Mes remerciements à Jean-Paul Sorg pour avoir confié au SauteRhin ce texte dans lequel il fait l’audacieuse proposition d’une École normale rhénane, une école saute-Rhin en quelque sorte. Proposition qui intervient à quelques mois de la fusion des deux départements de Bas-Rhin et du Haut-Rhin avec la mise en place de la nouvelle Collectivité européenne d’Alsace, le 1er janvier 2021.
Pour une École normale rhénane
Q
uand on examine ce qui a l’air d’une idée utopique, sans réalité, sans lieu de réalisation en vue, et qu’on décrit les circonstances dans lesquelles elle est apparue, on peut se rendre compte parfois qu’elle n’est pas une création gratuite, relevant de la liberté de l’imagination pure, mais qu’elle ramasse en elle, synthétise, des choses, des pensées, des actions, qui ont déjà existé ou existent déjà et encore, en circulation dans le corps social et politique. C’est le cas, on le verra par les rétrospectives, de l’idée d’une École Normale Rhénane (donc transfrontalière, « SauteRhin » !). Une dynamique – culturelle, pédagogique – a déjà poussé et pousse encore dans ce sens de multiple façon. L’utopie est une virtualité dormante, engourdie, ou qui tout de même, on le sent, remue dans quelques consciences – dans une sorte de nébuleuse conscience collective – et demande à naître, à venir au jour. Il n’est absolument pas certain, cependant, que sa naissance serait accueillie « les bras ouverts » et applaudie.S’agissant de cette institution pédagogique qui a reçu en français le nom singulier, qui interroge, d’ « École Normale », on remarquera qu’a été perdu, barré, effacé, non seulement la chose même, mais son nom justement, au profit d’imprononçables et éphémères acronymes. Ou plutôt, si l’on veut : avec le nom a disparu la chose, et avec la chose, le nom.
C’est étrange. Le plus significatif dans cette histoire, le coup du diable, l’irrémédiable, c’est l’effacement, l’oubli des origines, le recouvrement du passé et du sens. Symptôme d’une confusion des esprits, d’un vacillement de la civilisation. Une « bifurcation » est-elle à venir ?
Rétrospective et prospective
École normale rhénane. C’est-à-dire une école destinée à former des enseignants bilingues et de culture européenne, dont l’imminente Collectivité Européenne d’Alsace (CEA) aura besoin, si elle veut exister à la hauteur de son nom et répondre sérieusement aux désirs conjoints d’Alsace et d’Europe.
B
ien que l’appellation « École normale » soit claire et banalisée, certains tiquent et s’interrogent sur le sens donné à « normale ». Dans ces Écoles serait menée une entreprise de « normalisation » ? De quoi ? De l’enseignement et par là de l’esprit des citoyens ? En-dehors, on ne serait pas dans les normes, pas dans la ligne, pas dans le cadre de la République ? On resterait dans le « privé », dans un cadre clérical ? En fait, les premières Écoles « normales » ont été conçues et construites au temps de l’empire napoléonien. Mais néanmoins, de par la personnalité de leur fondateur, dans un esprit républicain, dans le souci d’une administration moderne, avec la conscience que la nécessaire éducation du peuple est dorénavant une tâche qui relève de l’État, et non plus principalement de l’Église ni d’initiatives personnelles ? Il faut en rappeler les circonstances.Histoire
La première École normale de France a été créée en 1810 à Strasbourg. C’est l’œuvre du préfet Adrien de Lezay-Marnésia, qui n’a pas perdu de temps. Il venait d’être nommé dans le Bas-Rhin en début d’année, le 25 février. Sans doute choisi en hâte par Napoléon pour une mission ponctuelle importante : accueillir le 22 mars la princesse Marie-Louise d’Autriche sur son chemin de Vienne à Paris où elle était destinée à épouser l’empereur. Elle avait quitté la capitale autrichienne le 13 mars « à la tête d’un cortège composé de quatre-vingt-trois carrosses ». A la frontière, au pont de Kehl décoré d’une allée de sapins, le préfet d’empire lui exprime « le bonheur qu’éprouve son département à être le premier qui témoigne son allégresse à sa nouvelle souveraine ». Il devait se rappeler, mais se garda sûrement d’en parler, l’arrivée, quarante ans plus tôt, le 7 mai 1770, de l’archiduchesse d’Autriche, Maria Antonia, destinée à épouser Louis XVI… Une toute autre époque ? Peut-être pas tellement. Ce sont deux moments de l’histoire de l’Europe, entre France et Autriche !
« L’immense flot de magnificence du cortège nuptial, une gigantesque cavalcade de trois-cents-quarante chevaux » (Stefan Zweig), entra par la porte d’Austerlitz et se déversa dans les rues de Strasbourg. L’étudiant Wolfgang Goethe, arrivé il y a un mois à peine, se trouvait dans la foule. Le rite de « la remise de l’épouse » eut lieu alors sur l’île aux Épis au milieu du Rhin.
Adrien de Lezay-Marnésia est né en 1769, un an avant l’arrivée à Strasbourg de Goethe – et de Marie-Antoinette ! D’une famille noble franc-comtoise, installée à Moutonne, dans le Jura, il était le fils d’un député aux États généraux qui rejoignit les rangs du Tiers Etat. Il étudia la diplomatie au Collegium Carolinum de Braunschweig, de 1785 à 1787, et plus tard, dans la situation d’un aristocrate émigré, les lettres à l’université de Göttingen, de 1791 à 1792. Il rencontra Goethe et Schiller, traduisit de celui-ci le drame Don Carlos, une tragédie politique en cinq actes qui montre à la fois la logique interne du pouvoir et la faiblesse des belles idées de liberté, quand le temps n’est pas encore venu… L’inquisition triomphe. Le soulèvement des Pays-Bas contre la domination espagnole sera écrasé. Dans une préface, le traducteur commente la pièce longuement, en philosophe, et souligne que contrairement aux idées reçues « des deux langues, c’est l’allemande qui est la plus souple et la française qui est roide… »
Napoléon l’avait distingué justement pour sa connaissance de la culture et de la langue allemande. Il lui confia en 1805 une première mission à Salzbourg et se montra d’abord quelque peu agacé en lisant ses rapports. Trop de bavardage philosophique (à la Schiller). « Bientôt, il ne m’écrirait plus qu’en allemand… » Il est déplacé en 1806 à Coblence, comme préfet du département Rhin et Moselle. Là il révèle pendant quatre ans ses talents d’administrateur, à la fois inventif, bouillonnant d’idées nouvelles, et pragmatique, tenace, sachant convaincre et entraîner. A Salzbourg déjà il avait lancé une « École normale ». Il en crée une plus développée à Coblence. Le problème est d’organiser et d’assurer un enseignement du français, qui est la langue de l’empire. Il faut le faire en tenant compte de la situation linguistique du pays dont les habitants ont pour langue maternelle et langue d’usage l’allemand.
Il en va exactement de même dans le Bas-Rhin ! Bien que la province soit française depuis un siècle et demi, sa population continuait à s’exprimer « comme le bec lui poussait » ; la plupart des notables, comme les maires, ne maîtrisaient pas le français. Anecdote vraie ou inventée comme blague : à un recensement administratif qui demandait : Combien de crétins dans votre village ?, un maire répondit : Nous le sommes tous ! Par « crétins » il avait compris de bonne foi « chrétiens ».
Cette situation d’ignorance enrageait certains représentants de l’autorité. Le préfet de la Moselle, Vienot de Vaublanc, en visite à Saint-Avold, déchira devant les élèves et leur maître les livres allemands de la bibliothèque et menaça l’instituteur de représailles s’il s’obstinait à se servir de tels livres. Lezay-Marnésia avait déjà compris qu’il fallait former les instituteurs, en partant de leur pratique de l’allemand, et développer un enseignement bilingue, selon un idéal qu’il était heureux d’incarner lui-même. Dans un arrêté préfectoral du 24 octobre 1810, rédigé en français et en allemand, il précisa que l’objectif de l’École normale qu’il ouvrait était bien de « répandre la connaissance de la langue française dans toutes les classes de la société », mais que la langue allemande y serait respectée et sa connaissance renforcée par un enseignement littéraire.
Durant sa courte carrière, ce préfet mit en œuvre encore bien d’autres idées « concrètes » : il fit ouvrir aussi une école de sages-femmes comme à Coblence, il se préoccupa de l’hygiène, organisa des campagnes de vaccination contre le typhus et la variole, interdit aux paysans d’entasser le fumier dans la rue, devant leur maison ; il encouragea la culture de la betterave à sucre, du tabac et du houblon, distribua des prix lors de fêtes agricoles, fit aménager les chemins vicinaux et étendit le réseau routier, avec des « bancs-reposoirs », appelés « bancs du roi de Rome », tous les six kilomètres. En somme, dans les domaines les plus divers, il conduisit un véritable et durable travail de civilisation, s’inspirant, dit-on, de l’exemple du pasteur Oberlin sur son territoire du Ban-de-la-Roche. Il devint comme un « père » pour le département.
Sans faire d’histoire, sachant qu’une nation tient debout par son administration, il était passé en avril 1814 du service de l’empereur au service du roi. En octobre, il lui fallut accueillir et accompagner le duc de Berry, neveu de Louis XVIII, un personnage désinvolte qu’il n’estimait sans doute pas, mais le protocole oblige et il faut faire aimer l’Alsace. Sur la route, vers Haguenau, se produisit alors un accident fatal. Roulant à vive allure, la voiture préfectorale versa dans un fossé et le préfet s’embrocha dans son épée d’apparat. Une mort sans rapport avec l’homme. Une grimace du diable. Ehrenfried Stöber : « Pleure Alsace, il est tombé notre Lezay, lui qui, plus que tous, fut notre père ».
Avenir
Retenons que ce n’est pas un hasard, mais un privilège particulier, si Strasbourg fut le premier siège d’une École normale en France, dans la foulée pour ainsi dire des départements allemands du Rhin, dont le Bas-Rhin ! Ce qu’un préfet-gouverneur avait alors imaginé et réalisé, en répondant à un besoin linguistique pratique, un(e) président(e) de région, je veux dire d’une région comme la Collectivité européenne d’Alsace (et de Moselle ?), pourra-t-il, voudra-t-il, le faire demain, cette fois-ci en réponse à un « désir d’alsacien » et un besoin d’allemand ?
Là où il s’agissait, il y a deux siècles, de réguler (« normaliser ») un enseignement du français en pays de langue allemande, il faudra demain, sans tarder, réguler, instituer, un enseignement de l’allemand dit standard et de l’allemand alsacien, dans la perspective toute européenne d’un bilinguisme et humanisme rhénan.
Une utopie ? Ceux qui (à Paris) nous gouvernent verticalement ne voudront rien entendre et ne permettront rien de particulier qui sorte des clous d’un jacobinisme identifié au génie français d’une République une qui ne partagera (ne « divisera ») jamais le pouvoir ? Des manifestations éparses montrent pourtant que quelque chose comme une École normale spécifique (qu’importe le nom) serait une institution raisonnable et utile. On apprend par la presse que l’université de Strasbourg va ouvrir à la rentrée une formation au dialecte alsacien, qui sera sanctionnée au bout de deux ans par un diplôme universitaire (DU). Et un campus européen va lancer simultanément à Strasbourg et à Fribourg/Brisgau un cursus de master binational dans le domaine de l’éthique. Bravo !
Ces initiatives heureuses seraient plus visibles et plus conséquentes si elles traduisaient une volonté régionale claire, politiquement fondée, et s’inscrivaient dans une institution publique pérenne. La place d’une « formation au dialecte alsacien » et à la dialectologie est dans une École normale que nous appelons « rhénane » parce que ça fait bien et, plus sérieusement, parce que, pour produire des résultats, elle devra s’ouvrir, s’affirmer transfrontalière, accueillir des étudiants des deux rives du Rhin et mobiliser les compétences de professeurs venant de l’Allemagne proche et de la Suisse proche. Tout cela est déjà en germe ici et là, si on regarde bien, et ne demande qu’à être cultivé.
L’idée d’une Ecole Normale rhénane, à bâtir dans le cadre de la Collectivité Européenne d’Alsace, n’est pas une chimère. Mais une solution pratique à de nombreux problèmes de formation et de motivation pédagogique qui durant des décennies n’ont pu être traités que de manière très partielle, bancale, hésitante, qu’au prix de compromis compliqués, sanctionnés par le découragement et souvent soldés par l’échec.
Les années 1980, sous le rectorat de Pierre Deyon (1981-1991), avaient vu l’émergence d’un enseignement de Langue et Culture Régionales (LCR) et la reconnaissance presque révolutionnaire, impensable après la guerre, de l’allemand comme « langue régionale de France », avec ses composantes ou variations dialectales. L’enseignement était optionnel, bien sûr, et confiné à la marge, difficilement calé dans les emplois du temps, mais quand même… Il existait, inscrit dans l’institution et couronné par une épreuve au Bac. Que d’espoirs il soulevait !
A l’évidence, il fallait alors former et encadrer les enseignants volontaires, idéalistes, plus ou moins militants ; l’administration rectorale s’y employa, y mit les moyens, contournant les obstacles et vainquant les réticences. Des journées de formation furent organisées à l’université de Strasbourg. Les chefs d’établissement arrangeaient les emplois du temps du professeur volontaire, de façon à lui libérer un mercredi sur deux.
Les pionniers de Langue et Culture Régionales (LCR)
Il y eut des candidats de tous les « coins » d’Alsace, du fond du Haut-Rhin comme du Bas-Rhin. Pour certains, c’était plus d’une heure de route ou de train jusqu’à Strasbourg, plus le trajet de la gare à l’université. Les cours commençaient à 9 heures. Première rentrée 1985-1986. Histoire avec Georges Bischoff, qui ne prétendait pas encore vouloir « en finir avec l’histoire d’Alsace » ! Sociologie avec Freddy Raphaël, qui délaissant les généralités se polarisait cette année-là sur les ex-voto, par exemple ceux qu’on trouve à Notre-Dame de Thierenbach, qu’il nous invitait à analyser comme un phénomène de culture et de religion populaire. La dialectologie était naturellement l’affaire de Raymond Matzen, toujours plein d’entrain avec des sacs d’anecdotes. Et la littérature, à l’institut des études germaniques, revenait à Adrien Finck, qui travaillait alors à composer un manuel, Littérature Alsacienne XXe siècle, qui allait paraître en 1990 et devait rendre les mêmes services que les Lagarde et Michard.
C’était aussi l’âge d’or du CRDP, Centre Régional de Documentation Pédagogique, installé dans un bâtiment universitaire et facile d’accès. Il éditait tous les trois mois de nouveaux Cahiers littéraires (sur des auteurs passés et même contemporains, de Sébastien Brant à Claude Vigée), avec une biographie, des analyses et un choix de textes. De même était produite par des spécialistes une abondante documentation historique et géographique. Les auteurs travaillaient en toute liberté. On y croyait. On avait la foi. Un réel « désir d’Alsace » animait les intellectuels, les artistes et nombre d’enseignants dans toutes disciplines. Une conscience écologique perçait de pair avec la conscience régionale. Des leçons de géographie et d’initiation à la nature (botanique et paysages) furent intégrées spontanément aux programmes. En tout se manifestait une créativité pédagogique rare, encouragée et soutenue d’en haut dans un esprit d’ouverture.
Pierre Deyon lui-même, recteur de l’Académie de Strasbourg, avait préfacé l’ouvrage dirigé par Adrien Finck. « Nous attendions ce manuel de littérature alsacienne du XXe siècle, au moment où nous percevons mieux que jamais la vocation particulière de cette région appelée au cœur de l’Europe à jouer un rôle significatif dans le rapprochement des cultures et l’éveil d’une conscience communautaire. L’histoire de l’Alsace, sa situation géographique, lui permettent aujourd’hui d’organiser facilement un courant permanent d’échanges transfrontaliers dans le domaine de la littérature et des arts… »
Trente ans après, où en sommes-nous ? Qu’entendons-nous ? Les prémices de ce que pourrait reprendre et développer maintenant une Collectivité européenne d’Alsace ? On dirait qu’elle était déjà là, comme en pointillé ? On voudrait avoir confiance. Mais on n’ose, échaudé par l’expérience du lointain et proche passé… Cette collectivité encore indéterminée jouira-t-elle des libertés nécessaires pour engager et mener une politique linguistique et culturelle cohérente, réellement novatrice, sans les entraves qu’y a toujours mises le système de l’Éducation nationale ?
EN-CFEB-IUFM-ESPE
Jusqu’ici, la rhétorique d’un idéal rhénan européen couvrait rituellement de ses fleurs des politiques biaisées, contraintes, et, pire, une absence de politique, une impuissance politique, et un état pédagogique qui ne cessait de se dégrader. A relire les belles circulaires du temps du recteur Deyon, l’on s’aperçoit qu’elles présupposaient – encore – chez les enfants une pratique ou du moins une compréhension première du dialecte comme « parler de la maison ». Or, pendant que l’on bricolait selon les bonnes volontés et les dévouements disponibles un enseignement ouvert de la culture régionale, l’usage privé et public du parler dialectal était en chute libre accélérée, jusqu’à frôler comme aujourd’hui un niveau proche de zéro. Généreuse, évitant toute discrimination, la culture régionale n’exigeait aucune connaissance de la langue régionale et de sa littérature.
Les réformes se succèdent. L’enseignement de LCR recule, se relâche ou stagne. Les options donnant des points au Bac se multiplient et se concurrencent. La production du CRDP fléchit, elle a excédé la demande, c’est-à-dire les capacités de consommation ou d’utilisation des enseignants comme des élèves, de moins en moins informés et motivés. Les deux « Finck », Littérature alsacienne XXe siècle et Histoire de la littérature européenne d’Alsace, se sont mal vendus. Au grand dam de leurs éditeurs, il reste vingt ans après d’importants stocks dont personne ne se soucie.
Un saut politique qualitatif parut être l’ouverture d’un Centre de Formation aux enseignements bilingues (CFEB), inauguré en 2001 à Guebwiller, dans l’ancien « château » de la Neuenburg des princes-abbés de Murbach. Un lieu historique adapté. C’était bien une sorte d’École Normale « spéciale », dans les locaux mêmes et les meubles de l’ancienne Ecole Normale – « normale » !- de jeunes filles (catholiques), qui fut inaugurée là en 1949 et où exerça un temps, il faut que je le dise, le germaniste Emile Storck, un des plus grands poètes de la littérature dialectale alsacienne.
Le Centre accueillait une centaine d’étudiants et de stagiaires et une dizaine de personnels administratifs, c’était bon pour l’emploi et le commerce en ville et le cadre était agréable, mais cédant à une logique économique de concentration et pour des raisons ferroviaires, parce que depuis 1969 le train n’allait plus jusqu’à Guebwiller, le Conseil régional et les Conseils généraux décidèrent le transfert de l’École à Colmar. Puis, le CFEB se perdit dans les sables de l’IUFM (Institut Universitaire de Formation des Maîtres), avant de couler dans les eaux de la mastérisation et d’une École Supérieure du Professorat et de l’Éducation (ESPE)…
Bref, de sigle en sigle, au gré des ministres de l’Éducation nationale qui changent avec les gouvernements et donc chacun veut corriger les mauvaises réformes de son prédécesseur, on brouille les repères, on se lasse, on s’égare, les intéressés eux-mêmes ont du mal à trouver leur chemin dans la luxuriante broussaille bureaucratique et acronymique. Le public (le peuple) n’y comprend plus rien.
Un test politique
Il n’y a plus d’avant… Il n’y a plus d’École normale. Le nom devenu familier et le concept se sont effacés. En allemand, on dit depuis longtemps « Lehrerseminar » – ou Pädagogische Hochschule – et tout le monde comprend. « École Normale rhénane » se dirait Oberrheinisches Lehrerseminar. Après les périodes de repli par manque de volonté générale claire et après le coup qui pouvait être fatal de l’absorption de la région Alsace dans un bloc de l’Est, la perspective d’une nouvelle collectivité alsacienne à vocation européenne réveille l’espoir et stimule l’imagination.
La société civile, souple, sensible, inventive, est toujours en avance sur la politique, pétrifiée dans ses structures et entravée par des calculs électoraux. Sans attendre, dans le souffle de l’esprit d’ouverture et pour répondre à des besoins économiques et sociaux manifestes, de nombreuses initiatives de partenariats franco-allemands ont déjà été prises en marge, des échanges sont pratiqués entre les écoles et au niveau universitaire. Il y a les filières Abi-bac et il y a Eucor, le campus européen, Confédération européenne des universités du Rhin supérieur. Par exemple, des étudiants font une première année de licence d’allemand à l’Université de Haute Alsace (UHA) de Mulhouse, suivie à Fribourg d’un premier semestre théorique de sciences de l’éducation et puis d’un second de stages dans les écoles des environs. Retour en 3e année à l’UHA, pour les sciences de l’éducation enseignées en français. Ensuite, la préparation du master, un an à Fribourg, un an à Colmar. En fin de course, habilitation à enseigner aussi bien en Allemagne qu’en Alsace France.
Si de tels dispositifs existent – déjà – et donnent satisfaction, que demander de plus à une École Normale « rhénane » ? La clarté et l’affichage pour l’Alsace d’une politique culturelle déterminée. Construire et ouvrir une telle Ecole, c’est la seule solution durable au problème du recrutement d’enseignants LCR bilingues. « Construire » ne veut pas dire forcément bâtir des murs. Pour commencer, on mettra sur pied une banque de données et un télé-enseignement. Cela ne va pas coûter à la Collectivité les yeux de la tête ! Mais la fondation d’une telle Ecole Normale ou de quelque chose de semblable sera comme un test pour la CEA qui devra prouver la réalité de ses pouvoirs particuliers.
Jean-Paul Sorg
Bibliographie
Voilà un souffle bienvenu, et la lecture de ce texte inspirant est un régal ! cette rétrospective fort utile donne un éclairage dynamique et concret, de nature à se mettre en mouvement pour construire. Merci Jean Paul Sorg et foin des atermoiements et autres frilosités qui plombent les initiatives dynamiques. Tous les ingrédients sont là !