Comment César fit construire, puis détruire le premier pont sur le Rhin

Nous avons, la dernière fois, à propos du voyage de Montaigne aux bords du Rhin, évoqué le pont que César fit construire sur le Rhin. Nous sommes allés y voir de plus près. Extraits de la « Guerre des Gaules » avec d’abord un court passage de description du Rhin.  A partir de la Meuse.
« La Meuse prend sa source dans les Vosges, qui sont sur le territoire des Lingons [et, après avoir reçu un bras du Rhin, qu’on appelle le Wahal, et formé avec lui l’île des Bataves, elle se jette dans l’Océan et à quatre-vingt mille pas environ de l’Océan, elle se jette dans le Rhin. Quant à ce fleuve, il prend sa source chez les Lépontes, habitant des Alpes, parcourt d’une allure rapide un long espace à travers les pays des Nantuates, des Helvètes, des Séquanes, des Médiomatrices, des Triboques, des Trévires ; à l’approche de l’Océan, il se divise en plusieurs bras en formant des îles nombreuses et immenses, dont la plupart sont habitées par des nations farouches et barbares, au nombre desquelles sont ces hommes qu’on dit se nourrir de poissons et d’œufs d’oiseaux ; il se jette dans l’Océan par plusieurs embouchures.
[…]
La guerre germanique achevée, César, pour maintes raisons, décida de franchir le Rhin ; la meilleure était que, voyant avec quelle facilité les Germains se déterminaient à venir en Gaule, il voulut qu’eux aussi eussent à craindre pour leurs biens, quand ils comprendraient qu’une armée romaine pouvait et osait traverser le Rhin. Un autre motif était que ceux des cavaliers Usipètes et Tencthères dont j’ai dit plus haut qu’ils avaient passé la Meuse pour faire du butin et prendre du blé, et qu’ils n’avaient pas participé au combat, s’étaient, après la défaite des leurs, réfugiés au-delà du Rhin chez les Sugambres, et avaient fait alliance avec eux. César ayant fait demander aux Sugambres de lui livrer ces hommes qui avaient porté les armes contre lui et contre les Gaulois, ils répondirent que « la souveraineté du peuple Romain expirait au Rhin ; s’il ne trouvait pas juste que les Germains passassent en Gaule malgré lui, pourquoi prétendrait-il à quelque souveraineté ou autorité au-delà du Rhin ? » D’autre part, les Ubiens, qui seuls parmi les Transrhénans avaient envoyé des députés à César, avaient lié amitié avec lui, lui avaient donné des otages, le priaient très instamment de leur porter secours, parce que les Suèves menaçaient leur existence. « Si les affaires de la république le retenaient, qu’il fît seulement passer le Rhin à son armée ; cela suffirait pour écarter le danger de l’heure présente et pour garantir leur sécurité future le renom et la réputation de cette armée étaient tels, depuis la défaite d’Arioviste et après ce dernier combat, même chez les plus lointaines peuplades de la Germanie, que si on les savait amis de Rome, on les respecterait. » Ils promettaient une grande quantité d’embarcations pour le transport de l’armée.
César, pour les raisons que j’ai dites, avait décidé de franchir le Rhin ; mais les bateaux lui semblaient un moyen trop peu sûr, et qui convenait mal à sa dignité et à celle du peuple romain. Aussi, en dépit de l’extrême difficulté que présentait la construction d’un pont, à cause de la largeur, de la rapidité et de la profondeur du fleuve, il estimait qu’il devait tenter l’entreprise ou renoncer à faire passer ses troupes autrement. Voici le nouveau procédé de construction qu’il employa. Il accouplait, à deux pieds l’une de l’autre, deux poutres d’un pied et demi d’épaisseur, légèrement taillées en pointe par le bas et dont la longueur était proportionnée à la profondeur du fleuve. Il les descendait dans le fleuve au moyen de machines et les enfonçait à coups de mouton, non point verticalement, comme des pilotis ordinaires, mais obliquement, inclinées dans la direction du courant ; en face de ces poutres, il en plaçait deux autres, jointes de même façon, à une distance de quarante pieds en aval et penchées en sens inverse du courant. Sur ces deux paires on posait des poutres larges de deux pieds, qui s’enclavaient exactement entre les pieux accouplés, et on plaçait de part et d’autre deux crampons qui empêchaient les couples de se rapprocher par le haut ; ceux-ci étant ainsi écartés et retenus chacun en sens contraire, l’ouvrage avait tant de solidité, et cela en vertu des lois de la physique, que plus la violence du courant était grande, plus le système était fortement lié. On posait sur les traverses des poutrelles longitudinales et, par dessus, des lattes et des claies. En outre, on enfonçait en aval des pieux obliques qui, faisant contrefort, appuyant l’ensemble de l’ouvrage, résistaient au courant ; d’autres étaient plantés à une petite distance en avant du pont c’était une défense qui devait, au cas où les Barbares lanceraient des troncs d’arbres ou des navires destinés à le jeter bas, atténuer la violence du choc et préserver l’ouvrage.
Dix jours après qu’on avait commencé à apporter les matériaux, toute la construction est achevée et l’armée passe le fleuve. César laisse aux deux têtes du pont une forte garde et se dirige vers le pays des Sugambres. Sur ces entrefaites, il reçoit des députations d’un grand nombre de cités ; à leur demande de paix et d’amitié, il répond avec bienveillance et ordonne qu’on lui amène des otages. Mais les Sugambres, qui avaient, dès l’instant où l’on commença de construire le pont, préparé leur retraite, sur le conseil des Tencthères et des Usipètes qui étaient auprès d’eux, avaient quitté leur pays en emportant tous leurs biens et étaient allés se cacher dans des contrées inhabitées et couvertes de forêts.
César, après être resté quelques jours sur leur territoire, incendia tous les villages et tous les bâtiments, coupa le blé, et se retira chez les Ubiens ; il leur promit de les secourir si les Suèves les attaquaient, et reçut d’eux les informations suivantes : les Suèves, ayant appris par leurs éclaireurs qu’on jetait un pont sur le Rhin, avaient, à la suite d’un conseil tenu selon leur usage, envoyé de tous côtés l’avis qu’on abandonnât les villes, qu’on déposât dans les forêts enfants, femmes et tout ce qu’on possédait, et que tous les hommes capables de porter les armes se concentrassent sur un même point. Le lieu choisi était à peu près au centre de la contrée habitée par les Suèves c’est là qu’ils avaient décidé d’attendre l’arrivée des Romains et là qu’ils devaient leur livrer la bataille décisive. Quand César connut ce plan, comme il avait atteint tous les objectifs qu’il s’était proposés en franchissant le Rhin – faire peur aux Germains, punir les Sugambres, délivrer les Ubiens de la pression qu’ils subissaient -, après dix-huit jours complets passés au-delà du Rhin, estimant avoir atteint un résultat suffisamment glorieux et suffisamment utile, il revint en Gaule et coupa le pont derrière lui. »
Jules César : Commentaires de la Guerre des Gaules. Texte en ligne
La guerre terminée, César franchit le Rhin, non en bateau comme cela se faisait d’habitude mais en faisant construite un pont probablement quelque part au nord de Coblence mais on ne le sait pas avec certitude. On ne le saura sans doute jamais vraiment, le Rhin était mouvant. Nous sommes en l’an 55 avant notre ère. Cette innovation et traversée avaient pour objectif une impressionnante démonstration de pouvoir. On ne sait trop ce qu’il fit ces dix-huit jours complets passé de l’autre côté mais gageons que s’il y avait remporté des victoires cela se saurait. La démonstration de pouvoir se fait par l’affirmation de la supériorité technique de Rome. Il faudra aux Romains dix jours pour construire un pont ce qui était très rapide, il avait 400 mètres de long et la profondeur du Rhin était de 6 mètres.
Il le fit construire pour impressionner, intimider l’adversaire. Jugeant l’opération réussie, il le détruit. Il ne précise pas pourquoi.
César confère au Rhin une fonction de limite de l’Empire romain. Le fleuve avant lui était une artère commerciale et devait le rester. Que l’on ne se méprenne pas, il ne s’agit pas d’une frontière entre Gaulois et Germains. Il y avait des germains dans le gaulois et des gaulois dans le germain. « Les germains sont une invention de César » affirme Mischa Meier, professeur d’histoire ancienne à l’Université de Tübingen dans un entretien au magazine der Spiegel . Il n’y a pas de consensus sur l’origine du mot germain lui-même. On ne connaît aucun peuple qui ce soit ainsi désigné de son propre chef. Cette construction de l’autre arrangeait César. En homogénéisant et et rendant la figure de l’ennemi la plus effrayante possible, il se grandissait lui-même au service de son ambition première qui était le pouvoir à Rome.
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