est un modèle d’affaire et non plus une faute morale. Ce ne sont pas les comédiens ni les metteurs en scène mais les dramaturges qui imposent le « théâtre de l’ère scientifique », qui transforment les théâtres à leur avantage. Ce n’est pas une bonne chose pour le drame et la dramaturgie. Car elles subiront la contrainte de se muer en agences, comme cela est déjà chose faite dans les rédactions de la télévision et de la radio. Elles vivent avec leurs théâtres sans aucun doute avec leur temps mais elles volent au théâtre la capacité de lui « tendre le miroir » (Vous voyez comme le plagiat flotte dans l’air que nous respirons) L’homme dans l’ascenseur dans La mission de Heiner Müller ne peut accomplir sa mission, celui qui doit le missionner, le Chef s’est probablement tiré une balle dans la tête, personne n’a entendu le coup de feu, l’homme monte de plus en plus haut, depuis longtemps sans la compagnie d’autres hommes, la porte de l’ascenseur s’ouvre ; il se trouve dans un grand espace désert d’un haut plateau inconnu. Il est libéré de sa mission, libéré de son auto-rapetissement entre mission et récompense, congédié dans les hautes sphères de la liberté. Je ne savais pas que le monde était si grand. Lorsque je suis sorti, je l’ai compris peu à peu. Le relais ? C’est moi. Est-ce moi ? Ma vie de comédien s’est avéré être une tentative d’aller vers moi-même.

[ Suivent des remerciements à tous ceux dont les rencontres ont constitué des moments, importants, à ceux à qui il doit le prix qui lui a été décerné, à sa femme…..]

Pour finir afin de vous redonner de l’air et du mouvement, une blague : Un homme se présente au directeur du cirque en lui disant, j’ai une chouette proposition à vous faire. Suspendez une grosse boule au sommet du cirque puis remplissez la piste à ras bord de merde. Ensuite vous détachez la boule qui tombera dans l’arène … Stop, stop, dit le directeur du cirque, le public va être éclaboussé …. Oui dit l’homme. J’apparaîtrai alors. Tout en blanc.

Jürgen Holtz
Berlin 5 mai 2013
(Traduction : Bernard Umbrecht)

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Notes berlinoises 2013 (3) : Beckett à Berlin

Samuel Beckett a passé six mois en Allemagne en 1936/37. Dans une des ses lettres, il décrit Berlin comme un « sphinx bavard »

Tell Halaf : Petit Orthostat, Basalt. Sphinx ailé mâle. Image tirée de "Essays in ancient civilization presented to Helene J Kantor"

« … . Berlin m’apparait comme un sphinx bavard qui, mise à part l’inconséquence de son apparition, ne pose aucune énigme. Un sphinx mâle[1], oui un sphinx à barbe comme on peut l’admirer au musée Tell Halaf [2]. Le lion est associé à l’avenue Unter den Linden, l’homme à l’Ile aux musées, les ailes sont formées par le ciel, leurs combats mortels qui certes ressemble plus à une accolade, sont aussi belles que celle à vrai dire plus furtives que l’on peut voir après les jours les plus noirs depuis O’Connell Bridge à Dublin. De cette façon on ne peut préciser ses impressions sauf à leur ôter l’essentiel. Je comprends par exemple très bien combien il serait facile de se laisser porter à l’enthousiasme par Berlin ; et je sais pourtant avec quel sentiment de satisfaction, comme s’il s’agissait d’une fuite, j’entreprendrai dans 15 jours mon voyage à Dresde. … »

Samuel Beckett 31/12/1936 Lettre à Günter Albrecht à Hambourg (Extraite du recueil de lettres parues aux Editions Suhrkamp 2013 traduite de l’allemand par Bernard Umbrecht)

[1] NDT Une exception
[2] NDT Lors de fouilles archéologiques en Syrie, Max von Oppenheim avait découvert des dieux, animaux et êtres fabuleux en pierre qui décoraient, au début du 1er millénaire av. J.-C., le palais d´un souverain araméen. Il ramena les trouvailles les plus spectaculaires à Berlin. Ces dernières furent présentées au public en 1930, dans une ancienne usine aménagée en musée.

Source de l’image (Pdf)

Sur Samuel Beckett, voir le témoignage de son éditeur allemand Siegfried Unseld chez Laurent Margantin

Voir, sur Berlin 2013,  les notes précédente 1 et 2

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Notes berlinoises 2013 (2) : une prison rose bonbon !

Quand j’ai pris cette photographie, je me suis demandé si l’image n’exprimait pas dans le fond le rêve secret des Allemands d’un farniente dans un décor de pâtisserie en plastique rose. Mais ce n’est pas le décor définitif, les travaux étaient encore en cours. Pourtant, parfois, les transitions sont plus révélatrices que le résultat final.
A proximité de l’Alexanderplatz, à qui décidément on en fait voir de toutes les couleurs, est installée grandeur nature la « maison de rêve de Barbie », poupée anorexique, icône du capitalisme consumériste. Son installation précède de quelques semaines la visite de Barak Obama à Berlin.
Ce lieu où se façonnent les esprits et les comportements se visitera à partir du 15 mai 2013 prochain.
Les enfants et leurs parents pénètreront dans cette prison rose munis d’un bracelet électronique équipé d’une puce RFID, instrument de « personnalisation » des rêves préformatés par le marketing.
Devant une telle laideur, on se demande où sont ces arts et cette culture dont on fait si grand cas à Berlin.
Je n’y crois guère mais les Berlinois rendraient un grand service à l’Europe en boycottant massivement dès le départ cette colonisation du continent par le rose bonbon.

 

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Notes berlinoises 2013 (1) Bienvenue !

 

Berlin-Gare centrale : BOMBARDIER BIENVENUE A BERLIN

Sans commentaire.

Voir nos précédentes notes berlinoises

 

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Jürgen Holtz Prix du Théâtre de la Ville de Berlin 2013

Ach, wie gut dass niemand weiß, dass ich Rumpelstilzchen heiß!

Ah ! qu’il est bon que nul ne sache
Que je m’appelle Outroupistache

Heute back ich, morgen brau ich,
Übermorgen hol ich der Königin ihr Kind

Aujourd’hui au four, demain, je brasse,
Après-demain, j’enlève l’enfant à la reine

Pourquoi évoquer le conte pour parler de Jürgen Holtz, grand comédien allemand, à qui  le Maire de la Ville remettra le prix du Théâtre de Berlin , dimanche 5 mai 2013 ?

Tout simplement parce qu’au cours d’une longue conversation que nous avions eue en 1997, il avait évoqué cette atmosphère qui a imprégné son enfance au point de penser avoir rencontré ce Rumpelstilzchen, nain tracassin, et de l’avoir joué et rejoué. Ce Rumpelstilzchen qui, selon Ernst Bloch, qui enseignait encore à Leipzig quand Jürgen Holtz y étudiait le théâtre, « habite là où les loups et les renards se disent bonjour ». Alité souvent pour des bronchites chroniques, sa maman lui lisait tous les soirs un conte. Celui-ci en particulier l’avait marqué. L’univers des contes lui est resté présent. Il y puisse de l’énergie pour dénouer le carcan des certitudes qui nous habitent. On en trouve la trace dans le carton d’invitation à la cérémonie du 5 mai avec cette citation de Hölderlin :

« Le cœur joyeux de mon enfance ne vieillit pas encore »
(Extrait de A Neuffler de Friedrich Hölderlin)

Avec ce dessin de Jürgen Holtz :

Et cette autre citation :

« Car, aussi longtemps que nous vivons, nous restons les mêmes enfants »
(Jürgen Holtz)

C’est cet esprit d’enfance toujours là qui provoque son rire. C’est pour cette raison sans doute, qu’il est désarmant. Mais ce n’est pas la seule source. J’ai toujours été frappé aussi par son insatiable curiosité et sa soif de savoirs les plus divers, ce besoin constant d’élargir son horizon.

Son rire est cependant aussi fait d’expérience. Son sourire a l’air de dire : à moi, on ne la refait pas. Cette expérience est celle d’une sorte d’itinéraire de compagnonnage qui l’a mené à Weimar, Leipzig pour l’apprentissage du métier, (1953-1955) à Erfurt, premier engagement dans Les brigands de Schiller, au Nord, à Greifswald, enfin Berlin à la Volksbühne, au Deutsches Theater et au Berliner Ensemble où il est à nouveau aujourd’hui après un périple que l’a conduit en Allemagne de l’Ouest. Il a quitté la RDA en 1983. Cette année là, j’ai perdu sa trace – il avait coupé les ponts – avant de le retrouver à Francfort où il travaillera une dizaine d’années entre 1985 et 1995 après être passé par Munich. On le verra aussi à Mannheim dans le rôle de Nathan le sage de Lessing ou dans Don Carlos de Schiller. Mais revenons à Berlin. La première fois que je l’ai vu jouer, c’était dans une pièce de Heiner Müller au répertoire de la Volksbühne. Il y avait Die Bauern (Les Paysans la version remaniée de la Déplacée interdite), Der Bau (La construction).

Et surtout La mission que j’ai vu et revu je ne sais combien de fois. C’est là que j’ai vraiment fait sa connaissance. Il y jouait Debuisson, rôle qu’il a repris dans la mise en scène au Théâtre de Bochum. Les deux fois les mises en scène étaient de Heiner Müller en collaboration avec Ginka Tscholakowa pour celle de Berlin. Il sera Fatzer dans le montage de textes de Brecht mis en scène à Hambourg par Manfred Karge et Mathias Langhoff en 1978.

L’expérience de Jürgen Holtz est aussi celle des conflits avec le pouvoir. Cela a commencé très tôt, dès le lycée, où il fut exclu de l’organisation de jeunesse FDJ pour relation amoureuse illicite jusqu’aux mises en scène interdites. On n’imagine pas l’affligeante médiocrité culturelle des dirigeants du pays. Il avait pourtant opté pour la RDA pour devenir comédien, contre l’avis de son père car au moment du choix ses parents habitaient Berlin-Ouest. Il a toujours tenté d’échapper à ce qu’il appelle « le théâtre de concierges ». C’est Jürgen Holtz qui, en 1973, dans un texte célèbre Le dingo et la bouteille, dans la revue Sinn und Form donnera la réplique au philosophe Wolfgang Harich qui, avec son fusil à tirer dans les coins, avaient  pris à partie la « charlatanerie occidentale » en prenant pour exemple l’adaptation de Macbeth par Heiner Müller.

Jürgen Holtz a travaillé avec un grand nombre de metteurs en scène : Benno Besson, Ruth Berghaus, BK Tragelehn, Werner Schroeter, Jürgen Gosch, Einar Schleef. J’en oublie. Après la réunification, il retrouvera le théâtre à Berlin dans Wallenstein et Œdipe à Colone avec Peter Stein, et bien sûr Bob Wilson avec qui il sera la Reine Elisabeth dans Les sonnets de Shakespeare, Peachum dans l’Opéra de Quat’sous, Schigolsh dans Lulu etc….

Jürgen Holtz : la reine Elisabeth dans « les sonnets » de Shakespeare. Mise en scène Robert Wilson

A 81 ans, Jürgen Holtz est né en 1932, j’allais oublier de le préciser, il étonne encore bien des soirs sur les planches du Berliner Ensemble. « Je ne suis pas un retraité. Je suis un artiste », dit-il. Sa façon de se mettre en retrait, de prendre une autre respiration est de cultiver son jardin.

Peut-être que Rumpelstilzchen était aussi jardinier.

Il y a aussi le cinéma avec Margarethe von Trotta, le rôle de Kautsky dans son film Rosa Luxembourg ; le cinéaste israélien Ari Folman « Made in Israel », la télévision dans la série Motzki, d’innombrables lectures à la radio.

Jürgen Holtz s’était vu nommé comédien de l’année en 1993 par la revue Theater Heute. C’est au tour du Sénat de Berlin. Voici le texte de la motivation du jury :

Roi du monologue

« En Jürgen Holtz nous honorons un ronchon, quelqu’un qui parachève avec finesse les idées en parlant, un roi du monologue. Il est hostile aux troupes qui selon lui gardent des vaches sacrées dans des étables insalubres en entretenant des maladies contagieuses telles que l’orgueil, la pédanterie, la suffisance et la xénophobie. Parfois, pourtant, il donne l’impression, quand on le voit jouer, qu’il voudrait à lui tout seul rendre la qualité rare d’une vraie troupe – une conscience élevée de convention et de singularité attractive. Il s’exprime à partir d’une forme de compréhension sur scène devenue rare. C’est un acteur souverain qui règne à travers des pauses, des dilatations de rythmes et des modulations d’affects. Il peut être charmant. Mais il ne se propose jamais. En Jürgen Holtz, nous honorons quelqu’un qui est devenu célèbre parce que les spectateurs ont très vite remarqué contre quoi il est : Moritz Tasso[1] , Motzki[2], Créon[3]. En le regardant plus longuement, l’observateur ressent indubitablement pour quoi Jürgen Holtz s’engage. C’est un enthousiaste. Il est, pour reprendre ses propres termes, «inspiré par les dieux ». Art et politique sont pour lui inséparables. Non au sens d’avoir toujours raison mais en termes de conflit avec les ambivalences du pouvoir. Sans risque pour la vie et la pensée son métier lui serait anodin. Il a fuit devant la censure de la RDA, devant la routine des entreprises, il lutte contre l’absence de dimension onirique dans son propre travail. Il nous montre ce qu’est le théâtre d’acteur au sens noble du terme empreint de spiritualité protégé et libéré à la fois par un accord collectif »

[1] Personnage de la pièce de Peter Hacks Moritz Tasso, un individualiste qui veut déclencher à lui tout seul une révolution radicale. Mise en scène à la Volksbühne par Benno Besson en 1965.

[2] Dans une série télévisée de 1993, Jürgen Holtz interprète Friedhelm Motzki, un habitant de Berlin Ouest  grincheux vivant dans la peur d’une invasion de l’Est après la chute du mur. Dans Goodbye Lenin, il joue le rôle inverse.

[3] En 2010, dans Oedipe à Colonne mis en scène par Peter Stein au Berliner Ensemble.

Difficile de terminer sans évoquer ses indéfectibles soutiens : sa femme Katharina et sa fille Sophie.

La remise du prix aura lieu le 05. Mai 2013, 12:00 Uhr Haus der Berliner Festspiele

 

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L’inconsistante alternative du « tea party » des professeurs

La « une » du « Spiegel » : « Le mensonge de la pauvreté. Comment les pays européens en crise cachent leur patrimoine ».

C’est dans le contexte obscurantiste, alimenté par une étude de la BCE, qu’illustre cette « une » du Spiegel qui sous-entend un non seulement ils sont fainéants mais ils planquent leur pognon, que s’est créé dimanche dernier, 14 avril 2013, à six mois des élections législatives, un nouveau parti qui a pris pour nom : « Alternative pour l’Allemagne ».

Depuis quelque temps, on sent que quelque chose se cherche du côté de la droite de la droite allemande. Et ce n’est pas la première tentative du genre. Il y a eu, par exemple, la création du Parti des Electeurs libres (sic) qui a réussi une percée au Parlement du Land de Bavière. L’actuel président du nouveau parti, Bernd Lucke en faisait partie et on retrouve dans les deux cas les mêmes inspirateurs. Parmi eux Hans-Olaf Henkel, ancien président de la Confédération patronale de l’industrie allemande et pourfendeur de l’euro, que Klaus Harprecht n’hésite pas à qualifier de « pendant allemand de Le Pen », version peinte en bleu marine. Car tout ce beau monde fait bon chic bon genre et exprime sa xénophobie les lèvres pincées, tout en s’offrant un petit frisson de politiquement incorrect. Un tea party à l’allemande, qui pratique une monétarisation de la démocratie et de la citoyenneté dénonçant la « camisole des partis » de l’establishment (en Allemagne on parle du cartel) et leur « police du langage », « l’EURSS » (l’Union soviétique européenne, qui fonctionne comme l’équivalent de l’UMPS du Front national), de la « dégénérescence du parlementarisme ». Bien sûr, ces gens là « ne font pas d’idéologie », ils pataugent dedans. Ils ne sont « ni de droite ni de gauche », ils sont le « parti du bon sens ». J’ai repris là quelques expressions applaudies debout lors du Congrès fondateur de l’Alternative pour l’Allemagne dans un hôtel de Berlin. Assemblée d’hommes quinquagénaires, beaucoup de professeurs d’économie des universités, des représentants du capitalisme entrepreneurial familial, beaucoup d’anciens adhérents des partis de la coalition gouvernementale et quelques néonazis infiltrés du NPD qui tenait à avoir un pied dedans.

Bien sûr, rien n’indique que cela marchera cette fois plus que les précédentes. Ils ont actuellement le vent en poupe et l’on sait les Allemands nostalgiques de leur symbole identitaire perdu, le DM (Deutschemark). Cette régression identitaire est instrumentalisée pour la poursuite de la révolution conservatrice. En arrière plan, se trouve en effet une boite à penser, la bien nommée société Friedrich Hayek

Mais quelque chose me fait penser que c’est à prendre au sérieux.

En occupant le mot alternative pour le dévoyer dans un contexte de There is no alternative aggravé dont ils dénoncent le suivisme, les professeurs de ce tea party à l’allemande jouent un jeu dangereux. Car l’alternative qu’ils proposent est inconsistante : faire de la zone euro le bouc émissaire d’une crise qu’ils ont vécu pour beaucoup comme membre des partis de la coalition de Mme Merkel. Cette prétendue alternative est couplée au nationalisme, c’est une « alternative pour l’Allemagne ». Pour le bloggeur Christian Schaeffer, nous avons à faire à un «  national-libéralisme intellectuel »

Tout cela est encore en gestation.

Voici un petit aperçu de la bouillie programmatique. Si le nouveau parti est présenté comme anti-euro, on notera aux revendications qui figure en tête du mince programme de trois pages que ce n’est pas sans ambigüité :

« Nous demandons la dissolution ordonnée de la zone euro. L’Allemagne n’a pas besoin de l’Euro. L’euro est dommageable pour les autres pays ».

Deuxième phrase

« Nous demandons la réintroduction des monnaies nationales ou la création d’alliances monétaires plus petites et plus stables. La réintroduction du D-Mark ne doit pas être taboue »

M’est avis que l’on devrait pouvoir être plus clair.

Dans un entretien à Focus-online, Bernd Lucke, présenté comme le « rebelle » anti-euro, précise que pour lui l’euro n’est pas la bonne monnaie pour un territoire aussi grand et aussi économiquement disparate. Dans un premier temps, il souhaite que la Grèce, Chypre, l’Italie, l’Espagne et le Portugal, « probablement aussi » la France sortent de l’euro. Mais il trouverait bien aussi de créer une zone monétaire entre l’Allemagne, la Finlande, les Pays-Bas et l’Autriche.

Tout le monde ne mérite pas l’euro. On retrouve dans d’autres domaines cet inégalitarisme. Par exemple dans le domaine de la démocratie. Un autre bloggeur, sociologue, Andreas Kemper, fait observer que Konrad Adam, un fieffé réactionnaire qui vient d’être élu à la direction de ce nouveau parti joue avec l’idée qu’il faudrait peut-être supprimer le droit de vote pour les chômeurs et les retraités qui vivent de subsides de l’Etat et qui trop nombreux pèsent négativement sur la politique. Les faibles ont trop de poids politique dans nos démocraties, telle est la thèse. Dans le fond seule la propriété garantit la citoyenneté et il faut protéger l’élite de la démocratie. Le même considère qu’il n’y a « pas de redistribution scolaire » et mène une attaque en règle contre la pédagogie et l’égalitarisme tablant sur un retour de l’autorité du maitre et le rôle éducatif de la famille. (Cf. Wer soll wählen ? Die Macht der Schwachen. Qui devrait voter ? Le pouvoir des faibles)

Considérer que la question de l’euro est la seule question de la crise qui détermine tout le reste constitue une fausse base qui mène à une fausse alternative. Celle d’un économisme financier extrémiste qui est en ceci particulièrement dangereux qu’il occupe et dévoie l’idée même d’alternative

A suivre donc…

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