Le parti Alternative pour l’Allemagne a frôlé la barre des 5 % de voix nécessaires pour avoir des élus au Bundestag. Avec un score de 4,7 %, ce n’est peut-être qu’un feu de paille. Il faut se rappeler cependant que pour les prochaines élections européennes, le seuil est fixé à 3%. Aussi pourra-t-il renforcer la cohorte des droites extrêmes et ultralibérales au Parlement européen. Je publie avec l’aimable accord de son auteur que je remercie un petit rappel historique des « valeurs » portées par ce parti dont j’avais parlé dès le lendemain de sa création.
Ce rappel permet de fournir à la presse française qui parle avec quelque légèreté de l’AfD comme d’un parti simplement « eurosceptique » quelques éléments d’informations.
J’ajoute à cette collection de citations les sources allemandes pour en faciliter la vérification.
Andreas Kemper est sociologue à Münster, auteur du livre Rechte Euro-Rebellion, la rebellion antieuro de droite. Le texte traduit ci-dessous est paru sur son blog
Comment l’Alternative pur l’Allemagne a-t-elle pu atteindre 4,7 % des suffrages ?
par Andreas Kemper
L’Alternative pour l’Allemagne est un parti qui fut installé en février 2013. Il avait un précurseur : WA2013. Cette organisation qui est apparue en septembre 2012 comme un groupe Facebook, avait avec Bernd Lucke, Konrad Adam et Alexander Gauland un groupe fondateur visible. Les medias ont dormi et omis d’avertir des menaces pour la démocratie que l’on pouvait déduire des déclarations grossières de ces trois conservateurs néolibéraux. Retour en arrière.
Lucke [actuel président de l’AFD]: pour la suppression de l’allocation chômage et de l’aide sociale
Bernad Lucke est signataire de l’appel de Hambourg de 2005 qui non seulement demandait une « plus faible indemnité pour ceux qui avaient déjà de petits salaires » mais affirmait également que « la politique sociale devait faire passer les allocations (chômage) du statut de compensations salariales et à celui de complément salarial ». Aides sociales, allocations chômages, retraites anticipées poussent les salaires à des niveaux que le marché ne peut plus financer.
Adam [Konrad Adam, porte parole de l’AfD ] : pas d’argent pour les retraités, les chômeurs, pas de formation pour les jeunes turcs, limiter le droit de vote
C’est en ce sens que s’exprimait Konrad Adam en 2006 dans un article intitulé « Pourquoi devrais-je payer pour vous ? Il interpelait les lectrices et lecteurs du journal conservateur die Welt : « chacun d’entre vous devrait demander à chaque chômeur, chaque retraité, chaque étudiant de quel droit il part du principe qu’il doit lui payer de quoi vivre, ou sa retraite ou ses études ». Il ne s’est même pas privé de propos discriminatoires à l’égard des handicapés :
« 38 millions de salariés font face à 20 millions de retraités et pensionnés, 8 millions de handicapés, 6 ou 7 millions de chômeurs et 2 millions d’étudiants : des gens qui considèrent que c’est leur droit de vivre avec ce que d’autres gagnent pour eux par leur travail ».
Adam s’est beaucoup exprimé sur l’éducation. Dans son article, « L’éducation ne se redistribue pas » (Bildung lässt sich nicht umverteilen), on trouve des propos clairement racistes à propos du « jeune turc des grandes villes »
« Comme il a du mal avec l’apprentissage mais qu’il joue volontiers du couteau quand quelque chose ne lui plaît pas, il se retrouve au bas de l’échelle quant aux résultats scolaires mais tout en haut dans les statistiques de la criminalité : un cas plutôt désespéré qui précisément pour cette raison, en triple victime de la société, est le bénéficiaire idéal de l’ambitieuse et pédagogique industrie allemande de l’assistanat. »
Adam s’est associé à la position de l’éditeur de la revue libertaire de droite « eigentümlich frei », André Lichtschlag, visant à retirer aux chômeurs le droit de vote.
« Seule la propriété semblait une garantie pour un usage responsable du droit de vote. Ce n’est que plus tard que la capacité de prendre soin de soi et des siens par ses propres moyens a cessé d’être une condition du droit de vote. On peut douter que cela ait constitué un progrès (…). Le surpoids des passifs pèse à la longue sur les actifs (…) »
Ces phrases sont tirées d’un article Qui doit voter ? de 2006. Adam et d’autres membres de l’AfD sont auteurs de cette publication dont le slogan est « Liberté au lieu de démocratie ». Il n’est pas question là de polémique mais de revendications politiques sérieuses.
Gauland [Alexander Gauland, autre porte parole de l’AfD] : les décisions parlementaires majoritaires ne comptent pas
Un mépris identique pour les principes électoraux se retrouve chez Alexander Gauland. Peu avant la création de WA2013/AfD, Gauland se plaignait de la peur des Allemands devant l’usage de la violence militaire. Il s’est référé positivement au discours du fer et du sang de Bismarck en citant le passage suivant :
« Ce n’est pas avec des discours et des décisions majoritaires que l’on tranche les grandes questions de ce temps – ce fut la grande erreur de 1848 et 1849 – mais par le fer et le sang ».
Ce discours, Bismarck l’a tenu en 1862. Peu après, le parlement qui s’opposait au réarmement militaire fut dissous.
AfD et démocratie : l’inversion auteur –victime des medias
La référence à Bismark n’est pas un hasard. Bismarck junker de l’est de l’Elbe représentait les intérêts de la noblesse terrienne. Leurs descendants ont fondé en 2006 le réseau Zivile Koalition (coalition civile) avec la formule programmatique : « réforme des structures de décision ». C’est cette formule qu’Hans-Olaf Henkel [Ancien président du patronat de l’industrie] a fait inscrire dans le programme du Parti Die freien Wähler (les électeurs libres) qui fut d’abord courtisé par WA2013 mais qui fut considéré comme insuffisamment conservateur. D’où la création par WA2013 de l’AfD. Il ne faut pas s’étonner si le NPD (parti néonazi) considère l’AfD comme son « brise glace », que Lucke piétinait dans son milieu électoral et que les scores de l’AfD sont importants là où le NPD faisait aussi beaucoup de voix.
Les fait ci-dessus ont été rassemblés par des bloggeurs. Ce n’est que la pointe de l’iceberg que j’ai dévoilé dans mon livre, un iceberg avec une structure cristalline de réseaux de campagnes brutaux et froids et de laboratoires d’idées proches des entreprises. Il est peu probable que les 360 000 anciens électrices et électeurs de Die Linke qui ont semble-t-il cette fois voté AfD aient eu conscience de l’existence et du rayonnement de ces générateurs de froid.
Au lieu de rapporter clairement et complètement ces faits, les medias ont mis en scène l’AfD comme présumée victime de l’antifa qui à Göttingen aurait aspergé une maison d’essence et à Brême lancé une attaque masquée au couteau contre Bernd Lucke. Rien de tout cela n’était vrai, les démentis ont été discrets, timides et tardifs. – comme dans le cas de Thilo Sarrazin, les medias ont failli. Il y a toujours eu un milieu électoral populiste à droite en Allemagne – il dépend aussi des medias qu’il en sorte ou non un parti victorieux.
(Traduction Bernard Umbrecht)
Un parti aux tendances antidémocratiques et antisociales frôle la barre des 5 %
Le parti Alternative pour l’Allemagne a frôlé la barre des 5 % de voix nécessaires pour avoir des élus au Bundestag. Avec un score de 4,7 %, ce n’est peut-être qu’un feu de paille. Il faut se rappeler cependant que pour les prochaines élections européennes, le seuil est fixé à 3%. Aussi pourra-t-il renforcer la cohorte des droites extrêmes et ultralibérales au Parlement européen. Je publie avec l’aimable accord de son auteur que je remercie un petit rappel historique des « valeurs » portées par ce parti dont j’avais parlé dès le lendemain de sa création.
Ce rappel permet de fournir à la presse française qui parle avec quelque légèreté de l’AfD comme d’un parti simplement « eurosceptique » quelques éléments d’informations.
J’ajoute à cette collection de citations les sources allemandes pour en faciliter la vérification.
Andreas Kemper est sociologue à Münster, auteur du livre Rechte Euro-Rebellion, la rebellion antieuro de droite. Le texte traduit ci-dessous est paru sur son blog
Comment l’Alternative pur l’Allemagne a-t-elle pu atteindre 4,7 % des suffrages ?
par Andreas Kemper
L’Alternative pour l’Allemagne est un parti qui fut installé en février 2013. Il avait un précurseur : WA2013. Cette organisation qui est apparue en septembre 2012 comme un groupe Facebook, avait avec Bernd Lucke, Konrad Adam et Alexander Gauland un groupe fondateur visible. Les medias ont dormi et omis d’avertir des menaces pour la démocratie que l’on pouvait déduire des déclarations grossières de ces trois conservateurs néolibéraux. Retour en arrière.
Lucke [actuel président de l’AFD]: pour la suppression de l’allocation chômage et de l’aide sociale
Bernad Lucke est signataire de l’appel de Hambourg de 2005 qui non seulement demandait une « plus faible indemnité pour ceux qui avaient déjà de petits salaires » mais affirmait également que « la politique sociale devait faire passer les allocations (chômage) du statut de compensations salariales et à celui de complément salarial ». Aides sociales, allocations chômages, retraites anticipées poussent les salaires à des niveaux que le marché ne peut plus financer.
Adam [Konrad Adam, porte parole de l’AfD ] : pas d’argent pour les retraités, les chômeurs, pas de formation pour les jeunes turcs, limiter le droit de vote
C’est en ce sens que s’exprimait Konrad Adam en 2006 dans un article intitulé « Pourquoi devrais-je payer pour vous ? Il interpelait les lectrices et lecteurs du journal conservateur die Welt : « chacun d’entre vous devrait demander à chaque chômeur, chaque retraité, chaque étudiant de quel droit il part du principe qu’il doit lui payer de quoi vivre, ou sa retraite ou ses études ». Il ne s’est même pas privé de propos discriminatoires à l’égard des handicapés :
« 38 millions de salariés font face à 20 millions de retraités et pensionnés, 8 millions de handicapés, 6 ou 7 millions de chômeurs et 2 millions d’étudiants : des gens qui considèrent que c’est leur droit de vivre avec ce que d’autres gagnent pour eux par leur travail ».
Adam s’est beaucoup exprimé sur l’éducation. Dans son article, « L’éducation ne se redistribue pas » (Bildung lässt sich nicht umverteilen), on trouve des propos clairement racistes à propos du « jeune turc des grandes villes »
« Comme il a du mal avec l’apprentissage mais qu’il joue volontiers du couteau quand quelque chose ne lui plaît pas, il se retrouve au bas de l’échelle quant aux résultats scolaires mais tout en haut dans les statistiques de la criminalité : un cas plutôt désespéré qui précisément pour cette raison, en triple victime de la société, est le bénéficiaire idéal de l’ambitieuse et pédagogique industrie allemande de l’assistanat. »
Adam s’est associé à la position de l’éditeur de la revue libertaire de droite « eigentümlich frei », André Lichtschlag, visant à retirer aux chômeurs le droit de vote.
« Seule la propriété semblait une garantie pour un usage responsable du droit de vote. Ce n’est que plus tard que la capacité de prendre soin de soi et des siens par ses propres moyens a cessé d’être une condition du droit de vote. On peut douter que cela ait constitué un progrès (…). Le surpoids des passifs pèse à la longue sur les actifs (…) »
Ces phrases sont tirées d’un article Qui doit voter ? de 2006. Adam et d’autres membres de l’AfD sont auteurs de cette publication dont le slogan est « Liberté au lieu de démocratie ». Il n’est pas question là de polémique mais de revendications politiques sérieuses.
Gauland [Alexander Gauland, autre porte parole de l’AfD] : les décisions parlementaires majoritaires ne comptent pas
Un mépris identique pour les principes électoraux se retrouve chez Alexander Gauland. Peu avant la création de WA2013/AfD, Gauland se plaignait de la peur des Allemands devant l’usage de la violence militaire. Il s’est référé positivement au discours du fer et du sang de Bismarck en citant le passage suivant :
« Ce n’est pas avec des discours et des décisions majoritaires que l’on tranche les grandes questions de ce temps – ce fut la grande erreur de 1848 et 1849 – mais par le fer et le sang ».
Ce discours, Bismarck l’a tenu en 1862. Peu après, le parlement qui s’opposait au réarmement militaire fut dissous.
AfD et démocratie : l’inversion auteur –victime des medias
La référence à Bismark n’est pas un hasard. Bismarck junker de l’est de l’Elbe représentait les intérêts de la noblesse terrienne. Leurs descendants ont fondé en 2006 le réseau Zivile Koalition (coalition civile) avec la formule programmatique : « réforme des structures de décision ». C’est cette formule qu’Hans-Olaf Henkel [Ancien président du patronat de l’industrie] a fait inscrire dans le programme du Parti Die freien Wähler (les électeurs libres) qui fut d’abord courtisé par WA2013 mais qui fut considéré comme insuffisamment conservateur. D’où la création par WA2013 de l’AfD. Il ne faut pas s’étonner si le NPD (parti néonazi) considère l’AfD comme son « brise glace », que Lucke piétinait dans son milieu électoral et que les scores de l’AfD sont importants là où le NPD faisait aussi beaucoup de voix.
Les fait ci-dessus ont été rassemblés par des bloggeurs. Ce n’est que la pointe de l’iceberg que j’ai dévoilé dans mon livre, un iceberg avec une structure cristalline de réseaux de campagnes brutaux et froids et de laboratoires d’idées proches des entreprises. Il est peu probable que les 360 000 anciens électrices et électeurs de Die Linke qui ont semble-t-il cette fois voté AfD aient eu conscience de l’existence et du rayonnement de ces générateurs de froid.
Au lieu de rapporter clairement et complètement ces faits, les medias ont mis en scène l’AfD comme présumée victime de l’antifa qui à Göttingen aurait aspergé une maison d’essence et à Brême lancé une attaque masquée au couteau contre Bernd Lucke. Rien de tout cela n’était vrai, les démentis ont été discrets, timides et tardifs. – comme dans le cas de Thilo Sarrazin, les medias ont failli. Il y a toujours eu un milieu électoral populiste à droite en Allemagne – il dépend aussi des medias qu’il en sorte ou non un parti victorieux.
(Traduction Bernard Umbrecht)