Prix Max Jacob de poésie étrangère pour Volker Braun

Volker Braun

A l’occasion de la parution de son choix de poèmes, Le Massacre des illusions, à L’Oreille du loup, en 2011, traduit par Alain Lance et Jean-Paul Barbe, Volker Braun a reçu le 8 février
dernier le Prix Max Jacob de poésie étrangère. Nous publions ci-dessous le petit discours de remerciement du récipiendaire, petite évocation vivante d’échanges franco-allemands. Merci à Alain Lance

Bonjour, bonsoir Max Jacob

Cher monsieur Orizet, cher monsieur Khoury, mesdames et messieurs du jury,

Si, selon Apollinaire, la caractéristique du poète est de se laisser sans cesse surprendre, c’est ainsi que je me trouve devant vous : surpris et ravi par la décision de votre jury. Je vous remercie de m’avoir accordé le Prix Max Jacob de poésie étrangère pour notre livre Le Massacre des illusions.

La perception de mon travail en France, je la dois à ce qu’ont accompli depuis de longues années mes traducteurs Alain et Renate Lance et Jean-Paul Barbe. Ils me permettent une deuxième existence dans une autre et magnifique langue.

Mon écriture fut de bonne heure marquée par la tradition de la poésie française, comme en témoigne cet essai sur Rimbaud que j’ai écrit. Faire la connaissance de Philippe Soupault et me lier d’amitié avec les poètes d’action poétique furent des circonstances heureuses de ma biographie.

Un prix renommé a avant tout le noble objectif de rendre hommage à celui dont il porte le nom.

Max Jacob fut peintre et poète, un passeur entre des sphères d’existence et des périodes artistiques. Montmartre et le silence du couvent, la modernité et le mysticisme, l’intériorité et le fantastique : son œuvre est un Laboratoire central. Il a partagé une chambre avec Picasso et il est mort au camp de Drancy.

Son ami Apollinaire fut suspecté d’avoir volé la Mona Lisa – si immédiate semble la relation qu’entretient le poète avec la réalité, mais il ne la dérobe pas vraiment, il lui restitue les images, plus lumineuses, plus palpables, substantielles. C’est ainsi qu’elles perdurent.

J’ai lu pour la première fois Max Jacob dans l’anthologie réalisée par Enzensberger, Le Musée de la poésie moderne. Max Jacob a également prodigué de délicats conseils, que j’ai ignorés, et c’est plein de remords que j’en citerai un :

« Et ceci est le plus important : une œuvre ne vaut pas par ce qu’elle contient, mais par ce qui l’environne. Il faut que les mots Bonjour ! Bonsoir ! soient environnés par une immense philosophie de la nature, de la société, de l’astronomie, de la métaphysique, etc. C’est le secret des grandes œuvres. C’est aussi le secret des humbles chansons qui résument un peuple et son histoire. »

Bonjour, bonsoir Max Jacob.

Volker Braun

Je propose que l’on serve à Volker Braun une bonne douzaine d’escargots tout chauds (en souvenir de la soirée du 27 novembre 1979).

Et comme Il n’y a pas  meilleur hommage que l’on puisse rendre à un écrivain que de le lire, voici un poème tiré du livre Le Massacre des illusions

L’utopie

Elle n’a rien de mieux à faire que rien
Son boulot c’est la survie, au jour le jour
Figure fantôme au chômage, surgie du futur
Chantant à Soho ! Couchée sur des roses ! Un rêve diurne
De la marche verticale au cordon ombilical
D’une bière en boîte. LE PROGRÈS RÉSIDE
DANS LA CATASTROPHE. Il y a donc de l’espoir
Pour la lèpre. C’est une danse au matin
Avec l’âme du peuple, grands magasins incendiés
Elle, la réprouvée, n’a rien d’autre à faire que du mieux

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Celui qui part, celui qui vient

Le château de Bellevue, résidence des présidents de la république allemande, en hiver

Commençons par une plaisanterie – la suite est un peu moins gaie – et relevons que le soutien de la chancelière allemande n’est pas pour un président de la République une garantie de pouvoir perdurer. Trois présidents de la République en deux ans, sous le gouvernement d’Angela Merkel, c’est un record absolu.

Le premier Horst Köhler, ancien directeur du FMI, avait démissionné parce qu’il n’avait pas supporté le flot de critiques qu’il a du essuyer pour avoir déclaré que les soldats allemands étaient en Afghanistan et susceptibles d’intervenir ailleurs pour défendre les intérêts économiques de l’Allemagne. Ce sont des choses qu’on sait mais que l’on tait. Le second, Christian Wulff, imposé par Angela Merkel (contre Joachin Gauck), a été contraint à la démission après s’être emmêlé les pieds dans une affaire de prêt immobilier d’un montant de 500.000 euros mis à sa disposition par un homme d’affaire à l’époque où il était ministre président du Land de Basse-Saxe.
Je reviendrai plus loin sur la signification possible de cet échec

La nomination consensuelle entre les principaux partis – le parti de gauche Die Linke, 12% de l’électorat, n’avait pas été convié à la concertation, ce qui est parfaitement anormal et aurait mérité une protestation du SPD et des Verts – d’un homme d’Eglise, pasteur protestant et dissident de l’ancienne RDA ne dit rien de bon ni pour la laïcité ni pour la démocratie en Allemagne, contrairement aux apparences.
Joachim Gauck bénéficie d’une aura apolitique d’autant plus forte que la classe politique est dans son ensemble discréditée. Il fait partie de ses personnages que le passé de dissident dans les pays de l’Est conduit à une hostilité contre toute forme de dissidence anticapitaliste. Il a ainsi été l’un des rares a critiquer les mouvements Occupy sur l’air ridicule de je viens d’un pays [la RDA] où les banques étaient occupées [par l’Etat]. Avec Gauck, les pauvres auront droit aux sermons sur leur responsabilité propre au regard de la situation dans laquelle ils se trouvent.
Alors que Christian Wulff au moins s’était distingué pour avoir déclaré que l’Islam comme les autres religions avaient sa place en Allemagne, ce qui s’inscrit dans le droit fil – cultivé – de la tradition issue de Nathan le sage de Lessing, Joachim Gauck n’a pas éprouvé le besoin de prendre la moindre distance envers Thilo Sarrazin, auteur de la thèse – inculte – selon laquelle le niveau d’éducation baisse en Allemagne à cause d’un degré d’intelligence moindre des enfants d’origine turque.
Dernier point : le choix de Joachim Gauck entre les différents partis coalitionnaires préfigure sans doute un probable prochain gouvernement d’union nationale.

Revenons sur la démission de Christian Wulff.
Symbolise-t-elle l’échec de toute une génération de baby-boomers conservateurs qui a remplacé les idées par le marché ? C’est la question que pose l’éditorialiste de la Frankfurter Allgemeine Zeitung, Frank Schirrmacher. Par baby-boomers il faut entendre, en Allemagne, ceux qui sont nés entre 1955 et 1970. C’est la génération du capitalisme consumériste. Christian Wulff est né en 1959. Alors que les quinquagénaires épuisés partent en retraite ce sont les presque centenaires qui enthousiasment les foules. Il fait référence au discours d’Helmut Schmidt, né en 1918 au dernier congrès du Parti social démocrate. Mais ce n’est pas le discours de la raison contemporaine.

Frank Schirrmacher : « Une question s’impose : comment ce que nous vivons actuellement a-t-il pu se passer ? Car ce n’est pas seulement que nous avons besoin des vieux pour ne serait-ce que prononcer le mot idée, il est historiquement évident que sous la domination des baby-boomers les idées s’effondrent.
De par leur pure masse, les baby-boomers par leur seule volonté, souhaits et sensibilité ont modifié les marchés. Leur scepticisme à l’égard des idéologies était bienvenue mais seulement aussi longtemps que l’on n’avait pas remarqué que ce scepticisme masquait l’absence totale d’idées. Leur erreur a été de croire que les marchés étaient déjà des idées. Mais les idées ne s’imposent pas comme des cafés Starbucks ou la culture pop. Autrement dit, c’est le pouvoir d’achat et non le pouvoir de conviction des baby-boomers qui a modifié le visage de la société. Ils n’ont pas eu à lutter pour leur mode de vie, leur musique, leur mode, leur langage – au contraire : ils étaient des groupes propulseurs pour des marchés, qui se sont très vite étendus à l’ensemble de la société. L’autorité des parents et enseignants du début des années 70, qui peut-être veulent interdire les jeans déchirés recule devant les magasins de la chaine de mode globale qui se trouve au coin de la rue. Cette génération est ainsi en Occident la première à n’avoir rien eu à « imposer ». Le marché s’en est occupé ».

Dans le même temps, il s’est passé encore autre chose. Dans la mesure où cette génération était plus nombreuse, elle n’a pas eu à craindre la révolte de la génération plus jeune. Elle n’a pas eu besoin de se régénérer.
Ces deux facteurs, d’un côté croire que ce n’est pas sa propre tête qui décide mais le marché, de l’autre la réalité démographique expliquent, pour Frank Schirrmacher, l’incroyable vitesse d’épuisement de cette génération politique au moment où les choses se transforment radicalement ».

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Mano a mano post-démocratique

On continue en Allemagne de s’interroger sur ce moment particulier et inédit qu’a constitué la prestation télévisée commune entre la chancelière allemande et le président de la république française en pleine campagne électorale, une sorte de mano a mano postdémocratique. Il ne s’agit pas ici d’une référence au geste de François Mitterrand et Helmut Kohl à Verdun. Un mano a mano est une expression appartenant au vocabulaire de la tauromachie. Elle désigne la compétition entre deux toreros qui affrontent en alternance les six taureaux d’une corrida.
Certes dira-t-on, il ne faut peut-être pas exagérer : les petits coups de mains entre amis – de droite comme de gauche d’ailleurs – de part et d’autre du Rhin ne sont pas une nouveauté. Bien sûr. Mais il y a dans la geste merkosyenne quelque chose d’inédit, une part de risque plus grande. En France, le titulaire du poste peut changer. En Allemagne, s’annonce une probable grande coalition pour 2013 entre la CDU et le SPD, le parti libéral FDP étant bien parti pour faire défaut.
Il y a donc un pari.
Cela suffit-il à faire la nouveauté ?
Et le pari est-il aussi risqué qu’on le dit ?
L’expression très en vogue de Merkosy permet de signaler à quel point l’accord entre les deux est profond pour parachever l’édification néolibérale de l’Europe en nivelant par le bas les conquêtes sociales. Certes, il y a la crainte chez la chancelière que l’édifice qu’elle a patiemment tricoté avec son alter ego puisse être – ne fut-ce que timidement- défait. Mais, si l’on en juge par la mollesse de la contestation, peut-on croire que François Hollande va réellement mettre en cause le nouveau Traité européen ? Qui donc a mis en œuvre la casse sociale en Allemagne, si ce n’est l’ancien chancelier social démocrate Gerhard Schröder ? Certes, en France, on ne sait jamais … Comme le note le magazine Cicero : « la clientèle électorale de Hollande a d’autres représentations de l’évolution des salaires et de l’âge de départ en retraite que les syndicats et les sociaux-démocrates modérés d’Allemagne ». C’est bien ces questions qu’il reste à régler. A coup de référendums, semble-t-il. La tentation du SPD de venir, en réplique, lui aussi en aide au Parti socialiste ne sera pas un cadeau pour François Hollande car l’intervention à ses côtés de partisans de la retraite à 67 ans risque fort d’être un cadeau empoisonné.
Nous avons bien ce premier niveau. C’est celui d’un tiens vaut mieux que deux tu l’auras qui se dit en allemand besser ein Spatz in der Hand al seine Taube auf dem Dach (littéralement, mieux vaut un moineau dans la main qu’une colombe sur le toit).

Mais on peut pousser un peu l’analyse.

A Berlin comme à Paris s’expérimentent de nouvelles techniques politiques post-démocratiques et cela à grande échelle, tant au plan national que local. En France, par exemple, se mettent partout en place de nouvelles structures de gestion locales comme des agglomérations et des pôles métropolitains qui échappent à tout contrôle démocratique élu,  la politique se défait de ses attributs pour confier la gestion des affaires à des comités d’experts. Dans le domaine de l’industrie nucléaire, on en est même arrivé à une franche caricature. Mme Merkel de son côté aurait des velléités bonapartistes, – comme son homologue français, « du peuple, par le peuple et pour le peuple » ou  comme en Allemagne de l’Est ? C’est l’hypothèse du  sociologue Thomas Wagner qui voit l’avènement d’un style de gouvernement autoritaire à moins que la chancelière ne soit, ce qui n’est pas forcément contradictoire, une joueuse de vabanque, jeu de cartes et de bluff, comme Frédéric 2 contre l’Autriche, selon Jakob Augstein, dans l’hebdomadaire der Freitag.

Ces techniques s’expérimentent également dans ce qui est devenu, la « politique intérieure européenne ».

Arrêtons-nous un instant sur la notion de « post-démocratique » qui nous ramène quelques mois en arrière.

« le désastre grec est un avertissement sérieux de la voie post démocratique dans laquelle Merkel et Sarkosy se sont engagés». Jürgen Habermas FAZ 4.11.2011

Même s’il y a eu des moments précurseurs comme ceux consistant à ignorer purement et simplement le résultat des référendums pour le traité constitutionnel, le refus opposé à la Grèce de tenir un référendum pourtant annoncé sur le plan de « sauvetage » européen a été décisif.  Ce refus a été analysé comme un moment de rupture :

Aujourd’hui, qui souhaite consulter son peuple est considéré comme une menace pour toute l’Europe. Tel est le message des marchés, et des politiques aussi depuis le 31 octobre,

dénonçait Franck Schirrmacher l’éditorialiste et co-éditeur de la Frankfurter Allgemeine Zeitung (FAZ 1.11.2011), quotidien libéral,  référence des milieux d’affaires sous le titre :  la démocratie est de la camelote.

L’on est en train d’assister à la destruction massive des principes moraux nés de l’après-guerre, au nom d’une raison économique et financière supérieure. De tels processus se développent en sous-main, ils œuvrent à la lisière de la conscience, parfois pendant des décennies, jusqu’à accoucher d’une nouvelle idéologie. Il en toujours été ainsi lors des phases d’incubation des grandes crises autoritaristes du XXe siècle.

Il n’y va pas de main morte : serions-nous dans une phase d’incubation d’une crise autoritariste ?

Il est de plus en plus évident que la crise que traverse l’Europe n’est pas un trouble passager mais l’expression d’une lutte de pouvoir  entre le primat de l’économie  et le primat de la politique. Ce dernier a déjà perdu énormément de terrain mais les choses s’accélèrent aujourd’hui. L’incompréhension totale que suscite le geste de Papandréou est également une incompréhension de l’espace public démocratique lui-même, et du fait que la démocratie a un prix qu’il faut être prêt à accepter.

Le célèbre sociologue de l’école de Frankfort, Jürgen Habermas a réagi aussitôt à la même place par un article intitulé : « Sauvez la dignité de la démocratie » dans lequel il accuse les dirigeants européens d’être des marionnettes  s’agitant sur les fils de l’industrie financière. Il leur reproche surtout de

« poursuivre le vieux rêve régressif d’un monde ordolibéral parfait  dans lequel la société économique se régulerait en dehors de la politique ».

Wolfgang Schäuble, le ministre des Finances, a résumé l’état d’esprit de la majorité des dirigeants allemands en déclarant devant le Bundestag : « si la Grèce fait défaut, il ne faut pas que ce soit à cause de l’Allemagne ». On ne dit pas mieux que malgré le temps passé depuis la fin de la seconde guerre mondiale, l’Allemagne ne peut pas encore tout dire et faire. Certaines choses, il vaut mieux les annoncer depuis Paris que depuis Berlin. L’Allemagne comme la France pour d’autres raisons a « besoin » du masque de Janus baptisé couple franco-allemand. Pour la Grèce, c’est évident mais pour d’autres sujets sans doute aussi. Sur la Lybie, on a vu la retenue de l’Allemagne pour laisser faire la France. Dialectique de complémentarité sur des objectifs communs parfaitement néolibéraux qui se mettent en place petite brique par petite brique en fonction d’une « stratégie de choc », de dramatisation des enjeux liés à l’euro. La question est de savoir comment de part et d’autre faire passer cette convergence.  Rien de tel, pensent-ils, que de se servir de la télévision

 

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Vu d’Allemagne

Dans les ruines de l’Europe, « la campagne électorale en France» par Klaus Stuttmann, dessinateur politique de talent

Pour mieux comprendre le dessin :

EZB = BCE = Banque centrale européenne
IWF = FMI = Fonds monétaire international

En bas à gauche Griechenland = Grèce

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Deux maximes de Goethe sur le crédit

 

 

1.- Der Credit ist eine durch reale Leistungen erzeugte Idee der Zuverlässigkeit

 

Credit avec « C » (pluriel Credunt) . Du latin Creditum (même racine que credo) = la croyance = ce qui a été confié. (Cf Meyers Lexikon)

Reale Leistungen pluriel = Des réalisations, des productions réelles

Zuverlässigkeit = fiabilité = sur qui ou sur quoi on peut compter = De qui ou de quoi on peut attendre, en retour, un résultat, une réponse satisfaisante. Zuverlässig sein = être d’un commerce sûr.

« Le crédit est une idée de la confiance produite par des réalisations réelles »

C’est un prêté pour un rendu, en quelque sorte mais la relation du crédit à la confiance, leur réciprocité passe par le travail, se construit par la médiation de la production. A contrario, elle s’évapore dans la spéculation.

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2. Alles Ideelle, sobald es vom Realen gefordert wird, zehrt endlich dieses und sich selbst auf. So der Kredit (Papiergeld) das Silber und sich selbst.

« Tout ce qui est idéel [= qui n’existe que dans l’idée], dès lors que l’on en exige du réel consume finalement ce dernier [le réel] et l’idéel lui-même. Ainsi le crédit (le papier monnaie) finit par consumer l’argent [i.e. le métal qui a une fonction équivalente à celle de l’or, ils sont le soleil et la lune] et le crédit (papier monnaie) lui-même »

Autrement dit, déconnecté de sa fonction d’investissement, de sa garantie en biens réels, le crédit s’autodétruit, et détruit le système financier lui-même. A l’époque de Goethe qui fut ministre des Finances et qui a assisté à sa naissance et à celle du capitalisme industriel, le papier monnaie était garanti par les richesses du sous-sol comme il est écrit dans FAUST II :

Le présent billet vaut mille couronnes.
il est garanti par la caution assurée
D’innombrables biens enfouis dans le sol de l’Empire

Le crédit est écriture. Le papier vaut ce qu’il y a de marqué dessus. La monnaie est par la suite devenue scripturale (chèque). Aujourd’hui, cette écriture est numérique, encore plus abstraite et plus « idéelle ». N’oublions pas, que la monnaie a été inventée pour rendre visible les relations de grandeur, ainsi que l’explique Clarisse Herrenschmidt dans son livre, Les trois écritures, langue, nombre, code. Elle cite par ailleurs un texte de John Meynard Keynes dont j’extraie le passage suivant, qui confirme la prévision de Goethe :

L’or a cessé d’être une pièce de monnaie, un magot, un titre tangible à la richesse dont la valeur ne pouvait s’évanouir aussi longtemps que la main de l’individu en étreignait la substance matérielle. Il est devenu quelque chose de beaucoup plus abstrait, tout juste un étalon de valeur.

Cet étalon lui-même a été supprimé, le 15 août 1971, lorsque Richard Nixon a mis fin à la convertibilité or du dollar en plein passage à l’écriture numérique. De sorte que l’or est désormais matière comme une autre et

dépourvue de son ancienne qualité d’étalon de la valeur, de substance matérielle et pourtant transcendantale. (Clarisse Herrenschmidt)

N.B. Les deux textes sont extraits des Maximes et réflexions de Goethe. Ne cherchez pas, elles ne sont pas dans l’édition française.

Le livre de Clarisse Herresnchmidt : Les trois écritures, langue, nombre, code est paru aux Editions Gallimard / Bibliothèque des sciences humaines

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Mots admis et mots impropres de l’année 2011

La linguiste Nina Janisch présentant sur son iPad le mot impropre de l’année 2011

Après Wutbürger (citoyen en colère que l’on pourrait aussi traduire par indigné) en 2010, la « Gesellschaft für deutsche Sprache »( = Asssociation pour la défense de la langue allemande, l’équivalent de notre association pour la défense de la langue française DLF ) a opté, pour le mot de l’année 2011, en faveur de Stresstest. On trouve également dans la liste des dix premiers mots Merkosy, arabellion, burnout etc….

Stresstest, mot issu du vocabulaire médical, a connu une présence forte en 2011 non seulement dans le domaine bancaire mais également nucléaire ainsi que pour le projet fortement contesté de la gare de Stuttgart.

Le mot impropre de l’année

Il existe depuis une vingtaine d’années, une autre association plus citoyenne et participative qui jette un regard critique sur des usages impropres du vocabulaire et veille à préserver la sensibilité à l’importance du choix des mots. C’est l’action « Unwort des Jahres » littéralement « non-mot de l’année ». Elle vient de rendre public son choix pour 2011.

Le mot impropre pour 2011 est Döner-Morde (Crimes Döner).

C’est ainsi que la police et la presse ont désignés une série de crimes perpétrés en série par un groupe terroriste néonazi. Pour l’association, le mot est particulièrement révélateur du fait que la dimension politique de ces meurtres ait été du moins occultée sinon sciemment ignorée. Le mot a servi à entretenir l’hypothèse selon laquelle les motifs de ces meurtres seraient d’origine criminelle et à chercher du côté d’histoires de drogue ou de racket. C’est ainsi que le mot Döner-Mord(e) (Crime(s) Döner) a influencé de funeste manière la perception de beaucoup de gens mais aussi d’institutions sociales. En 2011, le caractère raciste de l’expression est apparu en pleine lumière. Avec cette façon d’étiqueter de manière totalement inappropriée, à l’aide d’un stéréotype folklorique, une série de crimes terroristes d’extrême droite, des groupes entiers de la population ont été stigmatisés et les victimes elles-mêmes fortement discriminées, réduites, en raison de leur origine, à un produit de snack, a expliqué le jury

Parmi les autres mots faisant partie de la liste finale se trouve l’expression marktkonforme Demokratie (démocratie conforme au marché). Le motif du rejet de ce mot est expliqué de la manière suivante : la démocratie est une norme absolue incompatible avec une quelconque conformité à on ne sait quelle instance. L’expression provient d’un discours d’Angela Merkel dans lequel elle expliquait qu’il fallait trouver les voies pour « que la participation parlementaire soit malgré tout conforme au marché ». Même si l’expression est la plupart du temps utilisée dans un sens critique, elle témoigne d’une dérive inquiétante de la culture politique.

Avec ce dernier aspect s’esquisse une relation entre crise de la culture et crise de la démocratie.

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Grande coalition de politique intérieure européenne et nouvelles agences de notation

Il est nécessaire de faire un petit point d’actualité.
Angela Merkel : L’Europe, c’est de la politique intérieure.
Le Monde 25/01/2012

Dans un entretien accordé, la semaine écoulée, au  magazine Der Spiegel, Alain Minc explique que l’actuel locataire de l’Elysée apprend enfin à se maîtriser. Qu’on en juge : selon Minc, «  il a trois femmes dans sa vie, Carla Bruni, sa fille et Angela Merkel ». Mais passons rapidement sur le nombrilisme anecdotique de sa suffisance pour en arriver à quelques déclarations utiles à connaître même si ce ne sont pas vraiment des scoops.

Je retiens d’abord  celle-ci sur le deal franco-allemand :

«Les Allemands ont accepté l’aspiration française à un gouvernement économique et la France a accepté de gérer son budget selon des critères allemands. C’est cela le deal ».

Il explique aux lecteurs allemands que la dramatisation de la question de la notation était voulue pour faire passer deux plans de rigueur. Elle était également destinée à mettre l’adversaire socialiste en difficulté. Nicolas Sarkozy devrait présenter une sorte d’Agenda 2010 à la Schröder ajoute Minc qui se vante d’avoir introduit l’ancien chancelier social-démocrate à l’Elysée parce qu’il serait la preuve que l’on peut gagner les élections en démontant les acquis sociaux grâce sans doute à une « stratégie du choc ». Le différentiel de compétitivité entre l’Allemagne et la France viendrait des 35 heures et du salaire minimum. Rappelons qu’en Allemagne, il n’y a pas de SMIC.

«Le président de la République suivra Gerhard Schröder en politique intérieure et Angela Merkel dans sa politique européenne ».

On ne parle même plus de suivre la politique de la France. C’est l’abandon en rase campagne.

Avec d’autres interventions comme, par exemple, celle du petit éclaireur de Zorro, Claude Allègre, on pressent que se projette comme une sorte de grande coalition entre la droite néolibérale française et européenne et l’aile libérale de la social-démocratie allemande personnifiée par l’ancien chancelier Gerhard Schröder. Ce dernier est l’auteur d’une entreprise de casse sociale sans précédent en Allemagne (et jusqu’au bout de son mandat), pilotée par Peter Harz, ancien dirigeant de Volkswagen, un de ces « experts » comme les aiment la classe politique. Le résultat est connu : l’Allemagne est devenue un pays à bas salaire. Cette réalité là est l’une des explications mais pas la seule de la crise actuelle. Ce n’est pas encore reconnu par tout le monde, mais ça vient.

J’avais déjà montré par ailleurs que l’Allemagne allait bien plus mal qu’on ne le dit, que les vieux clichés cessent de fonctionner. Voici que le mythe de l’efficacité sociale du capitalisme rhénan s’effondre à son tour.

Pour la chancelière allemande, je l’avais déjà signalé, la crise est politique :

« La crise est une crise de la dette et une crise de la confiance. Il existe un domaine qui a, au fil des années,  pratiquement perdu tout crédit, c’est la politique ».

Elle vise bien entendu la perte de confiance des marchés financiers dans la politique. Et la conclusion qu’elle en tire est que pour préserver les seules institutions dignes de confiance que sont les banques centrales et la Cour de justice européenne, il faut garantir leur indépendance et donc dessaisir la politique de ses attributions budgétaires, institutionnaliser des mécanismes de sanctions contre les états qui ne respecteraient pas la discipline budgétaire. Il faut faire fi de toute économie politique. Ainsi se parachèverait, à l’échelle de l’Europe, l’édifice néolibéral à l’opposé des leçons qu’il conviendrait de tirer de la crise.

« Faire sortir de la véridiction du marché la juridicité de l’Etat, c’est ça le miracle allemand », écrivait Michel Foucault.

Dans ce contexte se préparent différents modèles de nouvelles agences de notation. Certains journaux français ont évoqué l’une d’entre elles, par exemple Les Echos qui écrivent :

« Il s’agirait d’une organisation à capitaux privés et à but non lucratif, avec le statut de fondation, aurait précisé Roland Berger. L’homme d’affaires a mené une intense campagne de lobbying auprès des gouvernements et entreprises du Vieux Continent pour récolter les soutiens et fonds nécessaires à l’établissement d’une nouvelle agence de notation.
Il espère pouvoir lever les 300 millions d’euros de capitaux auprès d’investisseurs européens dans les mois qui viennent. « Le modèle proposé consiste en une agence où les services sont payés par les clients, qui ont intérêt à avoir des résultats fiables et objectifs », aurait indiqué Roland Berger au quotidien italien. Moody’s, S & P et Fitch partagent le même modèle commercial, à savoir celui où ce sont les émetteurs de titres -et non les investisseurs -qui payent pour obtenir une note de crédit ».

Mais ce n’est pas la seule. Personne ne parle de la Fondation Bertelsmann qui a annoncé la mise en route d’un  projet d’agence de notation dans un communiqué du 9 décembre 2011 depuis  les deux sièges de la Fondation : Washington et Gütersloh.
Son président Gunter Thielen, a déclaré :

« La crise de l’Euro a montré que les agences de notations actuelles ont un déficit d’acceptance [i.e.sont mal vues, en quelque sorte]. Elles manquent de légitimité et de transparence et leurs critères d’évaluation sont trop étroits ».

Sur quels critères faudrait-il améliorer la notation ? Sur les critères politiques, la capacité à gérer et faire avaler les couleuvres des réformes :

« Ce qui compte avant tout c’est que les critères utilisés soient si possible complets et ne rendent pas seulement compte des réalités économiques et financières mais également du management politique d’un pays et de sa capacité à faire accepter les réformes ».

Autrement dit pour le gars qui viendrait avec l’idée saugrenue d’un référendum, ce sera illico le zéro pointé. Cette agence ne devrait cependant pas être trop européenne. Il refuse l’idée d’un contre modèle européen au modèle anglo-saxon.

« Notre modèle est un thermomètre supplémentaire qui examinera à la loupe les pays de manière plus exhaustive  et plus durable ».

La fondation Bertelsman est le think-thank néolibéral de la multinationale Bertelsman connue  pour son activité d’édition et de médias (RTL) mais pas seulement. Une  partie de son « business » provient de la privatisation des services publics  et du « dégraissage de mammouths ». La Fondation mène ainsi une grosse activité de conseils et de notation auprès des municipalités.

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Frédéric 2, roi de Prusse : l’autre monument

Statue équestre de Frédéric 2, avenue Unter den Linden à Berlin

La statue équestre du Roi de Prusse Frédéric 2, à Berlin, fait partie des « statues voyageuses » de la capitale allemande. Bernard Oudin et Michèle Georges dans leur livre « Histoires de Berlin » en dénombrent quatre. Il faudrait sans doute y ajouter une cinquième celle de Karl Marx et Friedrich Engels.

L’œuvre de Christian-Daniel Rauch était à peu de chose près à la place où elle est aujourd’hui pendant un siècle, de 1851 à 1951, date à laquelle elle fut déboulonnée par les autorités est-allemande qui la remirent en place en 1981.

Celui que l’on appelle aussi le  « vieux Fritz », est décrit par Alfred Döblin, dans son roman Novembre 1918,  comme « l’échalas au nez pointu, le roi de la guerre de Sept ans, qu’on appelait le Grand et qui de son vivant s’est comporté en athéiste enragé et voltairien ». On pourrait ajouter despote éclairé et francophile, adepte de la philosophie des Lumières, auteur d’un Anti-Machiavel, introducteur de la pomme de terre en Allemagne, promoteur de l’industrialisation, compositeur, flûtiste, misogyne, etc…. Il est toujours encore bien controversé aujourd’hui surtout si l’on change d’optique et que l’on adopte, par exemple, un point de vue comme celui de la Pologne.

A 18 ans, Frédéric veut déserter l’armée de son père, le sinistre roi sergent Frédéric Guillaume 1er. Ce dernier pour l’éduquer le fera assister à la décapitation de son ami et complice Hans Hermann von Katte.

Si j’en parle aujourd’hui, c’est qu’il est né le 24 janvier 1712, c’est-à-dire il a exactement 300 ans.

Un jour, peu après sa réinstallation à Berlin Est, alors que je passais par là en compagnie du dramaturge Heiner Müller, celui-ci me dit : « viens voir, je vais te montrer quelque chose ». Nous avons fait le tour du monument. Ce qu’il voulait me montrer était cette image ci-dessous, située à l’arrière, du côté de la queue du cheval.

Heiner Müller avait ajouté : «  Tu vois où ils ont placé les intellectuels ? – Sous la queue du cheval, là où sort la merde ».

Si tout autour du bas relief et bien entendu à l’avant se trouvent les généraux, à l’arrière parmi les intellectuels se trouvent notamment sur la droite à côté du compositeur Carl Heinrich Graun et du  juriste Johann Heinrich von Carmer, deux figures allemandes des Lumières, le philosophe Immanuel Kant et Gotthold Ephraim Lessing, écrivain, philosophe, auteur dramatique (Nathan le Sage).

Frédéric 2 et son père sont présents comme personnages dans l’œuvre de Heiner Müller. On les trouve dans les deux scènes des concertos brandebourgeois de Germania Mort à Berlin, mais surtout – c’est l’autre monument – dans  Vie de Gundling Frédéric de Prusse Sommeil Rêve Cri de Lessing, pièce écrite en 1976.

Les figures de cette pièce sont Jacob Paul von Gundling, Président de l’Académie royale des sciences et des lettres de Prusse, fou à ses dépens du roi Frédéric-Guillaume Ier de Prusse et Frédéric II, les écrivains et auteurs dramatiques Heinrich von Kleist et Gotthold Ephraïm Lessing.

Sur le plan formel, le texte müllérien s’inspire du roman-collage de Max Ernst, fait de chevauchements, juxtapositions, ruptures mais aussi passages d’un élément à l’autre. Müller a insisté sur ce denier aspect dans son autobiographie : C’est une erreur de lire la pièce comme un montage de fragments. Ce qui est intéressant ce sont les passages fluides entre les parties disparates.

Parmi les matériaux utilisés figurent deux des livres de Werner Hegeman, Fridericus ou la victime du roi et Berlin de pierre, écrit en 1930, dont voici, en extrait, un portrait sévère :

Frédéric II a certes remplace le « collège du tabac » et la rudesse prussienne de son père par un collège de priseurs de tabac composé de « beaux esprits » venus de France et d’Italie qui ont apporté à Berlin des idées stimulantes inestimables. Mais ces étrangers en partie très cultivés étaient très éloignés de la vie de Berlin pour pouvoir soulager cette ville en esclavage de son humiliation. C’est en vain que des esprits allemands de haut rang ont offerts leurs services. Par exemple, lorsqu’il [Frédéric II] chercha un bibliothécaire alors que Winckelmann et Lessing étaient proposés, le roi opta pour un Français pas du tout fait pour ce travail qui fut en plus victime d’une homonymie. A l’époque Berlin perdit l’homme par qui elle venait de devenir une ville en pointe de la littérature en Allemagne.

Werner Hegeman décrit un  monarque éclairé qui sacrifie les représentants allemands des Lumières.

Mais la pièce de Heiner Müller traite de bien plus que de la relation des intellectuels dans leur différentes figures et du pouvoir, ou des structures autoritaires et de la militarisation de la société civile hérités de la Prusse.

Sommeil Rêve Cri de Lessing,

De Lessing, la pièce de Müller nous dit, en un triptyque, d’abord – Sommeil – qu’il N’A JAMAIS RÊVE pendant son sommeil.
Puis dans Rêve, ceci :

Acteur que l‘on maquille (masque de Lessing) et habille. Machinistes qui installent une longue table et des chaises.
Acteur lit : Mon nom est Gotthold Ephraïm Lessing. J’ai 47 ans [l’âge de Müller au moment où la pièce fut écrite]. J’ai bourré une /deux douzaines de marionnettes de sciure qui était mon sang, rêvé un rêve de théâtre en Allemagne, médité publiquement sur des choses qui ne m’intéressaient pas. Maintenant c’est fini.

Vient enfin, Cri de Lessing : La dernière partie se rapproche d’un théâtre sans texte alors que les machinistes du théâtre occupent la scène. Pour Frédéric 2 et la pantomime Kleist, les scènes sont intégralement muettes. Pour Lessing restent encore quelques fragments de texte puis tout à la fin encore audible un cri sourd.

Le jeune Frédéric, Kleist et Lessing sont une seule et même figure, a déclaré Heiner Mûller, « jouées par un même  comédien, ce sont trois figurations d’un rêve de Prusse étouffé par l’Etat dans une alliance avec la Russie contre Napoléon ».

Dans la dernière partie, la machinerie, le machinique prend une place de plus en plus importante. Vie de Gundling… a été écrit presque en même temps que Hamlet-Machine.

Heiner Müller aborde sous plusieurs angles différentes questions que posent les Lumières, la raison, la rationalisme. La première difficulté concerne le fait qu’ils aient été introduits par le despotisme. Sont évoqués également le sommeil de la raison où naissent les monstres.  Puis défile un catalogue d’horreurs – la pièce est sous-titrée Conte d’horreur – qui forment la face obscure des Lumières. Enfin est dénoncée la logique instrumentale du rationalisme qui fait basculer dans la folie ainsi que la domestication et la maltraitance des corps qui en découle.

En voici un aperçu :

«  Chacun est son propre prussien »

La scène se passe dans un asile de fous prussien :

Professeur avec étudiants :

Professeur : La camisole de force. Un instrument de la dialectique estimerait mon collègue de la  Faculté des Lettres et des sciences. Une école de la liberté en effet, entendue comme compréhension de la nécessité, vous n’avez qu’à observer. Plus le malade s’agite, plus il se sangle lui-même, lui-même notez le bien, dans sa destinée. En langage populaire, chacun est son propre prussien. En cela réside la valeur éducative, l’humanité pour ainsi dire de la camisole de force, qui pourrait tout aussi bien être appelée camisole de la liberté. Le philosophe estimerait que la véritable liberté consiste dans la catatonie, en tant que parfaite expression de la discipline qui a fait la grandeur de la Prusse. La conséquence est charmante : l’Etat idéal fondé sur l’hébétude de la population, la paix éternelle sur l’occlusion intestinale généralisée. Le médecin sait cela : les États reposent sur la sueur de leurs peuples, sur des colonnes d’excréments le temple de la raison.

Étudiant : En langage populaire.

Étudiants rient

Professeur : Je vous prierai d’adopter une attitude un peu plus scientifique, messieurs. Voyez ce petit garçon devenu idiot à force de masturbation. La ruine d’une enfance florissante.

Petit garçon tire la langue.

Et le triomphe de la science : le bandage anti-masturbatoire inventé par moi. (…) Réglable selon la taille, et je noterai, messieurs, si vous me permettez une digression patriotique, que ce n’est pas à mes yeux un hasard si cette mienne invention est utilisée précisément dans la Prusse éclairée de notre vertueux monarque. Une victoire de la raison sur la barbare pulsion de la nature.

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Beethoven et Goethe sont dans un tableau

 

Goethe et Beethoven saluant la famille impériale à Teplitz en 1812

Comme il traite d’un sujet qui concerne la culture des pays de langue allemande, j’en profite pour vous présenter un site que j’aime beaucoup, celui d’un vrai amateur de musique (amateur =  qui aime – et fait aimer), Jean-Marc Onkelinx, musicologue, conseiller en musique classique à la Fnac de Liège (Belgique), professeur d’histoire de la musique et son blog En avant la musique ! Il vient de consacrer deux articles à deux géants qui se croisent en deux époques : Beethoven et Goethe. Il commente ainsi l’image très parlante que l’on voit ci-dessus.

On y voit à gauche Goethe qui, ayant retiré son couvre-chef, s’incline sur le bord du chemin pour saluer le passage de la famille impériale, … comme il se doit quand on respecte l’ordre établi. À l’avant-plan, Beethoven n’en fit rien. Après avoir enfoncé son chapeau sur la tête et pris un air renfrogné, il continua son chemin tête haute considérant que la famille impériale devait d’abord saluer les artistes… pas l’inverse ! Changement de mentalité, rébellion contre l’autorité, n’oublions pas que Beethoven voulait vivre indépendant des autorités, était un grand partisan de la démocratie, considérait l’artiste comme un véritable héros prométhéen donnant le feu (la connaissance) aux hommes et, qu’en conséquence, tous lui devaient le respect ». C’est de ce grief-là qu’il s’agit lorsqu’il évoque à propos de Goethe « l’air de cour».
Tout cela témoigne de l’esprit de deux époques, de deux générations et de deux mondes qui se croisent. Les arguments de Goethe, dans ses œuvres, répondaient exactement à la pensée héroïque de Beethoven, mais l’homme était de l’autre siècle. Il s’agissait pourtant, pour le compositeur, de s’inspirer de ces héros, de les faire siens, de les transcender de la même manière que ceux de l’Antiquité. Et en cela, Goethe méritait encore une admiration sans borne !

L’intégralité se trouve ici.

Le conformisme du citoyen Goethe n’est pas celui de l’écrivain Goethe. Son écriture est celle du passage à la modernité.
J’ai un temps considéré Goethe comme un grand bourgeois ennuyeux. Il faut dire nous n’étions pas aidé par l’enseignement de l’allemand particulièrement ennuyeux lui aussi que nous recevions même si, au moins – et contrairement à aujourd’hui, on y lisait des œuvres d’écrivains. J’ai ainsi passé une année entière, en seconde, à traduire intégralement Egmont et j’en ai gardé un piètre souvenir, traduire ne signifiant pas ici comprendre quoi que ce soit.
L’œuvre analysée par Jean-Marc Onkelinx est précisément l’Ouverture d’Egmont de Beethoven inspirée par la pièce de Goethe.
Je me suis rattrapé depuis. Je n’ai pas relu Egmont. Par contre Faust, oui, notamment à la faveur des nouvelles lectures qu’on en fait en Allemagne aujourd’hui, comme j’ai essayé de le montrer. Ses anticipations sur le devenir du capitalisme valent que l’on s’y arrête. Faust, le deuxième surtout, témoigne d’une incroyable liberté d’écriture faisant fi des conventions dramaturgiques, certains passages sont proprement cinématographiques. Il a inspiré aussi bien des compositeurs.

Voici le lien pour lire et écouter l’Ouverture d’Egmont.

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Les clichés franco-allemands vieillissent

 

Tomi Ungerer, "sans titre", 1999 "Projet pour Marianne et Germania"

Dans ce dessin de 1999, le célèbre caricaturiste strasbourgeois, Tomi Ungerer, suggérait déjà combien les clichés franco-allemands sont vieillissants.
Que ce soit la Germania bismarckienne ou la Marianne délurée, toutes deux apparaissent fânées.
Mais, sans doute à la faveur de la crise actuelle, nombreux vieux clichés refont surface. Les tentatives de les réactualiser ou de les rajeunir tournent cependant à la caricature.
Nous avons déjà évoqué le fantôme de Bismarck convoqué à la hâte à des fins de postures politiciennes, voici qu’à l’inverse, outre Rhin, les Allemands dépoussièrent le vieux cliché du Français-baguette-camembert-litre de rouge pour illustrer une étude bidonnée d’un institut français proche du patronat selon lequel les Français travailleraient 225 heures de moins que les Allemands :

Même rajeuni, on voit bien qu’il bascule dans la caricature. Il faut d’ailleurs le rendre redondant. On notera, en effet,  la présence non seulement d’un litre de vin mais de deux, d’une baguette mais de deux, d’un  fromage mais de deux. Il n’y a par contre qu’un seul saucisson …Quand même ! Restons réalistes !
La légende de la photo souligne que les heureux (?) Français ont « six semaines de plus de temps de savoir vivre ». Même si ce savoir vivre se dégrade lui aussi chez nous, ce temps de vie supplémentaire nous est envié par les Allemands pour qui les Français  ne sont d’ailleurs « pas si paresseux que ça », comme le précise le quotidien économique, Handelsblatt  (13.01.2012): « tandis qu’un travailleur allemand produit une valeur moyenne de 36,80 Euro par heure, le Français lui atteint 42,60 euros.».
Foin du cliché.

Article inspiré par Tomi Ungerer et la revue de presse de Michel Verrier.

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