Des manifestations ont à nouveau eu lieu en particulier à Berlin où ils étaient un peu moins nombreux mais où les rendez-vous qui perdurent depuis le mois d’août sont désormais devenus quotidiens et Francfort où le mouvement n’a pas faibli comme on peut le constater ici en vues panoramiques. Prochain rendez-vous le 11/11/2011
Mais le malaise ne s’exprime pas seulement parmi ceux qui veulent installer des tentes devant le Reichstag ou la Banque centrale européenne. On en trouve des témoignages aussi ailleurs. Deux exemples.
Les maîtres du monde
Le journal zurichois Tagesanzeiger, l’un des trois grands quotidiens suisses de langue allemande est revenu, ce dernier week-end, sur l’étude des chercheurs de l’Institut fédéral suisse de technologie – dit ETH – The network of global corporate control qui avait été repéré sur le blog de Paul Jorion, début septembre. Elle traite de l’extraordinaire concentration du pouvoir économique mondial entre les mains de 147 firmes transnationales qui ne dominent pas seulement leurs domaines d’activités propres mais 40 % du reste de l’économie. Parmi ces maîtres du monde les ¾ appartiennent à l’industrie financière. Comme le souligne dans le journal suisse l’un des auteurs de l’étude, James Glattfelder, cette concentration n’est pas seulement une menace pour la démocratie, elle en est une aussi pour la stabilité du système elle-même. En outre elle met hors jeu toute velléité de concurrence car ces puissants sont liés entre eux par des intérêts communs.
L’étude (en anglais) se trouve ici
Rendez-nous le marché
Frank Stocker a 42 ans. Depuis 42 ans, il est dit-il capitaliste. Il écrit pour ces couches moyennes qui ont hérité au berceau d’un paquet d’actions et qui ont grandi au rythme des succès et difficultés des entreprises dont ils étaient actionnaires. Aujourd’hui rien de va plus. Il s’écrie dans d’édition dominicale du journal die Welt dont il est journaliste : « Rendez-nous le marché »!
Car la bourse de mon enfance, la bourse telle qu’elle a fonctionné à travers les siècles n’a plus rien à voir avec la bourse d’aujourd’hui. Ce que l’on appelle marché financier n’est plus un marché. C’est un univers parallèle, détaché de toute utilité économique. On n’y met plus en relation capital et production. Ce n’est plus que la rencontre du capital avec le capital. L’argent n’est pas placé pour être investi. L’argent est utilisé pour des paris. Pour l’exprimer en termes bibliques : la maison du marché a été transformée en caverne de brigands. Il n’y a pas là de place pour d’authentiques capitalistes comme moi.
Suit un développement sur la place de l’informatique dans la finance, le rôle des algorithmes à la Bourse, la bulle spéculative sur l’argent (le métal) pour arriver à la conclusion :
Je suis comme dit un capitaliste né. C’est pourquoi je veux que la casino redevienne un marché. Car ce n’est que si las marchés financiers y sont ramenés même si cela doit se faire par de fortes interventions régulatrices, que le capitalisme pourra à nouveau déployer sa force bienfaitrice et développer notre prospérité. D’où cet appel aux politiques, aux banques ainsi qu’à tous ceux qui peuvent y contribuer : rendez-moi, rendez-vous le marché.
La fin surtout peut faire sourire les mécréants dépourvus d’actions mais ce n’est pas cela qui nous intéresse. J’y vois surtout un témoignage de ce que le sociologue Christoph Deutschmann a appelé l’“effet Buddenbrook collectif”[1].Ceux qui placent leur argent croient avoir un droit naturel à des gains mais ils ne se préoccupent pas de savoir comment ils peuvent être obtenus. L’accumulation des conséquences pratiques de ces attentes individuelles ruine les conditions même de la poursuite de l’enrichissement. L’effet Buddenbrook fait référence au roman dans lequel Thomas Mann raconte l’apogée d’une riche famille bourgeoise les Buddenbrook depuis le 16ème et son déclin au 19è siècle.
Le texte cité est très éloquent aussi sous un autre aspect, celui de l’échec de l’ordolibéralisme qui, selon Michel Foucault dans la Naissance de la biopolitique, voulait créer une société entrepreneuriale et façonner un homo oeconomicus c’est-à-dire « l’homme de l’entreprise et de la production » qui n’est pas celui de la spéculation. Et c’est la Gauche (Die Linke), en congrès ce même week-end, qui réclame le retour à l’ordolibéralisme en revendiquant aujourd’hui des affinités avec ses pères fondateurs Walter Eucken, Wilhelm Röpke et l’ultra réactionnaire chancelier Ludwig Erhard tout en canonisant, par ailleurs, un autre ancien chancelier, social-démocrate lui, Willy Brandt. Comprenne qui pourra !
[1] Christoph Deutscmann : L’effet Buddenbrook collectif. Les marchés financiers et les couches moyennes. Institut Max Planck pour les sciences sociales Cologne. MPIfG Working Paper 08/05
Bonjour,
Comprenne qui pourra…
En effet. Parce que l’ordo-libéralisme c’est bien la facette allemande du colloque Walter Lippmann (Paris, 1938) où l’on trouve entre autres Wilhelm Röpke aux côtés de Ludwig von Mises, Friedrich Hayek et d’autres qui fonderont, toujours avec Wilhelm Röpke et cette fois avec Walter Eucken aussi, la société du Mont-Pèlerin, le temple du néo-libéralisme, lui-même à l’origine de plusieurs très importants think tanks néo-libéraux dont Heritage Fundation, par exemple…
Enfin bon… Pour comprendre, je pense que la lecture de Pierre Dardot, Christian Laval, La nouvelle raison du monde, essai sur la société néolibérale, La découverte, 2009 s’impose.
Les auteurs, dont Michel Foucault est une des références, vont plus loin que cette idée de façonnage d’un homo oeconomicus c’est-à-dire « l’homme de l’entreprise et de la production ». Pour les néo-libéraux, l’homo oeconomicus n’est pas seulement « l’homme de l’entreprise et de la production » mais il doit se concevoir lui-même comme entreprise de soi, avec toutes les conséquences que ça peut avoir, dont la responsabilité totale de chacun de son propre sort (les chômeurs sont ainsi responsables eux-mêmes de leur chômage, etc.). Je résume (et donc caricature un peu…).
En tous cas, Die Linke n’a pas l’air beaucoup plus à gauche que notre parti « socialiste »…
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