13 août 1961 : un mur à Berlin (3) / « Le monument de Staline à Rosa Luxemburg » (Heiner Müller)

Un pan de mur PotsdamerPlatz à Berlin avec l’effigie de Rosa Luxemburg. La dernière fois que j’y suis passé, elle n’y était plus.

Pour un écrivain comme Heiner Müller, le plus grand auteur dramatique allemand de la seconde partie du 20ème siècle, l’histoire du Mur de Berlin n’a pas commencé en 1961 mais bien avant.  Poète, il fait intervenir d’autres espaces-temps. Radical dans son écriture, il va chercher très loin les racines d’un évènement. C’est véritablement une autre manière de voir.

Né l’année de la grande crise, en 1929, mort en 1995, Heiner Muller a vécu une grande partie de sa vie en RDA. Il travaillait à sa pièce La déplacée quand le Mur de Berlin fut construit. Le soir de la première, la pièce fut interdite et Heiner Müller exclu de l’Union des écrivains. Quand le mur est tombé, il travaillait à la mise en scène de Hamlet / Hamlet-Machine. Entre les deux moments, il a écrit plus d’une trentaine de pièces et quelque 200 poèmes.

Dans cette œuvre peuplée de spectres, le Mur est bien entendu présent. Je n’évoquerai cependant pas ici les pièces de théâtre, j’y reviendrai à un autre moment. Je retiendrai d’autres textes dans lesquels il évoque le Mur comme “monument de Staline à Rosa Luxemburg”. Il lui arrive d’ajouter “Monument de Staline à Rosa Luxemburg …et Karl Liebknecht”, les deux brillants révolutionnaires allemands assassinés en 1919, assassinat dont Heiner Müller a souvent souligné la portée tragique pour l’histoire de l’Europe. L’élaboration la plus complète de la métaphore se trouve dans le discours prononcé par Heiner Müller à la réception du prix Georg Büchner, le 18 octobre 1985, à Darmstadt. Le document sonore vient d’être édité. Je vous propose d’abord d’en écouter l’extrait qui nous intéresse ici :

Extrait de Müller MP3. Alexander Verlag. On en reparle à la rentrée.

Die Wunde Woyzeck. Immer noch rasiert Woyzeck seinen Hauptmann, ißt die verordneten Erbsen, quält mit der Dumpfheit seiner Liebe seine Marie, staatgeworden seine Bevölkerung, umstellt von Gespenstern: Der Jäger Runge ist sein blutiger Bruder, proletarisches Werkzeug der Mörder von Rosa Luxemburg; sein Gefängnis ist Stalingrad, wo die Ermordete ihm in der Maske der Kriemhild entgegentritt; ihr Denkmal steht auf dem Mamaihügel, ihr deutsches Monument, die Mauer in Berlin, der Panzerzug der Revolution, zu Politik geronnen …“,

La blessure Woyzeck. Toujours encore Woyzeck rase son capitaine, mange ses pois sur ordonnance, torture sa Marie avec la matité de son amour– sa population, devenue Etat –, entourée d’un cercle de spectres : le chasseur Runge, est son frère de sang, instrument prolétarien des meurtriers de Rosa Luxemburg,; sa prison s’appelle Stalingrad, où la femme assassinée vient à sa rencontre sous le masque de Kriemhild; son mémorial à elle est sur le tertre de Mamaïev, son monument allemand est le Mur, à Berlin, train de chars de la révolution devenu caillot de sang de la politique[1]”. Continuer la lecture

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Un mur à Berlin (2) / Le mur a enfermé ceux qu’il était censé protéger


Strelitzer Straße, Bernauer Straße / Versöhnungskirche
Liesenstraße, Friedhof Liesenstraße
D’une architecture très improvisée, le Mur de Berlin, avant d’être fait de blocs de béton industriels, sera fait de bric et de broc, pierres de ruines, pierres tombales, blocs de bétons préfabriqués détournés de la construction de logement, barbelés etc… comme le montrent les documents rassemblés, photos et notes de garde frontières est-allemands, par Annett Gröschner, Arwed Messmer pour le livre et l’exposition, Aus anderer Sicht. Die frühe Berliner Mauer D’un autre point de vue, le Mur de Berlin au début.

Cette date du 13 août 1961, que les écoliers devront encore longtemps apprendre par cœur, L. l’avait attendue comme le jour où il aurait purgé la moitié de sa peine, le compte à rebours allait pouvoir commencer”(1).

L’écrivain Erich Loest est incarcéré dans la sinistre prison de Bautzen en RDA. Il n’y est pas seul. On disait même en plaisantant qu’au vu du nombre et de la qualité des prisonniers politiques, on aurait pu y tenir un festival de Théâtre. Loest avait été condamné à 7 ans et demi de prison en 1957 pour “conspiration”. Il avait pris au sérieux le rapport Khrouchtchev sur les crimes de Staline et tenté d’organiser des débats sur le sujet à Leipzig.

Ce n’est que le lendemain après midi, 14 août que la nouvelle atteint la prison : la frontière avait été hermétiquement fermée dans la nuit du 12 au 13 août. Le journal montre les Groupes de combat de la classe ouvrière en position le long de la ligne de démarcation entre le secteur soviétique de Berlin et les secteurs occidentaux. “C’est la revanche du 17 juin” [jour du soulèvement ouvrier de 1953], écrivent les auteurs de l’Histoire de l’Allemagne contemporaine parue sous da direction de Gilbert Badia aux Editions sociales en 1987. Drôle de revanche !

Pour beaucoup de prisonniers, cela signifiait une double peine. Plus question de quitter la RDA après avoir purgé sa condamnation. L., lui, prend cela comme une bonne nouvelle. Il imaginait que cela allait signifier l’amnistie pour les prisonniers politiques et que la RDA débarrassée des pressions extérieures allait pouvoir se stabiliser économiquement et se démocratiser, relâcher la pression intérieure, partager la responsabilité, accorder plus d’autonomie aux individus. Espoirs déçus. Ce sera un “nouvel hiver”. Continuer la lecture

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Un mur à Berlin (1) /1er août 1961 : « les barbelés ont déjà été livrés »

1er Août 1961, Nikita Khrouchtchev, premier secrétaire du Parti communiste de l’union soviétique (PCUS) et Président du Conseil des ministres de l’Urss  et Walter Ulbricht, secrétaire général du Parti socialiste unifié d’Allemagne (SED) et Président du Conseil d’Etat de la République démocratique Allemande (RDA) s’entretiennent au téléphone de la construction prochaine du Mur de Berlin (13 Août).
La date n’est pas encore fixée mais la décision est prise. D’ailleurs, comme Ulbricht en informe Khrouchtchev, “les barbelés ont déjà été livrés ”.
Nous sommes à la veille d’une réunion au sommet des pays membres du Pacte de Varsovie qui se tiendra à Moscou du 3 au 5 août 1961. Le compte rendu de cette conversation a été découvert dans les archives russes par l’historien allemand Matthias Uhl et publié par le quotidien die Welt en 2009. A ma connaissance, il n’y a pas eu d’écho à cela  dans la presse française. Une  lecture scénique en a été faite au Théâtre Maxime Gorki de Berlin, la même année, sous le titre : Emmurer
Quelques éléments de contexte : on s’achemine vers la fin de la première phase de la guerre froide, le mot détente commence à apparaître. J-F Kennedy a été élu en début d’année Président des Etats-Unis. Il a rencontré son homologue soviétique à Vienne au mois de juin et tenu un important discours de politique extérieure, le 25 juillet. Tous ces éléments serviront de cadrage est-ouest à la construction du Mur qu’on confond souvent avec le rideau de fer. L’expression rideau de fer est employée dès 1946 par Winston Churchill. La division du continent en deux blocs antagonistes remonte en effet au lendemain de le seconde guerre mondiale. Il existe depuis 1949 deux états allemands, la République fédérale d’Allemagne (RFA encore appelée Allemagne de l’Ouest) et la République démocratique allemande (RDA encore appelée Allemagne de l’Est). Ce qu’il est convenu d’appeler Mur de Berlin est mur au sens littéral du terme à Berlin mais c’est toute la frontière entre les deux Allemagnes qui est rendue infranchissable. Berlin se situe à l’intérieur du territoire de la RDA mais n’en fait pas partie. La ville régie par un statut quadripartite est  partagée en quatre zones entre l’Angleterre, les Etats-Unis, la France et l’Union soviétique. A Berlin, le mur doit séparer la zone soviétique des trois zones occidentales de Berlin Ouest. Dans la mémoire des acteurs de cet épisode est présente l’histoire du blocus de Berlin qui a vu la mise en place par les Américains d’un pont aérien pour alimenter la ville. Tout l’enjeu, cette fois, est de préserver les droits des puissances occidentales sur Berlin ainsi que sur les voies d’accès. Cette question est en filigrane dans l’entretien entre Nikita Khrouchtchev et Walter Ulbricht dont nous avons traduit de l’allemand la partie concernant la construction du mur. La RFA en 1961 était en pleine campagne électorale, Willy Brandt, social-démocrate, maire de Berlin Ouest défiait le très conservateur chancelier chrétien démocrate en place Konrad Adenauer.
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L’histoire du tailleur qui voulait voler de ses propres ailes

Le dispositif technique de vol mis au point par Albrecht Ludwig Berblinger, tel qu’il a été reconstitué pour les besoins du film que lui a consacré Edgar Reitz., présenté ici dans l’exposition Décollage. La vision du vol à ULM

Les expositions et les commémorations sont des sortes de machine à remonter le temps. Avec l’une d’entre elles, projetons-nous 200 années en arrière, très exactement à la date du 31 mai 1811, l’année de la Grande Comète.
Pour le lieu, nous pouvons, comme le train, depuis Bâle, remonter le long du Rhin jusqu’au Lac de Constance et, à Friedrichshafen, bifurquer vers le nord, jusqu’à ULM après une centaine de kilomètres. A vol d’oiseau, c’est bien entendu plus court. C’est justement de cela qu’il est question. De vol d’oiseau. Nous sommes dans le sud de l’Allemagne dans le Bade Würtemberg à la frontière de la Bavière, et plus exactement encore dans l’exposition Décollage. La vision du vol à la Maison municipale (Stadthaus)
Toute la presse allemande s’est rendue au moins une fois dans la ville de naissance d’Albert Einstein, cette année, au printemps. En quel honneur une telle unanimité ? Pour fêter le bicentenaire d’un évènement paradoxal : la tentative de voler entreprise par Albrecht Ludwig Berblinger, plus connu sous le nom de tailleur de la Ville d’ULM, titre d’un poème de Brecht, ici librement traduit :

Le tailleur de la Ville d’ULM
1592

Hé Monseigneur, je peux voler,
Dit le tailleur à l’évêque :
Regarde comment !
Et il grimpa sur le grand, grand toit de l’Eglise
Equipé de trucs qui ressemblaient à des ailes.
L’évêque poursuivit son chemin
« Tout ceci n’est que mensonges,
L’homme n’est pas un oiseau
Jamais un homme ne volera »

« Le tailleur est décédé »,
Rapportèrent les gens à l’évêque.
Quelle agitation !
Les ailes se sont complètement fendues,
Il gisait complètement brisé
Sur la dure, dure place de l’Eglise.
« Que le cloches sonnent,
Tout ceci n’était que mensonges,
L’homme n’est pas un oiseau
Jamais un homme ne volera »,
Dit l’évêque aux gens.

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Fétichisme automobile au Musée Tinguely de Bâle

Que se tiennent encore des grands messes pour célébrer le culte de l’automobile témoigne certes de la persistance de cette religion dans la culture mais masque mal en même temps qu’il en va de cette religion comme des autres, elles sont en déclin. C’est toute l’ambigüité de l’exposition Fetisch Auto. Ich fahre also bin ich (Auto fétiche /je conduis donc je suis) qui se tient actuellement au Musée Tinguely de Bâle. Un journaliste suisse a présenté l’exposition comme ceci : Ou quand l’idée de la voiture est soudain à mille lieues de la futilité égocentrique et polluante à laquelle d’aucuns la confinent. (Bernard Léchot, swissinfo.ch Bâle). Peu importe cependant que ce soit là le but de l’expo, tout indique en effet que c’est le cas, l’intéressant est que l’on peut la voir autrement.
Objet technique et de désir, la voiture n’est plus ni l’un ni l’autre. A part la mort qui l’accompagne depuis ses débuts, elle n’a tenu aucune de ses promesses.
En qualifiant l’automobile de cathédrale démocratisée de notre époque (il a fait baptiser une Citroën déesse), Roland Barthes n’a pas réussi l’une des meilleures comparaisons. Mais elle a fait école. L’espace d’exposition au Musée Tinguely est organisé comme un lieu de culte circulaire (la voiture ne sert plus qu’à tourner en rond) autour de l’œuvre de l’artiste mexicain Damian Ortega intitulée Cosmic Thing (objet co(s)mique), pièces détachées suspendues d’une Coccinelle, voiture qui avait été créée à la demande d’Hitler par Volkswagen et que l’on connaît désormais sans doute plus au Mexique qu’en Europe. Cela ressemble à ces jouets, modèles réduits à construire qu’on offre aux enfants pour leur catéchisme automobile (Je ne m’exclus pas, je l’ai fait moi-aussi).


Autour du Chœur, les chapelles absidiales dédiées à la vitesse, à l’accident, à divers courants artistiques (pop art, nouveau réalisme, futurisme) et aux différents fétichismes (marchand, religieux, sexuel). Au sous-sol, dans la crypte, les sépultures, mausolées, danses macabres, œuvres de Jean Tinguely lui-même, grand amateur de courses automobiles. Elles sont de mon point de vue ce qui reste de plus impressionnant.
Avant de poursuivre, un petit aparté pour une comparaison avec la cathédrale comme bâtiment.

La Manufacture de verre des usines Volkswagen à Dresde est une cathédrale de verre à la gloire du Dieu automobile. On y célèbre la voiture comme un objet d’idolâtrie. Chaque client d’une Phaeton (nous sommes là dans la mythologie grecque) peut assister en direct au montage et à la finition de sa propre voiture. Dans le film de présentation, Volkswagen affiche l’ambition d’égaler les constructions baroques de Dresde et célèbre la voiture comme une œuvre de Richard Wagner ! Le lieu se veut lui-même espace culturel, d’exposition de peinture, de défilés de mode, de présentation d’opéra. Derrière les vitres défilent les chaines de montage. C’est comme le suggèrent les projecteurs une véritable mie en scène du travail de fabrication d’une voiture.

Retour à Bâle. Comme nous venons de le voir dans l’exemple précédent, autour de l’automobile se cristallise le lien étroit entre Art et Capital. Il s’opère entre les deux – et pas seulement à travers la peinture et la sculpture- des transferts d’images, comme le souligne dans le catalogue de l’exposition Tinguely, Hartmut Böhme. Pour cet auteur, professeur d’esthétique et d’histoire des mentalités à l’Université Humboldt de Berlin, l’automobile, objet de culte central de la modernité est “un artefact dans lequel se synthétise de la manière la plus évidente l’esprit du capitalisme et les énergies de notre culture”. La difficulté de cette thèse réside principalement dans sa temporalité : le présent de cette affirmation ne fonctionne plus. C’est encore plus vrai pour le futur. Aussi bien l’esprit du capitalisme que les énergies de notre culture sont en crise. C’est précisément une époque où la voiture symbolisait les années glorieuses du capitalisme consumériste qui s’achève alors qu’elle est ici considérée comme pérenne.

Non que l’automobile disparaisse de notre quotidien mais son statut d’objet de désir est pour le moins émoussé. La question de l’automobile n’est pas seulement celle du pétrole et des gaz à effet de serre. Si l’avenir n’appartient pas à la voiture individuelle fut-elle électrique mais au partage sous ses formes diverses, c’est aussi parce que l’auto-mobile est de plus en plus inutilement une auto-immobile. La voiture passe 90 % de son temps à l’arrêt, le reste dans les embouteillages ou à tourner en rond à la recherche d’un parking. Ces réalités ne semblent pas encore perçues outre-Rhin. Ceci explique sans doute cela, tous les auteurs du catalogue sont issus de pays de langue allemande où l’on est écologiste à 100% mais … en voiture.
Qu’en est-il des promesses de mobilité, d’ivresse et de liberté de l’accouplement homme-voiture ? Je ne ferai pas un compte-rendu exhaustif de toutes les salles. Je m’arrêterai sur trois d’entre elles dont on peu regretter qu’elles soient séparées ; celles consacrées au futurisme, à la vitesse et à l’accident. L’accident n’est pas le contraire de la vitesse, il est l’accident de la vitesse.

Giacomo Balla Velocità d’automobile, 1913.

Les Futuristes ont sacralisé la “vitesse divine”(Marinetti) et partant la mort qui l’accompagne et la guerre qui est son essence. Le Futurisme ne relève que d’un seul art, celui de la guerre et de son essence, la vitesse, écrit Paul Virilio (Vitesse et politique Editions Galilée 1977)

Avec l’accident, le théâtre est dans la rue (titre d’une œuvre du sculpteur allemand, Wolf Vostell), ce que la littérature aura également observé. L’écrivain autrichien Robert Musil est l’un des premiers sinon le premier à avoir décrit dans un roman un accident automobile, du début à la fin, dès les premières lignes de son roman inachevé L’homme sans qualité. Un texte plein d’ironie. Nous sommes en Août 1913, à Vienne :

Les deux personnes dont je parle s’arrêtèrent tout à coup à la vue d’un attroupement. Un instant auparavant, déjà, quelque chose avait dévié, en mouvement oblique; quelque chose avait tourné, dérapé: c’était un gros camion, freiné brutalement, ainsi qu’on pouvait le voir maintenant qu’il était échoué là, une roue sur le trottoir. Aussitôt, comme les abeilles autour de l’entrée de la ruche, des gens s’étaient agglomérés autour d’un petit rond demeuré libre. On y voyait le chauffeur descendu de la machine, gris comme du papier d’emballage, expliquer l’accident avec des gestes maladroits. Les gens qui s’étaient approchés fixaient leurs regards sur lui, puis les plongeaient prudemment dans la profondeur du trou où un homme, qui semblait mort, avait été étendu au bord du trottoir. L’accident était dû, de l’avis presque général, à son inattention. L’un après l’autre, des gens s’agenouillaient à côté de lui, voulant faire quelque chose; on ouvrait son veston, on le refermait, on essayait d’asseoir le blessé, puis de le coucher de nouveau; on ne cherchait, en fait, qu’à occuper le temps en attendant que Police-secours apportât son aide autorisée et compétente.

Le schéma est depuis classique dans sa chronologie : le dérapage, l’accident, l’attroupement des curieux, l’arrivée des secours. Mais l’accident met mal à l’aise. On est en demande d’une explication “rationnelle”.

La dame et son compagnon s’étaient approchés eux aussi et, par-dessus les têtes et les dos courbés, avaient considéré l’homme étendu. Alors, embarrassés, ils firent un pas en arrière. La dame ressentit au creux de l’estomac un malaise qu’elle était en droit de prendre pour de la pitié; c’était un sentiment d’irrésolution paralysant. Après être resté un instant sans parler, le monsieur lui dit:
« Les poids-lourds dont on se sert chez nous ont un chemin de freinage trop long. »
La dame se sentit soulagée par cette phrase, et remercia d’un regard attentif. Sans doute avait-elle entendu le terme une ou deux fois, mais elle ne savait pas ce qu’était un chemin de freinage et d’ailleurs ne tenait pas à le savoir; il lui suffisait que l’affreux incident pût être intégré ainsi dans un ordre quelconque, et devenir un problème technique qui ne la concernait plus directement.

Phrase admirable : Les poids-lourds dont on se sert chez nous ont un chemin de freinage trop long. On n’y comprend rien mais l’apparente technicité du propos fait figure d’explication rationnelle qui soulage. Ainsi les choses sont à nouveau en ordre.

Du reste, on entendait déjà l’avertisseur strident d’une ambulance, et la rapidité de son intervention emplit d’aise tous ceux qui l’attendaient. Ces institutions sociales sont admirables. On souleva l’accidenté pour l’étendre sur une civière et le pousser avec la civière dans la voiture. Des hommes, vêtus d’une espèce d’uniforme, s’occupèrent de lui, et l’intérieur de la machine, qu’on entr’aperçut, avait l’air aussi propre et bien ordonné qu’une salle d’hôpital. On s’en alla, et c’était tout juste si l’on n’avait pas l’impression, justifiée, que venait de se produire un événement légal et réglementaire.

L’explication technique est complétée par les données statistiques, statistiques dont les spécialistes de Musil ont montré qu’elles sont totalement fausses, ce qui renforce le propos. Car peu importe que les statistiques soient fausses pourvu qu’il y en ait.

D’après les statistiques américaines, remarqua le monsieur, il y aurait là-bas annuellement 90000 personnes tuées et 450 000 blessées dans des accidents de circulation.

Maintenant que nous sommes rassurés, il est peut-être temps de s’interroger sur la victime.

– Croyez-vous qu’il soit mort? demanda sa compagne qui persistait dans le sentiment injustifié d’avoir vécu un événement exceptionnel.
– J’espère qu’il vit encore, répliqua le monsieur. Quand on l’a porté dans la voiture, ça en avait tout l’air. »
Robert Musil : L’homme sans qualité T1 (Editions du Seuil Points pages 11-14)

Le philosophe Ernst Bloch notait qu’après les frayeurs de leur première apparition, les révolutions techniques perdaient leur “caractère démoniaque” et que l’accident en était le rappel.

En fait, la vitesse visible de la substance – celle des moyens de transport, de calcul, ou d’information – n’est jamais que la partie émergée de l’iceberg de la vitesse invisible, celle-là, de l’ACCIDENT, et ceci aussi bien dans le domaine de la circulation routière que dans celui de la circulation des valeurs.Paul Virilio : L’accident originel (Editions Galilée 2005)

Passons dans la crypte, à l’étage en dessous, entièrement dédiée aux danses macabres de Jean Tinguely, grand amoureux de courses automobiles et ami des pilotes de course.

Les œuvres présentes mettent en scène le rapport entre l’automobile et la mort : la faucheuse dans le Safari de la mort moscovite (un gros plan ci-dessous), la Charrette de la terreur, La Lotus (de Jim Clark) associée aux 5 veuves d’Eva Aeppli, installation que Tinguely avait placé dans sa chambre à coucher après la mort du plote de Formule 1 Jo Siffert, Lola T 180 – Mémorial pour Joachim B.

Le sous titre de l’exposition, Je conduis, donc je suis, amusante dans les embouteillages devient ici : je conduis et je cesse d’être.

Plus d’infos sur l’exposition

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Notes berlinoises

1. Métaphores de l’effacement

En janvier 2009 j’avais pris la photo ci-dessous en raison de la phrase qui avait été peinte sur le mur et qui disait : la RDA n’a jamais existé.

Ainsi désormais s’est effacée jusqu’à la référence à l’effacement. Elle a fondu comme neige au soleil. Et pour la première fois, je constate que non seulement les traces matérielles disparaissent mais également leur présence dans la mémoire des individus. L’époque de l’ostalgie à laquelle je n’ai jamais vraiment cru est révolue.

Un  moment j’ai bien cru qu’on allait une fois de plus déplacer la statue de Frédéric 2, Unter den Linden. Elle a beaucoup voyagé déjà. On voit ici à quel point la publicité tend à effacer les repères symboliques de Berlin. C’est encore plus net Podsdamer Platz  où les pans du Mur de Berlin restant ont du mal à résister à la toute puissance de l’invasion publicitaire.

Le prochain mur à abattre est celui de la publicité qui organise la destruction de la culture. Continuer la lecture

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L‘Allemagne s’engage-t-elle dans la 3ème révolution industrielle ?

Extrait du film documentaire Unter Kontrolle (Sous contrôle) de Volker Sattel. Un manège dans la tour de refroidissement du surgénérateur de Kalkar transformé en parc d’attraction

Dans le Journal du Dimanche (5 juin 2011), la présidente d’Areva s’exprimait sur la décision allemande de sortir du nucléaire en ces termes :

Ce n’est jamais que l’application d’une décision prise par Gerhard Schröder en 2002. Angela Merkel a fait une brusque volte-face pour des raisons politiques. Le reste de l’Europe réagit différemment. Deux exemples ces dix derniers jours: la Grande-Bretagne a annoncé le maintien de son programme nucléaire ; le Parlement polonais vient de voter le sien à 90%. Les fondamentaux n’ont pas changé: nous serons 3 milliards de plus d’ici à 2050 ; il va falloir trouver beaucoup plus d’énergie la moins chère possible ; enfin, il va falloir rejeter beaucoup moins de CO2. Or les deux types d’énergie ne produisant pas de CO2 sont les renouvelables et le nucléaire. Par quoi l’Allemagne va-t-elle remplacer son nucléaire? Du charbon? Du gaz? ça veut dire plus de CO2 ! Des énergies renouvelables? Elles sont intermittentes et on ne sait pas stocker l’électricité. L’Allemagne devra donc importer de l’électricité venue de pays ayant tous des programmes nucléaires. Où est la logique?

Nous allons  essayer de répondre à la question de Mme Anne Lauvergeon en nous étonnant que dans un groupe comme Areva, elle ne dispose pas des ressources en interne pour une analyse plus fine de ce qui se passe en Allemagne. A moins bien sûr qu’elle ne considère que les lectrices et lecteurs du JDD ne méritent pas mieux que la plus plate propagande pour empêcher qu’un débat ne se déploie en France. La tentative nous fait perdre beaucoup de temps. Mieux vaudrait peut-être considérer qu’il faut  éviter de se laisser par trop distancer par l’Allemagne.
Reprenons point par point Continuer la lecture

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Anselm Kiefer, lecteur de Faust et alchimiste.

Cette toile d’Anselm Kiefer, artiste plasticien allemand contemporain, visible au musée Würth d’Erstein (67) jusqu’au 25 septembre 2011, est intitulée Le dormeur du Val et date de 2010.
Contrairement à ce qu’il en est dans le poème de Rimbaud, le dormeur avec “deux trous rouges au côté droit” ne se trouve pas dans le tableau. Pas plus d’ailleurs que la mère avec “au cœur une blessure de plomb” (Paul Celan) n’est présente dans celui qui est intitulé Tremble évoquant un autre “paysage” d’après catastrophe en Ukraine.
Le dormeur du Val est un tableau impressionnant. Il a même quelque chose de vertigineux. On a l’impression de pouvoir y pénétrer par creuser la lourde terre labourée parsemée de sang et de fleurs, coquelicots. Elle n’évoque pas seulement la guerre franco prussienne comme chez Rimbaud mais bien d’autres guerres comme celle par exemple d’Afghanistan aujourd’hui (pavot).

Un mot d’abord sur le lieu où se tient l’exposition

La ville d’Erstein se trouve en Alsace, au sud de Strasbourg, à une vingtaine de minutes en train. Après la gare, on peut se rendre à pied au musée en évitant le ballet des gros camions car il se trouve, en pleine zone industrielle. Le Musée Würth a ouvert ses portes en janvier 2008 à côté du siège social de l’entreprise Würth France, une entreprise spécialisé dans les matériels de fixation en tout genre. Que serait l’art contemporain sans la visserie ? La collection Würth, serait l’une des plus importantes collections d’entreprise d’art moderne et contemporain en Europe. Elle possède un fonds particulièrement riche des œuvres de l’artiste allemand, depuis ses œuvres de jeunesse jusqu’à aujourd’hui.
A l’entrée du musée, à l’extérieur, nous sommes “accueillis” par une œuvre intitulée Bibliothèque (avec météorites), 1991, Livres en plomb, pierre en plomb, fil métallique et fer, Collection Würth.
Elle situe d’emblée les productions de l’esprit dans leur pleine matérialité à une époque où de beaux esprits nous peignent la culture en mauve pour nous vendre leur croyance en l’immatérielle conception
Le plomb présent dans de nombreuses œuvres de cette exposition (Jason, Batailles navales, la dernière charettée, Merkaba, etc) est vraiment du plomb et pas une image de plomb tout comme le plâtre, la paille, les branches, la chaise pliante y figurent en tant que tels et donnent aux tableaux une troisième dimension.
Le plomb évoque dans le cas de la Bibliothèque celui de l’imprimerie, cette magie noire à l’époque de son invention qui est aussi celle du vrai Dr Faust, et plus généralement l’alchimie, la transformation de la matière. Anselm Kiefer l’alchimiste. L’alchimie n’est pas une spéculation mais un travail comme il le dit lui-même : “Oui, c’est un travail, l’alchimie. C’est une transformation, un métabolisme. Les alchimistes ne font rien de plus que la nature, mais ils le font plus vite ”.

J’évacue une partie de l’exposition parce que si je peux comprendre la démarche, je n’arrive pas à me situer par rapport aux œuvres qu’elle a produites. Dans les années 1960, Anselm Kiefer veut “expérimenter physiquement le nazisme” avec un voyage “d’occupation” à travers la France, l’Italie et la Suisse, et il crée une série d’œuvres photos, des autoportraits dans lesquels il effectue le salut nazi.

On peut se demander en comparaison avec le reste si elles ne devraient pas plutôt figurer comme en annexe dans une salle de documentation. Car elles documentent effectivement quelque chose, la volonté d’Anselm Kiefer d’endosser une histoire qu’il n’a pas vécue, ce qui fait de son œuvre un travail de “mémoire sans souvenir”. L’histoire est “une sorte de carrière” d’où l’on peut extraire un matériau à façonner. Anselm Kiefer est né, en 1945 dans une Allemagne dévastée dans laquelle s’amoncelle les ruines matérielles et morales. Ses œuvres tournées vers le recommencement après la catastrophe, ne sont pas sans évoquer le travail dans lequel est engagé le Faust de Goethe dont l’artiste plasticien est un lecteur assidu. Peut-être a-t-il entendu, comme le Docteur Faust, dans son cabinet, le chœur des esprits invisibles, les “petits” chérubins de Méphistophélès :

FAUST I. Cabinet d’études 2

Chœur d’esprits invisible

Par malheur, hélas,
Tu l’as détruit
Ce beau monde
De ton poing (Faust) puissant
Il s’effondre, il s’écroule
Sous les coups d’un demi-dieu.
Nous en précipitons les débris dans le néant
Et nous pleurons sa beauté perdue.
Oh le plus grand des enfants de la terre,
Viens le reconstruire
Plus splendide encore.
Reconstruis-le dans ton cœur !
Recommence une nouvelle vie
L’esprit clair
Et de nouveaux chants
Résonneront pour t’accompagner

Les débris du monde détruit jetés dans le néant, un monde à reconstruire par celui-là même qui l’a détruit, Rosa Luxemburg cite le passage souligné en rouge dans un texte intitulé Ruines qui lui est attribué et qui est paru en septembre 1914 dans la Correspondance social-démocrate n°112. Elle y souligne avec beaucoup de force l’énorme paradoxe du capitalisme tout à la fois capable de créer des œuvres les plus sublimes pour les détruire ensuite à une vitesse vertigineuse. Et recommencer.
“ Le capitalisme moderne, écrit-elle, fait triompher son chant satanique dans l’actuel ouragan mondial. Il n’y a que lui pour accumuler en quelques décennies autant de richesses scintillantes et les œuvres culturelles les plus brillantes pour les transformer en quelques mois en champs de ruines avec les moyens les plus raffinés. Il n’y a que le capitalisme pour réussir à faire de l’homme le prince des terres, des mers et des airs, un demi-dieu joyeux, maître des éléments pour ensuite le laisser crever dans la misère, dans les débris de sa propre splendeur dans des souffrances qu’il a lui-même produites”.
Cet homme concret, prince et/ou miséreux, est absent des tableaux d’Anselm Kiefer mais non les avions, les bateaux de guerre, instruments de la destruction qu’il a construit.

Dans le texte cité, Rosa Luxemburg relève encore combien les valeurs spirituelles rejoignent l’amas de débris matériel et souligne, c’est le sens de l’utilisation qu’elle fait de la citation de Goethe, que la reconstruction passe par le cœur et l’esprit, la remobilisation du patrimoine culturel de l’humanité pour produire une nouvelle alchimie. J’ai l’impression que ce programme, Anselm Kiefer l’a fait sien, une guerre mondiale plus tard.

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Ophélie-Electre

La “femme sans visage” du Sofitel de New-York, dont on ne connaît que la silhouette enveloppée dans une couverture blanche tel un fantôme, comme l’écrit Le Monde du 20 mai 2011, s’était choisi, dit-on, le pseudonyme d’Ophélia. Cela m’a tout de suite fait penser à une autre Ophélie. Non pas celle de Rimbaud ou de Shakespeare mais celle qui prête sa voix à Electre, celle de Heiner Müller telle qu’elle apparaît dans le cinquième et ultime épisode de Hamlet-machine (Editions de minuit)

OPHÉLIE
(pendant que deux hommes en blouses de médecin enroulent autour d’elle et du fauteuil roulant des bandelettes de gaze de bas en haut)
C’est Electre qui parle. Au cœur de l’obscurité. Sous le soleil de la torture. Aux métropoles du monde. Au nom des victimes. Je rejette toute la semence que j’ai reçue. Je change le lait de mes seins en poison mortel. Je reprends le monde auquel j’ai donné naissance. J’étouffe entre mes cuisses le monde auquel j’ai donné naissance. Je l’ensevelis dans ma honte. A bas le bonheur de la soumission. Vive la haine, le mépris, le soulèvement, la mort. Quand elle traversera vos chambres à coucher avec des couteaux de boucher, vous saurez la vérité.
(Les hommes sortent. Ophélie reste sur la scène, immobile dans cet emballage blanc.)

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La roue tourne mais ce qu’il nous faut c’est pas de maître du tout

Ce n’est pas un maître différent qu’il nous faut
Ce qu’il nous faut, c’est pas de maître du tout.

Depuis que je l’ai entendue à l’occasion du spectacle Têtes rondes et Têtes pointues, de Bertolt Brecht, monté par le Théâtre Gérard Philippe de Saint Denis (mise en scène : Christophe Rauck), la phrase me trotte ainsi dans la tête. Je ne l’avais jamais entendue comme cela. Les anciennes traductions ne la rendaient pas aussi nettement. Et le prononcé déborde le texte écrit.
Ce n’est pas tant la référence au slogan anarchiste, “ni Dieu ni maître” qui m’intéresse que l’idée selon laquelle le cycle des alternances ne constitue pas une alternative.
Mais écoutons d’abord la Ballade composée et chantée par le grand Hanns Eisler. Sa version n’est pas tout à fait celle de la pièce. On en donnera quelques explications un peu plus loin.


Dans la pièce, elle est chantée par Nanna, serveuse et prostituée. Comme on s’étonne qu’elle ne se réjouisse pas de l’arrestation du propriétaire terrien De Guzman, elle répond en substance : bof, celui(celle)-là ou un(e) autre !
Et entame la Ballade de la roue à eau
1
Des grands de cette terre
Les épopées nous apprennent :
Que les étoiles montantes
Un jour ou l’autre chutent
C’est toujours bon à savoir.
Mais pour nous, qui devons les nourrir,
C’est toujours du pareil au même.
Montée ou chute : qui paie les frais? Bien sûr que la roue tourne
Ce qui est en haut, n’y reste pas.
Mais pour l’eau en bas, cela ne change
Rien: c’est elle qui fait tourner la roue.

2
Ah, nous en avons eu, des maîtres
Des tigres et des hyènes
Des aigles et des cochons
Mais nous les avons nourris, les uns comme les autres.
Qu’ils aient été mieux ou pires:
Une botte est toujours une botte
Et elle nous écrasait. Vous comprenez: je veux dire
Ce n’est pas un maître différent qu’il nous faut mais aucun!
Bien sûr que la roue tourne
Ce qui est en haut, n’y reste pas.
Mais pour l’eau en bas, cela ne change
Rien: c’est elle qui fait tourner la roue.
3
Et ils se tapent sur les têtes
Jusqu’au sang, s’arrachant le butin
Traitent les autres d’imbéciles cupides
Et eux-mêmes de gens de bien?
Sans cesse nous voyons comme ils se fâchent
Et se combattent. Seulement
Quand nous ne voulons plus les nourrir
Ils se mettent tout à coup d’accord.
Bien sûr que la roue tourne
Ce qui est en haut, n’y reste pas.
Mais pour l’eau en bas cela ne change
Rien : c’est elle qui fait tourner la roue.
(Traduction Eloi Recoing et Ruth Orthmann).
Editions L’Arche

La version chantée par Hanns Eisler est légèrement différente de celle de la pièce écrite dans les années 1930 après l’arrivée d’Hitler au pouvoir (1933) alors que son auteur se trouvait déjà en exil.
La modification introduite par Brecht en 1951 lors de l’édition isolée de la ballade dans le recueil Cent poèmes concerne la troisième reprise du refrain. Brecht rompt le cycle de la fatalité qui, dans ce conte horrifique, est dans la logique du personnage par les phrases suivantes :
Car la roue s’est arrêtée de tourner,
La grande chevauchée est interrompue
Quand l’eau s’unit à l’eau
Et se propulse elle-même

Hans Eisler, lui, chante une troisième version :
Car le manège s’arrête de tourner
Et met fin au jeu
Quand l’eau libérant enfin ses forces
Agit son propre cours

Dans toutes les hypothèses et quelle que soient les exégèses sur les variantes, reste la phrase qui nous a tant attiré sans nous douter qu’elle serait à ce point rattrapée par l’actualité :
Ce n’est pas un nouveau maître qu’il nous faut
Ce qu’il nous faut, c’est pas de maître du tout.

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