Zur Genese der Dummheit / Genèse de la bêtise par Theodor Adorno et Max Horkheimer

Theodor W. Adorno et Max Horkheimer consacrent, dans leur ouvrage La dialectique de l’Aufklärung, dont je parlerai la semaine prochaine, une note à la Genèse de la bêtise. On ti-dessous le texte intégral, en allemand et en français. Non sans avoir noté combien « le fait que l’intelligence tourne à la stupidité est inhérent à l’évolution historique », ils symbolisent l’intelligence par l’antenne de l’escargot. Celle-ci se rétracte devant l’obstacle et souligne combien « la vie de l’esprit est infiniment fragile ». « La bêtise est une « cicatrice » qui se forme «  à l’endroit où le désir a été étouffé », écrivent les deux éminents représentants de l’Ecole de Francfort.

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ZUR GENESE DER DUMMHEIT

Das Wahrzeichen der Intelligenz ist das Fühlhorn der Schnecke »mit dem tastenden Gesicht«, mit dem sie, wenn man Mephistopheles glauben darf1, auch riecht. Das Fühlhorn wird vor dem Hindernis sogleich in die schützende Hut des Körpers zurückgezogen, es wird mit dem Ganzen wieder eins und wagt als Selbständiges erst zaghaft wieder sich hervor. Wenn die Gefahr noch da ist, verschwindet es aufs neue, und der Abstand bis zur Wiederholung des Versuchs vergrößert sich. Das geistige Leben ist in den Anfängen unendlich zart. Der Sinn der Schnecke ist auf den Muskel angewiesen, und Muskeln werden schlaff mit der Beeinträchtigung ihres Spiels. Den Körper lähmt die physische Verletzung, den Geist der Schrecken. Beides ist im Ursprung gar nicht zu trennen.
Die entfalteteren Tiere verdanken sich selbst der größeren Freiheit, ihr Dasein bezeugt, daß einstmals Fühler nach neuen Richtungen ausgestreckt waren und nicht zurückgeschlagen wurden. Jede ihrer Arten ist das Denkmal ungezählter anderer, deren Versuch zu werden schon im Beginn vereitelt wurde; die dem Schrecken schon erlagen, als nur ein Fühler sich in der Richtung ihres Werdens regte. Die Unterdrückung der Möglichkeiten durch unmittelbaren Widerstand der umgebenden Natur ist nach innen fortgesetzt, durch die Verkümmerung der Organe durch den Schrecken. In jedem Blick der Neugier eines Tieres dämmert eine neue Gestalt des Lebendigen, die aus der geprägten Art, der das individuelle Wesen angehört, hervorgehen könnte. Nicht bloß die Prägung hält es in der Hut des alten Seins zurück, die Gewalt, die jenem Blick begegnet, ist die jahrmillionenalte, die es seit je auf seine Stufe bannte und in stets erneutem Widerstand die ersten Schritte, sie zu überschreiten, hemmt. Solcher erste tastende Blick ist immer leicht zu brechen, hinter ihm steht der gute Wille, die fragile Hoffnung, aber keine konstante Energie. Das Tier wird in der Richtung, aus der es endgültig verscheucht ist, scheu und dumm.
Dummheit ist ein Wundmal. Sie kann sich auf eine Leistung unter vielen oder auf alle, praktische und geistige, beziehen. Jede partielle Dummheit eines Menschen bezeichnet eine Stelle, wo das Spiel der Muskeln beim Erwachen gehemmt anstatt gefördert wurde. Mit der Hemmung setzte ursprünglich die vergebliche Wiederholung der unorganisierten und täppischen Versuche ein. Die endlosen Fragen des Kindes sind je schon Zeichen eines geheimen Schmerzes, einer ersten Frage, auf die es keine Antwort fand und die es nicht in rechter Form zu stellen weiß. Die Wiederholung gleicht halb dem spielerischen Willen, wie wenn der Hund endlos an der Türe hochspringt, die er noch nicht zu öffnen weiß, und schließlich davon absteht, wenn die Klinke zu hoch ist, halb gehorcht sie hoffnungslosem Zwang, wie wenn der Löwe im Käfig endlos auf und ab geht und der Neurotiker die Reaktion der Abwehr wiederholt, die schon einmal vergeblich war. Sind die Wiederholungen beim Kind erlahmt, oder war die Hemmung zu brutal, so kann die Aufmerksamkeit nach einer anderen Richtung gehen, das Kind ist an Erfahrung reicher, wie es heißt, doch leicht bleibt an der Stelle, an der die Lust getroffen wurde, eine unmerkliche Narbe zurück, eine kleine Verhärtung, an der die Oberfläche stumpf ist. Solche Narben bilden Deformationen. Sie können Charaktere machen, hart und tüchtig, sie können dumm machen – im Sinn der Ausfallserscheinung, der Blindheit und Ohnmacht, wenn sie bloß stagnieren, im Sinn der Bosheit, des Trotzes und Fanatismus, wenn sie nach innen den Krebs erzeugen. Der gute Wille wird zum bösen durch erlittene Gewalt. Und nicht bloß die verbotene Frage, auch die verpönte Nachahmung, das verbotene Weinen, das verbotene waghalsige Spiel, können zu solchen Narben führen. Wie die Arten der Tierreihe, so bezeichnen die geistigen Stufen innerhalb der Menschengattung, ja die blinden Stellen in demselben Individuum Stationen, auf denen die Hoffnung zum Stillstand kam, und die in ihrer Versteinerung bezeugen, daß alles Lebendige unter einem Bann steht.

(Max Horckheimer et Theodor W. Adorno :Zur Genese der Dummheit in Dialektik der Aufklärung / Philosophische Fragmente. Gesammelte Schriften 3. suhrkamp taschenbuch. S. 295-296)

1 Faust. Erster Teil. Vers 4068
Note BU : « Siehst du die Schnecke da! sie kommt herangekrochen; / Mit ihrem tastenden Gesicht / Hat sie mir schon was abgerochen ».

GENÈSE DE LA BÊTISE

Le symbole de l’intelligence est l’antenne de l’escargot auquel le toucher sert d’organe visuel ainsi que d’odorat, si l’on en croit Méphistophélès1. Devant l’obstacle, l’antenne se retire immédiatement à l’abri protecteur, faisant un tout avec l’ensemble, elle ne se risquera que timidement à sortir à nouveau comme organe indépendant. Si le danger est toujours présent, elle disparaît derechef et hésitera beaucoup plus longtemps à revenir à la charge. À ses débuts, la vie de l’esprit est infiniment fragile. Les sens de l’escargot dépendent de ses muscles et les muscles s’affaiblissent chaque fois que quelque chose les empêche de fonctionner. Le corps est paralysé par la blessure physique, l’esprit est paralysé par la peur l’effroi [Schecken = effroi]. À l’origine les deux réactions sont inséparables.
Les animaux plus développés doivent ce qu’ils sont à leur plus grande liberté, leur existence prouve qu’ils dressèrent un jour leurs antennes dans de nouvelles directions et ne les retirèrent pas. Chacune de leurs espèces porte témoignage d’innombrables autres espèces qui tentèrent de se développer, mais échouèrent dès le début, qui succombèrent à la peur l’effroi dès qu’une de leurs antennes s’avança dans le sens de leur devenir. La répression des possibilités due à la résistance immédiate de la nature environnante se prolonge vers l’intérieur où la peur l’effroi a atrophié les organes. Dans chaque regard d’animal empreint de curiosité point une forme de vie nouvelle qui pourrait émerger de l’espèce déterminée dont fait partie la créature individuelle. Ce n’est pas seulement son caractère déterminé qui retient cette créature à l’abri de son ancienne nature, la force que rencontre son regard est une force très ancienne, qui remonte à des millions d’années : c’est elle qui l’a reléguée à une étape de son évolution et qui bloque, par sa résistance toujours renouvelée, chaque tentative visant à dépasser cette étape. Ce premier regard tâtonnant est toujours facile à briser, il a derrière lui la bonne volonté, l’espoir fragile, mais aucune énergie durable. Lorsque l’animal prend la direction d’où il a été chassé, il devient craintif et bête.
La bêtise est une cicatrice. Elle peut être en relation avec une activité parmi beaucoup d’autres ou avec toutes, qu’elles soient physiques ou mentales. Chez l’homme, chaque manifestation de bêtise partielle désigne un lieu où le jeu des muscles au lieu d’être encouragé a été entravé au moment de leur éveil. C’est en présence d’obstacles que commença, à l’origine, la vaine répétition de tâtonnements désordonnés et maladroits. Les innombrables questions que pose l’enfant sont déjà des symptômes d’une douleur secrète, d’une première question a laquelle il n’obtint pas de réponse et qu’il ne sait pas formuler correctement. Ses réitérations ont quelque chose de l’obstination enjouée du chien qui bondit continuellement devant la porte qu’il ne sait pourtant pas ouvrir, pour y renoncer finalement si la poignée est hors de sa portée ; elle a quelque chose du désespoir du lion qui va et vient dans sa cage, ou du geste de défense que réitère le névrosé, alors que ce geste une fois déjà avait été vain. Si le rythme des tentatives se ralentit chez l’enfant ou si le blocage est trop brutal, l’attention peut suivre une autre direction, l’enfant a plus d’expérience, comme on dit, mais il arrive qu’il subsiste une imperceptible cicatrice à l’endroit où le désir a été étouffé, une petite zone endurcie dont la surface est insensible. De telles cicatrices constituent des déformations. Elles peuvent créer des caractères durs et solides, elles peuvent rendre bête – dans le sens d’une déficience pathologique, d’une cécité ou d’une impuissance, quand elles se contentent de stagner -, dans le sens de la méchanceté, de l’entêtement et du fanatisme, si elles développent un cancer à l’intérieur de l’individu. La violence subie transforme la bonne volonté en mauvaise volonté. Non seulement la question interdite, mais aussi l’interdiction de l’imitation, des larmes, du jeu téméraire peuvent laisser de telles cicatrices. Comme les espèces de la série animale, les niveaux mentaux du genre humain, voire les parties aveugles d’un individu désignent des moments où l’espoir fut stoppé — témoignage pétrifié de la contrainte (Bann) pesant sur tout ce qui vit.

(Max Horckheimer et Theodor W. Adorno : Genèse de la bêtise in La dialectique de la raison. tel Gallimard. Trad. Eliane Kaufholz. P.389-391)

1. Faust, I, V, 4068
Note B.U.: Méphistophélès à Faust
« Vois-tu là cet escargot ? Il arrive en rampant, / Tout en tâtant avec ses cornes / Il aura déjà reconnu [senti] quelque chose en moi »

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