Volker Braun au rivage de l’ouest

On trouvera ci-dessous un extrait de l’un des poèmes, Le rivage de l’ouest, paru dans le nouveau recueil de Volker Braun publié par les éditions Gallimard. Pour préserver la mise en page des textes d’abord en allemand puis en traduction française, ils sont présentés au format pdf  et suivis d’un petit commentaire.

Wesstrand

Dans ce choix de poèmes qui couvre les années 1960-2013, Volker Braun voyage de l’Allemagne de l’Est où il s’est entraîné à la marche debout, au besoin en se provoquant lui-même, à travers l’Europe jusqu’aux confins de l’ouest en s’alimentant tout au long du parcours au «marché noir» de l’humour. On va du Jardin d’agrément, Prusse (1960-1989) à L’opulence (2001-2014) en passant par Le massacre des illusions (1990-2000). Entre temps, le constat : «Le socialisme s’en va, Johnnie Walker arrive». Johnnie le marcheur ! Prémonitoire. Le socialisme dont il est question ici est celui de l’alternative et non celui qualifié de «réellement existant» dans lequel les ouvriers se mettaient à la disposition des usines et non l’inverse, ce qui est le cœur du problème et celui qui a conduit à son échec.
Volker Braun a intégré la dimension environnementale dans l’Internationale en y ajoutant d’autres damnés de la terre : aussi bien les phoques trahis, le buisson maltraité, les zones humides, l’antique savoir des minerais que les fleuves et les couchers de soleils.

Vous mes compagnons de lutte, ces déserts en marche,
Comme ils changent nos fiers projets
Avec leur stratégie du désespoir
Et nous encouragent de leurs trombes d’eau

Et l’homme englouti, ému de voir les
Raisonnables baleines,
Se soulève, rejoignant ses semblables, les minuscules
Racines.

Et notre Ligue, pourrie de part en part, si longtemps avilie
Par la solitude sur terre
Ressent
le désir élémentaire.

(Volker Braun L’Internationale)

Westrand, Le rivage de l’ouest (1995) dont est tiré l’extrait ci-dessus se situe dans le second des trois ensembles de cette anthologie. Il fait partie du groupe Massacre des illusions. J’ai hésité entre ce poème-ci et Wilderness et son Festin de crâne peut-être en raison, pour les deux, de leur composition particulière qui témoigne d’une diversification des formes poétiques avec ses lignes en retrait, ces phrases en escalier. Le recueil contient aussi plusieurs beaux exemples de prose. Si j’ai choisi celui-ci c’est aussi parce il y parle d’Althusser, question qui m’intéresse sous l’angle qu’aborde V.Braun et qui est proche de celui de Heiner Müller pour qui le philosophe est une figure d’Hamlet.
Il est beaucoup question dans cette anthologie de vase, gadoue, boue, fange. La boue peut être aussi bien celle que l’ouvrier extrait avec sa pelle que celle des illusions perdues, des promesses non tenues. La plaine – Brecht parlait des peines de la plaine qui sont devant nous (Brecht) devient la plaine de boue (titre d’un poème). L’éboueur et non le chiffonnier est ici le compagnon du poète. Dans le texte, les Marais pontins, on peut lire ceci :

Dans une baie de vase, je vis un couple
Agenouillé devant un tas de limon
Ils l’entassaient doucement à mains nues
Instillant aussi doucement la vase
Du bout de leurs doigts qui se rejoignaient.
Couverts de boue, en pleine jouissance
Toux deux dressaient peu à peu l’édifice
[…]

Dans Le rivage de l’ouest, j’ai été intrigué par ce mot de Schlick, en français la slikke, et j’aime bien fouiller les mots que je ne connais pas. Celui-ci est particulièrement intéressant dans le contexte dans lequel il est employé.

Dans cette slikke quotidienne
Où le haut est en bas et la mort est la vie.

La slikke désigne la partie de la vasière différente de la schorre (pré salé). Elle est recouverte à chaque marée. Son énorme biomasse microbienne joue un rôle essentiel dans le recyclage de la nécromasse. Biomasse/nécromasse. Il y a de la vie dans la gadoue. Vie et mort. Ce biotope est aussi particulièrement sensible à la dégradation du climat.
Slikke est un mot patois néerlandais signifiant « boue » et qui en danois signifie lécher, caresser. Cela peut se mettre en relation avec ce qui suit d’érotique et les «petits connins de la mer» anesthésiés par les citrons qui reprend mot pour mot le poème Les huîtres de l’époque où ces dernières avaient besoin de nombreux papiers de douane pour traverser le Mur. Comme une réminiscence malgré tout d’un bon temps même là-bas. Il y a de l’est dans l’ouest. Et réciproquement

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Une réponse à Volker Braun au rivage de l’ouest

  1. Breuning Liliane dit :

    Magnifique et toujours si enrichissant ce que vous nous offrez, cher SauteRhin.
    Excellent réveillon à vous et bonne année!
    Liliane Breuning

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